L’orientalisme n’est donc pas un simple thème ou domaine politique reflété passivement par la culture, l’érudition ou les institutions ; il n’est pas non plus une collection vaste et diffuse de textes sur l’Orient ; il ne représente pas, il n’exprime pas quelque infâme complot impérialiste « occidental » destiné à opprimer le monde « oriental ». C’est plutôt la distribution d’une certaine conception géo-économique dans des textes d’esthétique, d’érudition, d’économie, de sociologie, d’histoire et de philologie ; c’est l’élaboration non seulement d’une distinction géographique (le monde est composé de deux moitiés inégales, l’Orient et l’Occident), mais aussi de toute une série d’« intérêts » que non seulement il crée, mais encore entretient par des moyens tels que les découvertes érudites, la reconstruction philologique, l’analyse psychologique, la description de paysages et la description sociologique ; il est (plutôt qu’il n’exprime) une certaine volonté ou intention de comprendre, parfois de maîtriser, de manipuler, d’incorporer même, ce qui est un monde manifestement différent (ou autre et nouveau) ; surtout, il est un discours qui n’est pas du tout en relation de correspondance directe avec le pouvoir politique brut, mais qui, plutôt, est produit et existe au cours d’un échange inégal avec différentes sortes de pouvoirs, qui est formé jusqu’à un certain point par l’échange avec le pouvoir politique (comme dans l’establishment colonial ou impérial), avec le pouvoir intellectuel (comme dans les sciences régnantes telles que la linguistique, l’anatomie comparées, ou l’une quelconque des sciences politiques modernes), avec le pouvoir culturel (comme dans les orthodoxies et les canons qui régissent le goût, les valeurs, les textes), la puissance morale (comme dans les idées de ce que « nous » faisons et de ce qu’« ils » ne peuvent faire ou comprendre comme nous). En fait, ma thèse est que l’orientalisme est — et non seulement représente — une dimension considérable de la culture politique et intellectuelle moderne et que, comme tel, il a moins de rapports avec l’Orient qu’avec « notre » monde.
Therefore, Orientalism is not a mere political subject matter or field that is reflected passively by culture, scholarship, or institutions ; nor is it a large and diffuse collection of texts about the Orient ; nor is it representative and expressive of some nefarious “Western” imperialist plot to hold down the “Oriental” world. It is rather a distribution of geopolitical awareness into aesthetic, scholarly, economic, sociological, historical, and philological texts ; it is an elaboration not only of a basic geographical distinction (the world is made up of two unequal halves, Orient and Occident) but also of a whole series of “interests” which, by such means as scholarly discovery, philological reconstruction, psychological analysis, landscape and sociological description, it not only creates but also maintains ; it is, rather than expresses, a certain will or intention to understand, in some cases to control, manipulate, even to incorporate, what is a manifestly different (or alternative and novel) world ; it is, above all, a discourse that is by no means in direct, corresponding relationship with political power in the raw, but rather is produced and exists in an uneven exchange with various kinds of power, shaped to a degree by the exchange with power political (as with a colonial or imperial establishment), power intellectual (as with reigning sciences like comparative linguistics or anatomy, or any of the modern policy sciences), power cultural (as with orthodoxies and canons of taste, texts, values), power moral (as with ideas about what “we” do and what “they” cannot do or understand as “we” do). Indeed, my real argument is that Orientalism is—and does not simply represent—a considerable dimension of modern political-intellectual culture, and as such has less to do with the Orient than it does with “our” world.