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Musil, L’homme sans qualités

On pen­sait alors (cet « on » est une indi­ca­tion volon­tai­re­ment impré­cise, car on ne pour­rait savoir qui, et com­bien d’hommes pen­saient ain­si, mais c’était néan­moins dans l’air), on pen­sait alors, donc, qu’il était peut-être pos­sible de vivre exac­te­ment. On nous deman­de­ra aujourd’hui ce que cela veut dire. La réponse serait sans doute que l’on peut se repré­sen­ter l’œuvre d’une vie réduite à trois trai­tés, mais aus­si bien à trois poèmes ou à trois actions dans les­quelles le pou­voir per­son­nel de créa­tion serait pous­sé à son comble. Ce qui vou­drait dire à peu près : se taire quand on n’a rien à dire, ne faire que le strict néces­saire quand on n’a pas de pro­jets par­ti­cu­liers et, chose essen­tielle, res­ter indif­fé­rent quand on n’a pas le sen­ti­ment indes­crip­tible d’être empor­té, bras grands ouverts, et sou­le­vé par une vague de la créa­tion ! On remar­que­ra que la plus grande part de notre vie psy­chique serait dès lors inter­rom­pue, mais peut-être le mal ne serait-il pas si grand. La thèse qui veut qu’une grande dépense de savon témoigne d’une grande pro­pre­té ne sera pas for­cé­ment juste en morale, où se révé­le­ront plus justes au contraire les théo­ries modernes selon les­quelles l’obsession de l’hygiène serait le symp­tôme d’un manque de pro­pre­té interne.

Man dachte damals daran aber dieses »man« ist mit Willen eine unge­naue Angabe ; man könnte nicht sagen, wer und wie­viele so dach­ten, imme­rhin, es lag in der Luft –, daß man viel­leicht exakt leben könnte. Man wird heute fra­gen, was das heiße ? Die Antwort wäre wohl die, daß man sich ein. Lebenswerk eben­so­gut wie aus drei Abhandlungen auch aus drei Gedichten oder Handlungen bes­te­hend den­ken kann, in denen die persön­liche Leistungsfähigkeit auf das Äußerste ges­tei­gert ist. Es hieße also ungefähr soviel wie schwei­gen, wo man nichts zu sagen hat ; nur das Nötige tun, wo man nichts Besonderes zu bes­tel­len hat ; und was das Wichtigste ist, gefühl­los blei­ben, wo man nicht das unbes­chrei­bliche Gefühl hat, die Arme aus­zu­brei­ten und von einer Welle der Schöpfung geho­ben zu wer­den ! Man wird bemer­ken, daß damit der größere Teil unseres see­li­schen Lebens aufhö­ren müßte, aber das wäre ja viel­leicht auch kein so schmerz­li­cher Schaden. Die These, daß der große Umsatz an Seife von großer Reinlichkeit zeugt, braucht nicht für die Moral zu gel­ten, wo der neuere Satz rich­ti­ger ist, daß ein aus­ge­präg­ter Waschzwang auf nicht ganz sau­bere innere Verhältnisse hin­deu­tet.

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t. 1
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chap. 61  : « L’idéal des trois trai­tés, ou l’utopie de la vie exacte »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 310