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Macpherson, La théorie politique de l’individualisme possessif

Les pro­blèmes que sou­lève la théo­rie moderne de la démo­cra­tie libé­rale sont, nous le ver­rons, plus fon­da­men­taux qu’on ne l’a cru. Il nous est appa­ru qu’ils ne sont qu’au­tant d’ex­pres­sions d’une dif­fi­cul­té essen­tielle qui appa­raît aux ori­gines mêmes de l’in­di­vi­dua­lisme au XVIIe siècle : celui-ci est en effet l’af­fir­ma­tion d’une pro­prié­té, il est essen­tiel­le­ment pos­ses­sif. Nous dési­gnons ain­si la ten­dance à consi­dé­rer que l’in­di­vi­du n’est nul­le­ment rede­vable à la socié­té de sa propre per­sonne ou de ses capa­ci­tés, dont il est au contraire, par essence, le pro­prié­taire exclu­sif. À cette époque, l’in­di­vi­du n’est conçu ni comme un tout moral, ni comme la par­tie d’un tout social qui le dépasse, mais comme son propre pro­prié­taire. C’est dire qu’on attri­bue rétros­pec­ti­ve­ment à la nature de l’in­di­vi­du les rap­ports de pro­prié­té qui avaient alors pris une impor­tance déci­sive pour un nombre gran­dis­sant de per­sonnes, dont ils déter­mi­naient concrè­te­ment la liber­té, l’es­poir de se réa­li­ser plei­ne­ment. L’individu, pense-t-on, n’est libre que dans la mesure où il est pro­prié­taire de sa per­sonne et de ses capa­ci­tés. Or, l’es­sence de l’homme, c’est d’être libre, indé­pen­dant de la volon­té d’au­trui, et cette liber­té est fonc­tion de ce qu’il pos­sède. Dans cette pers­pec­tive, la socié­té se réduit à un ensemble d’in­di­vi­dus libres et égaux, liés les uns aux autres en tant que pro­prié­taires de leurs capa­ci­tés et de ce que l’exer­cice de celles-ci leur a per­mis d’ac­qué­rir, bref, à des rap­ports d’é­change entre pro­prié­taires. Quant à la socié­té poli­tique, elle n’est qu’un arti­fice des­ti­né à pro­té­ger cette pro­prié­té et à main­te­nir l’ordre dans les rap­ports d’é­change.

[T]he dif­fi­cul­ties of modern libe­ral-demo­cra­tic theo­ry lie dee­per than had been thought, that the ori­gi­nal seventeenth­ cen­tu­ry indi­vi­dua­lism contai­ned the cen­tral dif­fi­cul­ty, which lay in its pos­ses­sive qua­li­ty. Its pos­ses­sive qua­li­ty is found in its concep­tion of the indi­vi­dual as essen­tial­ly the pro­prie­tor of his own per­son or capa­ci­ties, owing nothing to socie­ty for them. The indi­vi­dual was seen nei­ther as a moral whole, nor as part of a lar­ger social whole, but as an owner of him­ self. The rela­tion of owner­ship, having become for more and more men the cri­ti­cal­ly impor­tant rela­tion deter­mi­ning their actual free­dom and actual pros­pect of rea­li­zing their full poten­tia­li­ties, was read back into the nature of the indi­vi­dual. The indi­vi­dual, it was thought, is free inas­much as he is pro­prie­tor of his per­son and capa­ci­ties. The human essence is free­dom from depen­dence on the wills of-others, and free­dom is a func­tion of pos­ses­sion. Society becomes a lot of free equal indi­vi­duals rela­ted to each other as pro­prietors of their own capa­ci­ties and of what they have acqui­red by their exer­cise. Society consists of rela­tions of exchange bet­ween pro­prie­tors. Political socie­ty becomes a cal­cu­la­ted device for the pro­tec­tion of this pro­per­ty and for the main­te­nance of an order­ly rela­tion of exchange.