Certainement, il avait fallu toute l’épaisse vulgarité d’une époque à laquelle l’économie tint lieu de métaphysique pour faire de la pauvreté une notion économique (maintenant que cette époque touche à son terme, il devient à nouveau évident que le contraire de la pauvreté n’est pas la richesse, mais la misère, et que des trois, la pauvreté seule a le sens d’une perfection. La pauvreté désigne l’état de celui qui peut user de tout, n’ayant rien en propre, et la misère l’état de celui qui ne peut user de rien, soit qu’il ait trop, soit que le temps lui fasse défaut, soit
qu’il soit sans communauté.)
Ainsi, tout ce que l’idée de richesse a pu charrier, à travers l’histoire, de quiétude bourgeoise, de plénitude domestique, de familière immanence avec l’ici-bas sensible, est quelque chose que le Bloom peut apprécier, par la nostalgie ou la simulation, mais non vivre. Avec lui, le bonheur est devenu une bien vieille idée, et pas seulement en Europe. En même temps que tout intérêt, et tout ethos, c’est la possibilité même d’une valeur d’usage qui s’est perdue. Le Bloom ne comprend que le langage surnaturel de la valeur d’échange. Il tourne vers le monde des yeux qui n’y voient rien, rien que le néant de la valeur. Ses désirs eux-mêmes ne se portent que sur des absences, des abstractions, dont la moindre n’est pas le cul de la Jeune-Fille. Même quand le Bloom, en apparence, veut, il ne cesse pas de ne pas vouloir, car il veut à vide, car il veut le vide. C’est pourquoi la richesse est devenue, dans le monde de la marchandise autoritaire, une chose grotesque et incompréhensible, une forme encombrée de la misère. La richesse n’est plus désormais autre chose que ce qui vous possède, que ce par quoi l’ON vous tient.
07 09 20