Un événement se détache sur fond d’uniformité ; c’est une différence, une chose que nous ne pouvions connaître a priori : l’histoire est fille de mémoire. Les hommes naissent, mangent et meurent, mais seule l’histoire peut nous apprendre leurs guerres et leurs empires ; ils sont cruels et quotidiens, ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants, mais l’histoire nous dira si, à une époque donnée, ils préféraient le profit indéfini à la retraite après fortune faite et comment ils percevaient ou classaient les couleurs. Elle ne nous apprendra pas que les Romains avaient deux yeux et que le ciel était bleu pour eux ; en revanche, elle ne nous laissera pas ignorer que, là où nous recourons aux couleurs pour parler du ciel quand il fait beau, les Romains recouraient à une autre catégorie et parlaient de caelum serenum plutôt que de ciel bleu ; c’est un événement sémantique. Quant au ciel nocturne, ils le voyaient, avec les yeux du sens commun, comme une voûte solide et point trop lointaine ; nous autres croyons au contraire y voir un gouffre infini, depuis la découverte des planètes médicéennes qui donna, à l’athée que fait parler Pascal, l’effroi que l’on sait. Événement de la pensée et de la sensibilité.
07 09 20