07 09 20

Un évé­ne­ment se détache sur fond d’uniformité ; c’est une dif­fé­rence, une chose que nous ne pou­vions connaître a prio­ri : l’histoire est fille de mémoire. Les hommes naissent, mangent et meurent, mais seule l’histoire peut nous apprendre leurs guerres et leurs empires ; ils sont cruels et quo­ti­diens, ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants, mais l’histoire nous dira si, à une époque don­née, ils pré­fé­raient le pro­fit indé­fi­ni à la retraite après for­tune faite et com­ment ils per­ce­vaient ou clas­saient les cou­leurs. Elle ne nous appren­dra pas que les Romains avaient deux yeux et que le ciel était bleu pour eux ; en revanche, elle ne nous lais­se­ra pas igno­rer que, là où nous recou­rons aux cou­leurs pour par­ler du ciel quand il fait beau, les Romains recou­raient à une autre caté­go­rie et par­laient de cae­lum sere­num plu­tôt que de ciel bleu ; c’est un évé­ne­ment séman­tique. Quant au ciel noc­turne, ils le voyaient, avec les yeux du sens com­mun, comme une voûte solide et point trop loin­taine ; nous autres croyons au contraire y voir un gouffre infi­ni, depuis la décou­verte des pla­nètes médi­céennes qui don­na, à l’athée que fait par­ler Pascal, l’effroi que l’on sait. Événement de la pen­sée et de la sen­si­bi­li­té.

Comment on écrit l’his­toire
Seuil 1971
événement histoire Veyne