L’existence des forces extérieures est elle aussi plus problématique qu’elle ne le paraît. Ces forces n’offraient souvent qu’un nom à l’inexplicable, nom prétentieux de surcroît, qui servait à cacher l’ignorance. Ainsi, si l’opium endort, c’est parce qu’il renferme une « vis dormitiva » ; et c’est de la même manière que l’on procède pour définir la force vitale. Ce qu’il s’agirait d’expliquer est ainsi changé en explication et le travail analytique s’arrête avec l’invention précipitée d’un simple qualificatif confondu avec la « vertu » elle-même. Mais derrière tout cela se cache autre chose, dans la forme d’expression elle-même : la croyance aux esprits. Plus spécifique semble être une force (comme la « vertu assoupissante » de l’opium ou, d’après une plaisanterie de Mörike, celle de la fièvre scarlatine qu’il appelle la méchante « fée Briscarlatina »), et plus elle se rapproche des représentations animistes. C’est la raison pour laquelle la physique a de plus en plus penché en faveur d’une généralisation mécanique, afin d’y ordonner toutes les forces qualifiées isolément suivant une grande ligne unique qui reliait toutes les manifestations de pression et d’impulsion. L’affinité chimique est la force réelle grâce à laquelle les atomes sont maintenus ensemble dans la molécule, la cohésion est la force grâce à laquelle les molécules sont maintenues ensemble, et son contraire, dans le cas des corps gazeux, s’appelle force d’expansion. Pourtant, il y a cent ans déjà, Davy et Berzelius ont cherché, au-delà des affinités chimiques, une autre explication dans l’attrait et la répulsion électriques, explication qui ne se vérifiait pas que dans le cas de la combinaison chimique d’atomes de même espèce, à savoir des atomes de carbone (en chaînes et en anneaux); en électronique, la recherche basée sur la théorie des quanta se dispose à ramener la prétendue force du phénomène d’affinités chimiques à des opérations subatomiques, explication qui ne présenterait plus aucune faille. Enfin, la théorie générale de la relativité tente de réfuter l’affirmation selon laquelle ladite force de gravitation serait une forme d’énergie propre, voire une énergie tout court, et veut l’expliquer à partir de la structure mathématique d’un continuum à quatre dimensions. Qu’un corps soit attiré, cela signifierait uniquement, selon cette théorie, qu’il décrit dans l’espace courbe la ligne la plus courte, une ligne géodésique. Dans la proximité des grandes masses, l’espace est particulièrement courbe, et un corps tombant dans cet espace créera l’illusion de la parabole ou de l’ellipse. Mais celles-ci n’apparaissent telles quelles que dans la vision euclidienne, et ne justifient l’hypothèse de la pesanteur que dans l’espace plan. La tendance en physique est de définir toutes les manifestations de forces comme des irrégularités locales au sein d’un continuum métrique, non euclidien, courbe. On constate alors que tout au moins la multiplicité spécifique des forces disparaît, de la même manière que leur appartenance à une catégorie supérieure ou inférieure a depuis longtemps disparu. Ainsi s’accomplit ce que Newton avait prophétisé dans son Optique : « Si l’on dit que chaque espèce de choses est douée d’une propriété spécifique cachée, grâce à laquelle elle exerce une action et produit certains effets visibles, autant ne rien dire.
01 08 25