01 08 25

Bloch, Le Principe Espérance

Dans l’appendice spé­cu­la­tif de son Histoire natu­relle et Théorie du ciel, Kant vou­lait voir dans les pla­nètes les plus éloi­gnées un monde très avan­cé. D’après lui les régions « réel­le­ment bien­heu­reuses » ne se trou­ve­raient pas, comme Mars et la terre, à une dis­tance moyenne du soleil, mais dans le vaste éloi­gne­ment des pla­nètes exté­rieures. Il dis­tingue de la sorte Jupiter et Saturne : la den­si­té décrois­sante de la matière dans les deux pla­nètes, l’éloignement du soleil sem­blaient consti­tuer pour le phi­lo­sophe les fon­de­ments d’un monde pour ain­si dire plus pur. Semblable atti­tude laisse indé­nia­ble­ment trans­pa­raître l’idolâtrie du Nord, où Jupiter et Saturne prennent en quelque sorte la place de la Germania de Tacite. Une variante de l’utopie de Thulé y est recon­nais­sable aus­si dans une cer­taine mesure : non pas dans le style d’Ossian, mais sous la forme d’une Stoa dépla­cée dans l’arctique, d’une Stoa super­arc­tique. L’aversion authen­ti­que­ment kan­tienne pour la mol­lesse et le zéphyr, les sens qui fondent, le cli­mat sub­tro­pi­cal, l’absence de tout devoir émigre ain­si dans son super-Kônigsberg pla­né­taire. Et Kant risque même l’analogie sui­vante : « De Mercure jusqu’à Saturne ou peut-être même au-delà (si tant est qu’il y ait d’autres pla­nètes), la per­fec­tion du monde spi­ri­tuel aus­si bien que du monde maté­riel des dif­fé­rentes pla­nètes s’accroît et pro­gresse pro­por­tion­nel­le­ment à leur éloi­gne­ment du soleil » (Werke. Hartenstein, I, p. 338). Le Kant de la période pré­cri­tique ima­gi­nait ain­si un pen­dant des plus extra­va­gants à la for­mule new­to­nienne de la dimi­nu­tion de la pesan­teur selon le car­ré de la dis­tance ; ce qui veut dire que la dimi­nu­tion de l’attraction gra­vi­ta­tion­nelle cor­res­pon­drait à l’attraction crois­sante de la pure­té, confor­mé­ment au rêve de l’opposition entre la pesan­teur et la lumière spirituelle.

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trad.  Françoise Wuilmart
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p. 404–405