Dans l’appendice spéculatif de son Histoire naturelle et Théorie du ciel, Kant voulait voir dans les planètes les plus éloignées un monde très avancé. D’après lui les régions « réellement bienheureuses » ne se trouveraient pas, comme Mars et la terre, à une distance moyenne du soleil, mais dans le vaste éloignement des planètes extérieures. Il distingue de la sorte Jupiter et Saturne : la densité décroissante de la matière dans les deux planètes, l’éloignement du soleil semblaient constituer pour le philosophe les fondements d’un monde pour ainsi dire plus pur. Semblable attitude laisse indéniablement transparaître l’idolâtrie du Nord, où Jupiter et Saturne prennent en quelque sorte la place de la Germania de Tacite. Une variante de l’utopie de Thulé y est reconnaissable aussi dans une certaine mesure : non pas dans le style d’Ossian, mais sous la forme d’une Stoa déplacée dans l’arctique, d’une Stoa superarctique. L’aversion authentiquement kantienne pour la mollesse et le zéphyr, les sens qui fondent, le climat subtropical, l’absence de tout devoir émigre ainsi dans son super-Kônigsberg planétaire. Et Kant risque même l’analogie suivante : « De Mercure jusqu’à Saturne ou peut-être même au-delà (si tant est qu’il y ait d’autres planètes), la perfection du monde spirituel aussi bien que du monde matériel des différentes planètes s’accroît et progresse proportionnellement à leur éloignement du soleil » (Werke. Hartenstein, I, p. 338). Le Kant de la période précritique imaginait ainsi un pendant des plus extravagants à la formule newtonienne de la diminution de la pesanteur selon le carré de la distance ; ce qui veut dire que la diminution de l’attraction gravitationnelle correspondrait à l’attraction croissante de la pureté, conformément au rêve de l’opposition entre la pesanteur et la lumière spirituelle.
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