L’écriture de Canetti sur la violence traite de la manière de se défaire des Befehlsstachel, des « aiguillons laissés par les ordres » que tous les humains ont reçus de l’extérieur dans leur corporéité (et qui hantent ensuite leurs / nos rêves). Chaque cri, chaque coup du père, de l’officier ou d’un quelconque suppliciateur, chaque offense ou dépréciation verbale, chaque regard de travers entre dans le corps tel un aiguillon et y reste. Le corps ne se débarrasse de ces blessures et cicatrices qu’en transmettant ces aiguillons à quelqu’un d’autre – ce qui signifie que le supplicié devient lui-même un suppliciateur ; la violence est alors déplacée. À moins qu’il ne s’en débarrasse dans la masse humaine. La masse, chez Canetti, n’est pas celle de la philosophie européenne bourgeoise (élitaire), pour laquelle elle est le terme négatif par excellence : les débiles, le prolétariat, les ignares, les gogols ; « l’homme de la masse », qui, en politique, court derrière n’importe quel gros con, adore les figures de chef. Canetti voit dans la masse le potentiel de l’exact opposé. Celui ou celle qui s’ouvre à elle se façonne un nouveau corps. Dans ce nouveau corps, l’individu peut se métamorphoser, prendre conscience de ses sentiments, les porter au-dehors sans transmettre violemment l’aiguillon aux autres : fantastique processus corporel. Hauntology potentialisée.
25 08 25