15 09 20

Les meilleures dési­gna­tion de Dieu ne sont donc ni les termes sym­bo­liques qui ne prennent sens qu’à être niés, ni les termes cau­saux qui dis­tinguent les effets plu­tôt qu’ils n’as­signent la cause. Les meilleures dési­gna­tions sont celles qui, à la fois, posent quelque chose en le niant et nient quelque chose en le posant. Ce sont ces « affir­ma­tions par excès » (cum exces­su) qui sont en même temps des néga­tions par défaut, qui visent la sur­abon­dance de la cause dans le défaut de l’ef­fet. Ces affir­ma­tions émi­nentes sont donc des néga­tions supé­rieures qui se trouvent au-delà même de l’op­po­si­tion entre affir­mer et nier, dire et ne pas dire : « Il est évident qu’au­cun nom […] ne convient pro­pre­ment à Dieu, à moins d’être signi­fié par excès, selon ce pas­sage de MT 6,11 : ‘Donne-nous aujourd’­hui notre pain super­sub­stan­tiel’. En effet, ce qui est dit ici c’est que Dieu n’est pas sub­stance mais super­sub­stance, ni essence mais super­es­sence, etc. Ces néga­tions ne s’op­posent donc pas à des affir­ma­tions, puis­qu’elles ne sont pas faites par rap­port à la même chose. »
Autrement dit : dire que Dieu est « super­sub­stan­tiel », ce n’est pas lui refu­ser le sta­tut de sub­stance pour la rai­son qu’il serait en défaut par rap­port à elle, c’est refu­ser Dieu à l’i­dée de sub­stance pour la rai­son qu’elle est en défaut par rap­port à lui (ou lui en excès par rap­port à elle). Donc, en disant que Dieu « n’est pas sub­stance », on ne dit pas qu’il lui manque quelque chose pour être sub­stance, mais plu­tôt qu’il manque quelque chose à la sub­stance pour être Dieu. Dire que Dieu « n’est pas sub­stance », c’est donc bien dire qu’il est au-des­sus d’elle : super­sub­stance, super­sub­stan­tiel. Cet énon­cé ne s’op­pose pas à l’é­non­cé affir­ma­tif : « Dieu est une sub­stance. » Il ne se confond pas non plus avec le simple énon­cé pri­va­tif : « Dieu n’est pas une sub­stance. » « En effet, l’es­sence, la sub­stance ou la vie sont affir­mées de Dieu du point de vue de la réa­li­té signi­fiée par le nom, laquelle est d’a­bord en Dieu puis, grâce à lui, dans les autres choses. Et ce que l’on nie, c’est que l’es­sence, la sub­stance ou la vie res­tent les mêmes une fois qu’elles ont revê­tu le mode d’im­per­fec­tion qui est le leur dans les créa­tures. Or, pré­ci­sé­ment, c’est en cet état qu’elles sont nor­ma­le­ment signi­fiées par les noms. Ceux-ci ne sont donc pas refu­sés à Dieu pour son imper­fec­tion, mais bien plu­tôt pour son émi­nence. »
La voie d’é­mi­nence est le cou­ron­ne­ment des voies anté­rieures.

« Ulrich de Strasbourg »
La mys­tique rhé­nane
Seuil 1994
p. 108–109
apophatique denys éminence théologie mystique