Concealment of the voice results in the beauty of the echo
(Saleel Al Sawarim, nachide populaire des ondes du Califat)
PAM 352 est un EP hybride de musiques populaire et dévotionnelle, deux continents musicaux ayant en commun le souci de la célébration (d’un sentiment, d’une foi, d’une loi, d’un être aimé, d’un non-être adoré, d’une substance révérée, d’une communauté politique, d’un État, d’une insurrection), partageant aussi l’affectation de ceux qui 1/ veulent partager leurs sentiments, 2/ ne veulent pas que la sincérité de ces sentiments – réifiés et pris au piège du format – puisse être mise en doute.
La musique populaire globale multiplie les afféteries (riffs, licks, runs), mais pas sur le mode de l’ornement baroque qui ronge la forme et, à force de licences, développe le décousu comme motif expressif d’une advention réfractaire à l’ordre naturel ; la forme pop est au contraire le carcan conforme à une autre forme, patronnante, celle du produit, qui garantit que ce qui s’offre au partage fait déjà partie de l’entendement commun. Le plaisir de la pop est celui d’une validation. De la même manière qu’un romancier naturaliste entérine les déterminismes (physiques, moraux, sociaux), ses productions célèbrent le naturel des sentiments, la naturalité de leur éclosion et d’ailleurs leur parfaite correspondance avec une histoire naturelle, c’est-à-dire un récit qui fait servir la nature à l’édification de l’humain.
La richesse de l’effet contraste avec la simplicité des lyrics : la sophistication technique donne à des harmonies aussi pauvres, répétitives que celles du genre militaire, le charme du reconnaissable sous l’enveloppe du nouveau. La scène de reconnaissance de l’harmonie enfin recomposée fonctionne comme le comic relief des dialogues de sitcoms, le refrain y jouant un rôle comparable à celui des rires enregistrés.
Les genres dévotionnels manifestent, eux, une affectation différente. C’est le pompeux des affects sains qui excite le tartuffe : ivresse de l’épure, du respect de la forme, de la variance affective individuelle soluble dans l’invariant de la loi divine. Un des plus vivants, des plus contemporains de ces genres est le nachide, rené à la faveur de l’enthousiasme jihadi. À de rares exceptions près, les anachides sont aussi des produits d’édification culturelle : les uns, armés, incitent ; les autres, éthérés, promettent. La voix y est, comme dans de nombreuses productions de pop globale, légèrement réverbérée ; l’écho indique la profondeur, l’effet décrète la grandeur, le ciel répond, sous la voûte des certitudes naturelles.
Le point commun de ces genres est leur vocation populaire : le conduit par lequel la voix intérieure donne à entendre son écho dans le monde est toujours, dans le cas de la pop comme dans celui des anachides modernes, le bon gros conduit des affects majoritaires. La mythologie médiévalisante – terme impropre au délire symbolique qui mêle paturons et kalaches (capacité à vivre paisiblement ses anachronismes qui est toutefois inspirante) – cette mythologie associée aux anachides convoque pour les occidentaux un temps où le peuple, avili au dernier degré, soumis à l’ordre inique de ceux qui réclament pour eux la nature, était célébré pour sa simplicité : « simples gens » disait la simplicité d’esprit que dieu avait compensée par une sorte de simplicité de cœur qui confirmait l’alibi du pouvoir de classe : le peuple ne peut certes pas penser, mais qu’est-ce qu’il sent bien…
La proposition faite par l’État Islamique aux populations qu’il soumet est comparable à celle de n’importe quel « État » bras-armé-magnanime-de-la-providence, ou de n’importe quelle « République Populaire » : la recohésion exaltante du public et du populaire.
Que la République compte, depuis le discours de son Président le 7 janvier dernier, au rang de ses valeurs, la « culture » et la « création » – sans autre précision qui viendrait nuancer cette ligne « civilisiste » dure – confirme la vacuité d’une telle fusion qui menace désormais de culture officielle cette République si magnanime et condamne des gens mal soumis à cet État (l’amalgame non-charli) : dans cet ordre à venir, ce que le peuple est encouragé à rendre public, c’est ce que les gardiens de la chose publique valident comme populaire.