Le facteur de la répétition du semblable ne sera peut-être pas admis par tout le monde comme produisant le sentiment en question. D’après mes observations, il engendre indubitablement un sentiment de ce genre, dans certaines conditions et en combinaison avec des circonstances déterminées ; il rappelle, en outre, la détresse accompagnant maints états oniriques. Un jour où, par un brûlant après-midi d’été, je parcourais les rues vides et inconnues d’une petite ville italienne, je tombai dans un quartier sur le caractère duquel je ne pus pas rester longtemps en doute. Aux fenêtres des petites maisons on ne voyait que des femmes fardées et je m’empressai de quitter l’étroite rue au plus proche tournant. Mais, après avoir erré quelque temps sans guide, je me retrouvai soudain dans la même rue où je commençai à faire sensation et la hâte de mon éloignement n’eut d’autre résultat que de m’y faire revenir une troisième fois par un nouveau détour. Je ressentis alors un sentiment que je ne puis qualifier que d’étrangement inquiétant, et je fus bien content lorsque, renonçant à d’autres explorations, je me retrouvai sur la place que je venais de quitter. D’autres situations, qui ont de commun avec la précédente le retour involontaire au même point, en différant radicalement par ailleurs, produisent cependant le même sentiment de détresse et d’étrangeté inquiétante. Par exemple, quand on se trouve surpris dans la haute futaie par le brouillard, qu’on s’est perdu, et que, malgré tous ses efforts pour retrouver un chemin marqué ou connu, on revient à plusieurs reprises à un endroit signalé par un aspect déterminé. Ou bien lorsqu’on erre ans une chambre inconnue et obscure, cherchant la porte ou le commutateur et que l’on se heurte pour la dixième fois au même meuble, – situation que Marc Twain a, par une grotesque exagération, il est vrai, transformée en situation d’un comique irrésistible.
16 01 16
Freud, L’inquiétante étrangeté
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« L’inquiétante étrangeté »
[« Das Unheimliche », 1919]