Lorsque j’évoque la liberté réflexive distinguant un enracinement illusoire et un déracinement relatif, j’oppose un monde structuré par la figure du père, qui dicte l’identité et a vocation à l’incarner exemplairement, à un univers de frères. La liberté, au sens étymologique, participe en français de la relation du pater familias à ses fils ; on n’est libre que dans la mesure où le père nous protège. Le terme allemand de Freiheit provient du lien d’amitié noué entre frères qui, en cas de guerre, s’enchaînaient et se ruaient ainsi sur les légions romaines. Chacun était le garant de l’autre, mais tous signifiaient aussi par cet enchaînement leur refus de l’esclavage auquel les aurait voués inévitablement leur défaite. L’univers paternel, vertical, est sécurisant au prix d’une dépossession, sauf à admettre la réussite de l’insurrection débouchant sur un renversement de l’image paternelle. L’univers des frères renvoie quant à lui à la notion grecque d’éleuthéria (qui contient la racine allemande du mot Leute) ; il est donc plus démocratique, horizontal. Le mode de constitution de la confrérie qui n’est pas native implique la possibilité d’une autre voie que celles offertes par l’alternative suivante : soit être père soi-même (investi de l’autorité), soit rester enfant (soumis à l’autorité). Au sein de cette confrérie, la reconnaissance est fonction de la perception d’une analogie de liberté ; le ciment de cette communauté n’est pas fourni par l’évidence d’une origine partagée, mais par l’analogie du geste. Et c’est cela qui, pour moi, constitue l’objectif même de l’enseignement. Sa finalité est la Freiheit ; il ne s’agit pas de former des disciples appelés à remplacer la figure paternelle de l’enseignant ou à rester disciples, mais des frères qui agiront dans d’autres domaines, travailleront d’autres matériaux, mais se reconnaîtront dans cette analogie du geste.
18 01 16