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Oniro​–​critie (PAM4952)


Le rêve “écran-veille” (1’30)
Expression d’une acti­vi­té men­tale réduite (qui n’est jamais tota­le­ment à l’arrêt), il consti­tue un inter­mez­zo pen­dant lequel le “je” rêve peut-être encore, mais ne se sou­vient de rien, sinon de recherches angois­santes et de rues obs­cures. Un orga­nique confit de miné­ra­li­té et végé­ta­li­té pré­cieu­se­ment alté­rées : du louis-xv, du marbre, Mensch Menge, Mensch unbes­timm­ter Menge. Il est impos­sible de don­ner à ce genre de rêves une quel­conque signi­fi­ca­tion, si tant est qu’on par­vienne jamais à les tra­duire en mots, leur mes­sage nous par­ve­nant pour l’essentiel sous la forme de cheat­codes pour MegaDrive : ABBA BBA AABB (cepen­dant, il n’est pas sûr que ces rêves n’aient pas une fonc­tion bio­lo­gique voire même psy­cho­lo­gique – rééqui­li­brage éner­gé­tique par mise en ordre des infor­ma­tions : sau­ter un niveau, reve­nir au pré­cé­dent, s’étoffer arti­fi­ciel­le­ment pour bien figu­rer au der­nier niveau).
Je regarde en haut. Il fait une poudre noire sur la ville. Alors sous mon cha­peau et dans la bouche j’entends un goût d’encre (avec de minus­cules étuis métal­liques). Je vois. Aussi comme une cloche sur la poudre noire. Du cer­cueil umbes­timm­ten Menschen, puis j’entends des pièces nau­tiques du som­meil (sur che­vaux marins). Ravi je songe : un sanc­tuaire micro­sco­pique. Et je traîne mon butin.

Je regarde en bas.
Je décide d’aller chez ma grand-mère
Je marche vers la piaz­za Cavour à Florence
je me trouve main­te­nant sur une place d’une grande beau­té métaphysique
j’ai devant les yeux une pièce chaude
je regarde mes pieds
Je vois de la lumière dans cer­taines maisons
Julia semble se reposer
Il y a un Monsieur
Un Monsieur parle devant elle comme si elle était transparente.
Je suis prêt à me faire une raison.
On nous apporte du gâteau et un café
un rayon blanc tombe des lampes
dans chaque lit un bébé est assis habillé comme un adulte
on se sen­tait si bien
Mais cette impres­sion ne dure pas longtemps
Une façade blanche à l’abandon me rap­pelle le présent
Je me dis : c’est la lumière de cette époque-là,
et moi aus­si je gratte un peu le sable

Le rêve “flash” (2’10)
Il me vient du som­meil para­doxal où je suis chez moi, en rythme bio­lo­gique, allon­gée dans mon lit et proche de l’état de veille (je tiens une fille par les che­veux elle a le dos tour­né et je ne peux pas voir son visage). Dans un lan­gage méta­pho­rique, ce rêve nous invite à trou­ver les clés, la guidance.
Je regarde mes pieds
Partout on avait pré­vu le malheur
je me suis réveillé
sur un lit moelleux -
comme devant un autel.
refuge des grands malades.
je me sou­viens par­ti­cu­liè­re­ment de ses cheveux
la femme avance dans la prai­rie d’une équipe de joueurs de foot­ball coiffée
puis disparaît.
Je fixe mes pieds avec stupéfaction
un objet com­plè­te­ment déformé,
sur la plate-forme arrière
C’est la nos­tal­gie heureuse.
Je regarde mes pieds
je fixe mes pieds avec stupéfaction
je me souviens
je me sou­viens avoir été très heureux
Dans la chambre les volets sont tou­jours fermés
on implore la déesse du malheur
le refuge de toutes les images.
il y a un podium sur lequel on a ins­tal­lé une table.
Au haut de l’escalier
d’al­lure athlétique
extrê­me­ment dur
Cet homme se détache

Le rêve “den­té” (06:12)
the scene is very unclear in the beginning
I am in the horse stable
in the beginning
there is a mir­ror reflec­ting the scene
the teeth in my mouth start mul­ti­plying ad infinitum
I start walking
I conti­nue walking
I pass by
all of a sudden
when teeth grow they fall out
behind the ground is cove­red in teeth
my skin is cove­red in eels
the eels try to catch the teeth as they fall
when an eel catches a tooth it pro­duces a strange noise of content
all of a sudden
I have the impres­sion that I have to get some­thing to change my cur­rent situation
very uncomfortable
eve­ry­thing is rot­ten or poisoned
there is a button
i acci­den­tal­ly press a button
a voice talks about alice notley
there are signs on the walls
its mea­ning is not decipharable
I am at the same time inside and outside
the horses are gra­zing on teeth
I walk on
I am being pres­sed into an invi­sible wall
I arrive at a beach
cove­red in shell­less oysters
I try to wake up
I rea­lize that I am dreaming
I am falling
a dog appears
i must have seen it somew­here else before it seems very familiar
I am car­rying a large rat
all of a sud­den I am in a group of people
fur­ther down
i can see through a window
i try to look at my hand
i am unsure whe­ther it is joel or my mother
die­go is also there
marion has some­thing to do with this somehow
i won­der how come fran­cois hadn’t told me about it before
it reminds me of my mother
I hear water drip­ping somew­here but can­not loca­lize it
at the same time
somew­here else
I rea­lize that
all of a sud­den eve­ry­thing is cove­red in teeth
I am excluded
very close by
the situa­tion seems threatening
a pos­sum and a snake are having an argu­ment about this
the pos­sum extends his hand to hi-five me
i start running
I am some­how sure of I go in I will unders­tand all of this
I start shit­ting very inconveniently
I am bored
I rea­lize that
At a given moment
Donald Trump jumps out of an egg
Merkel has orde­red it this way
I have no choice but to eat it
some­how I am wri­ting an essay about this
that belongs to me

Le rêve “gau­lois” (05:50)
je suis encore à l’école et je vais aux chiottes
j’y vais avec le pro­jet de me faire “raser les chevaux”
j’entre dans le cubi­cule et je baisse mon pan­ta­lon, puis ma lingerie
puis en fixant le trou sombre du trône peu hygiénique
je remarque qu’il y a une sorte de
for­ti­fi­ca­tion punk
qui entoure la cuvette, sur le rebord
avec des tout petits punks qui se sont installé·e·s dans des cabanes
construites en bois, du petit bois comme du bois d’allumette
sur la sur­face blanche du rebord de la cuvette des WC
les cabanes, reliées par des haies ou des palissades
consti­tuent un espèce de camp
qui encercle le Grand Canyon
la mine de charbon
de la cuvette
un camp tri­bal de punks à chevaux
ou des punks de l’ancienne Gaule
des punk anciens gaulois
avec des che­veux beur­rés, tout ça
un peu tout mouillés, un peu moites et per­lés avec de la pisse scolaire
je suis com­plè­te­ment fas­ci­né par cette communauté
qui n’est pas microscopique,
mais qui est quand même
extrê­me­ment petite
et qui, avec ses iroquois
clous
cuir
baskets
équi­pe­ments divers volés
che­vaux infimes
à selle modeste et ornée,
ont un air de fier­té païenne et une sorte de sainteté,
ils ont une tranquillité
un sans-peur en dépit de leur taille
ils n’ont ni peur du trou sombre ni peur des pro­blèmes hygiéniques
qui s’associent inévi­ta­ble­ment avec leur forme de vie
des pro­blèmes auxi­liaires-gênants de la petite vie
aux rebords des chiottes, et au milieu de la pisse scolaire
et cette tran­quilli­té ou ce bon­heur même
com­mence tout à coup à m’infuser
ce n’est plus comme si j’étais étudiant·e
grand·e
et que je devais avoir peur des microbes
je suis plu­tôt microbe moi-même
ou plus proche du côté micro­bien de la vie
c’est pos­sible d’exister dans un milieu plus modeste
un “entre” moins vulnérable
comme une four­mi, peut-être
le sen­ti­ment chaud d’un bon­heur possible
proche
et petit,
qui se loca­lise dans ma nuque
.
je conti­nue d’observer cette
popu­la­tion enthou­siaste de porcelaine
et puis je remarque qu’il y a quelques punks
qui s’occupent avec des cordes, des lassos,
ils com­mencent à swin­guer des lassos
aus­si per­lés que ceux qui les manient
depuis les petites palis­sades de la fortification
et puis je constate que plus bas
sur les pentes mer­diques du canyon
courent libre­ment des che­vaux sales et sauvages
que la tri­bu des punks essaie de prendre avec ses lassos
en fait c’est ça l’activité prin­ci­pale de la tribu
c’est comme le rebord solide, la por­ce­laine de leur forme de vie
les che­vaux qu’ils che­vauchent sont les che­vaux des chiottes
et ces Gaulois à che­val ils s’en tapent de la merde écolière,
pos­si­ble­ment la pisse sco­laire les aide à bros­ser les chevaux
et leur net­toyer la cri­nière des crottes éducationnelles
ils essaient assez constam­ment de cap­tu­rer des chevaux
des fois, quand un punk en attrape un avec le lasso,
ils arrivent à le lever jusqu’au rebord, une bonne pêche
mais des fois le che­val est trop fort pour le punk à las­so minime
et parce que les punks sont des gens fiers en général
qui ne cèdent pas aux animaux
quelques punks sont quelques fois atti­rés dans l’abysse
mais “nor­ma­le­ment”
avant qu’ils lancent un lasso
les punks ont l’habitude de dire “adieu”
avec tout leur coeur
à leurs chèr·e·s camarades
alors j’entends
en observant
des high pit­ched cris fiers d’adieu
pleins d’émotion
et regards fascinés
les las­sos comme des fils très fins en coton
des­cendent les pentes
du canyon
ben donc puis je me réveille

Expérience dite de “la boule-rouge” (0’50)
je rêvai d’une bou­lette rouge
une boule de matière céré­brale, muscles et nerfs de la tête de Danton
une bou­lette rouge ava­lée entière coin­cée dans le corps
une bou­lette de bons gros êtres-boules hybrides avec d’étranges masques
et d’étranges pieds, les uns ver­nis, les autres de bouc
extrê­me­ment pâles.
Le cor­tège pénètre dans la manu­fac­ture d’allumettes.
Un homme est assis
je rêvai d’une bou­lette rouge déli­ca­te­ment coin­cée dans le cerveau
Je rêvai d’une bou­lette rouge d’une femme en boule moi­tié pia­niste moi­tié faune
d’un monstre lugubre d’une bonne humeur tumultueuse.
Le monstre se roule s’é­tend picore des rai­sins boit du thé fume danse en même temps, gar­ga­rise un air

Expérience dite du “gué­ri­don sophis­ti­qué” (05:23)

Guéridon. Étymol. et Hist. 1650 (Loret, Muze his­to­rique ds Havard). Du nom d’un per­son­nage de farce Gueridon (1614, Conférence d’Antitus, Panurge et Gueridon d’a­pr. Nies ds Germ. rom. Mon. t. 17, p. 355), pay­san des confins du Poitou s’ex­pri­mant par sen­tences, qui devint héros de chan­son et dont le nom fut mis au refrain ( cf. E. Fournier ds Variétés hist. et lit­tér., t. 8, p. 281, note) et intro­duit à la même date dans un bal­let (1614, bal­let des Argonautes, cf. Nies, loc. cit.). Le terme désigne par ailleurs, à la même époque, un genre de chan­sons (Nies, loc. cit.). Ce nom, prob. né d’un refrain contemp., for­mé de o gué et lari­don, fut employé dans les chan­sons sati­riques pour dési­gner la per­sonne dont on se moquait. Ainsi la dési­gna­tion par ce nom de ce petit meuble, dont le pied, unique à l’o­rig., avait sou­vent une forme humaine, notam­ment celle d’un Maure, est peut-être due à l’i­mage du per­son­nage iso­lé, qui dans la danse du branle de la torche, au cours de laquelle on chan­tait ce refrain, tenait un flam­beau alors que les autres s’embrassaient (Nies, op. cit., pp. 360–364).

Tout à coup je suis nu nu vrai­ment tout nu, nu dans une grande pièce entiè­re­ment mar­brée. Du beau marbre blanc aux veines magni­fiques. Il devient clair que je suis un gué­ri­don Louis XV, propre, lisse, laqué, fra­gile je res­sens beau­coup de fier­té je me sens pré­cieux, j’ai envie de pis­ser propre lisse laqué, fra­gile. Etre un gué­ri­don Louis XV me donne beau­coup de fier­té mais une cer­taine angoisse quant à ma capa­ci­té à atteindre les chiottes. Je pres­sens que me pis­ser des­sus aurait de graves consé­quences his­to­riques. Il y a quelque chose de pesant dans l’im­mo­bi­li­té subie de ma vie de gué­ri­don pon­cé main. Je n’ai pas d’autre choix que d’ac­cep­ter mon sort de pièce de mobi­lier cos­su du 18e siècle. Peut-être ai-je été chan­gé en table pour me punir de ma nudi­té en public, peut-être ai-je été ren­du nu pour avoir pré­ten­du être un gué­ri­don. Ma nudi­té ne semble pas étran­gère à mon iner­tie : en est-elle la cause, je ne sais pas, il est cer­tain que je ne m’a­muse pas, que je ne semble pas m’amuser
je me sou­viens res­sen­tir de la honte à n’a­voir qu’un unique tiroir
tout ça dure quelques heures.
Je ne semble pas m’amuser.
Quelques heures calmes d’un calme pré­cé­dant à coup sûr une tempête
j’ai le pres­sen­ti­ment d’une tem­pête historique
une cer­taine angoisse quant à ma capa­ci­té à atteindre les chiottes
La nudi­té se répand aux autres hommes, objets, concepts, tous vernis
c’est effarant
tout ce marbre
encore du marbre
du marbre même où on atten­drait pas
du marbre là où on atten­drait de la parquèterie.
Je me résigne à ma vie de guéridon
vrai­ment tout nu
Propre, lisse, laqué, fragile
je suis nu
lisse
je me réveille
nu comme un vers