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Roubaud, Poétique – Remarques

1099. Hypothèse treize de la poé­sie : Dans toute langue il y a de la poé­sie.

1100. L’invention simo­ni­dienne est de rendre expli­cite ce qui est poé­sie dans la poé­sie (i‑e les com­po­si­tions poé­tiques).

1101. L’invention de la poé­sie doit s’entendre comme pos­si­bi­li­té de recon­naître qu’il y a de la poé­sie (au sens des hypo­thèses de la poé­sie).

1102. On peut la recon­naître alors ailleurs. (Autres temps, autres lieux.)

1103. La poé­sie, dans Homère, est pla­giat par anti­ci­pa­tion de la poé­sie (au sens de Simonide, au sens contem­po­rain).

1104. L’invention de la poé­sie per­met de recon­naître que ce que disent (au sens ordi­naire de dire) les poé­sies d’ailleurs, d’avant et de tou­jours, est autre que la poé­sie.

1105. La poé­sie véhi­cule tou­jours du sens (toutes sortes de sens) mais ce(s) sens ne lui est (sont) pas essentiel(s) par nature.

1106. Les hypo­thèses de la poé­sie impliquent des hypo­thèses du poète.

1107. Les hypo­thèses de la poé­sie impliquent des hypo­thèses du lec­teur.

1108. Les poètes ne sont pas des maîtres de véri­té.

1109. Continuer à reven­di­quer le pres­tige des temps pré-simo­ni­diens, à s’affirmer diseur de la véri­té des choses, des êtres, des langues, des cités ou des empires, la véri­té des dieux, c’est la pos­ture homé­rique.

1110. La pos­ture orphique est celle du retour à la pos­ture sha­ma­nique. C’est la pos­ture du poète ins­pi­ré, du « furieux ».

1111. La pos­ture du poète spon­ta­né est la ver­sion mièvre de la pos­ture du poète ins­pi­ré.

1112. La pos­ture mal­her­bienne est celle du poète déco­ra­tif.

1113. La pos­ture mal­her­bienne est celle qui est pré­fé­rée par les repré­sen­tants des dif­fé­rentes branches du savoir.

1114. Les prin­ci­pales pos­tures de poète se carac­té­risent par une igno­rance de ou un refus d’admettre la nature propre, par­ti­cu­lière, irré­duc­tible, de la poé­sie, par une déné­ga­tion ou mini­mi­sa­tion de son rap­port pri­vi­lé­gié, néces­saire et ori­gi­nal à la langue.

1115. Les pro­grès de l’ECOPROF impliquent l’affaiblissement de la posi­tion de la poé­sie dans le champ de la lit­té­ra­ture, dans celui de la socié­té, dans la vie indi­vi­duelle ; et dans un deuxième temps non seule­ment son affai­blis­se­ment, mais la pos­si­bi­li­té même de sa dis­pa­ri­tion.

1116. Les hypo­thèses de la poé­sie impliquent que le rôle social du poète (dans les temps de l’ECOPROF et de l’IVIMON) ne peut être que très modeste.

1117. Je défen­drai l’idée de la rela­tive neu­tra­li­té de la tech­nique (donc du TONUTRIN).

1118. À l’époque moderne et contem­po­raine, les poètes qui ont eu un rôle social ou poli­tique recon­nu émi­nent l’ont dû en grande par­tie à un contre­sens, contre­sens dont l’idée de poé­sie a souf­fert et souffre encore.

1119. La pos­ture du poète mau­dit est une pos­ture par­ti­cu­liè­re­ment carac­té­ris­tique du moment moderne.

1120. Le geste avant-gar­diste est un geste de des­truc­tion-libé­ra­tion.

1121. Le geste libé­ra­toire masque la pau­vre­té du geste de la table rase.

1122. Le geste avant-gar­diste est sou­mis à la ten­ta­tion de la fuite en avant révo­lu­tion­naire.

1123. La fuite en avant avant-gar­diste peut être aus­si bien contre-révo­lu­tion­naire (Pound, Céline, Benn).

1124. Les « vieille­ries poé­tiques », les formes tra­di­tion­nelles dépas­sées, épui­sées et sur­an­nées sur­vivent en des­sous, quand le geste avant-gar­diste est confron­té à la durée.

1125. Le « retour à » est une des consé­quences pos­sibles de l’épuisement du geste avant-gar­diste.

1126. Le geste avant-gar­diste est néces­sai­re­ment psi­tac­ciste.

1127. L’aboutissement natu­rel du geste avant-gar­diste est le silence.

1128. La ver­sion glo­rieuse du geste moder­niste, chez Rimbaud, se change en ver­sion tra­fic.

1129. Les libé­ra­teurs du vers, en vieillis­sant, deviennent des négriers du vers.

1130. Denis Roche : aban­don de la poé­sie – éloge de la lit­té­ra­ture – dif­fi­cul­té avec la lit­té­ra­ture – pho­to­gra­phie –.

1131. La fata­li­té mas­sive de la faillite des avant-gardes l’emporte sur la varié­té inven­tive des expé­riences indi­vi­duelles, inter­dit d’établir les expé­riences, les démarches, dans une quel­conque conti­nui­té, une com­mu­nau­té de formes stables, tend à créer un semi-solip­sisme. L’air de famille flou du vers libre inter­na­tio­nal (le vil) tire les stra­té­gies per­son­nelles vers le mou­ton au panur­gisme incon­trô­lé.

1132. Tout geste avant-gar­diste est voué à l’échec s’il ne s’accompagne pas d’une com­pré­hen­sion for­melle.

1133. La fata­li­té de l’avant-garde est la pos­ture de secte.

1134. L’avant-gardisme est lié au moment moder­niste. L’avant-gardisme du moment post-moderne est d’annoncer la fin des avant-gardes.

1135. Le slo­gan de la mort de l’auteur est une variante du slo­gan de la mort de la poé­sie.

1136. L’invention du « texte » fut la variante farce des deux slo­gans croi­sés « mort de l’auteur » et « mort de la poé­sie ».