30 11 16

Lacan, Le séminaire

Je reprends et je vais prendre une réfé­rence qui a son inté­rêt qui n’est rien d’autre que quelque chose qui touche au carac­tère tout à fait le plus radi­cal des rela­tions du « je » avec le signi­fiant. Dans les langues indo-euro­péennes anciennes et dans cer­taines sur­vi­vances des langues vivantes, il y a ce qu’on appelle, et que vous avez tous appris à l’école, « la voix moyenne ». La voix moyenne se dis­tingue de la voix posi­tive et de la voix pas­sive en ceci que nous disons, dans une approxi­ma­tion qui vaut ce que valent d’autres approxi­ma­tions qu’on apprend à l’école, que le sujet fait l’action dont il s’agit. Il y a des formes ver­bales qui disent un cer­tain nombre de choses. Il y a deux formes dif­fé­rentes pour dire « je sacri­fie », comme sacri­fi­ca­teur, ou « je sacri­fie », comme celui qui offre le sacri­fice à son béné­fice.
L’intérêt n’est pas d’entrer dans cette nuance de la voix moyenne à pro­pos des verbes qui ont les deux voix parce que pré­ci­sé­ment nous n’en usons pas, nous la sen­ti­rons tou­jours mal, mais ce qui est ins­truc­tif c’est de s’apercevoir qu’il y a des verbes qui n’ont que l’une ou l’autre voix, et que c’est pré­ci­sé­ment ce que les lin­guistes, sauf dans les cas où ils sont par­ti­cu­liè­re­ment astu­cieux, laissent tom­ber. Alors là vous vous aper­ce­vez des choses très drôles : c’est, pour le recueillir dans un article, ce que M. BENVENISTE a fait sur ce sujet, et dont je vous donne la réfé­rence : Journal de Psychologie nor­male et patho­lo­gique Janvier-Mars 1950, entiè­re­ment consa­cré au lan­gage. Nous nous aper­ce­vrons que sont les moyens verbes : naître, mou­rir, suivre et pous­ser au mou­ve­ment, être maître, être cou­ché, et reve­nir à un état fami­lier, jouer, avoir pro­fit, souf­frir, patien­ter, éprou­ver une agi­ta­tion men­tale, prendre des mesures – qui est le medeor dont vous êtes tous inves­tis comme méde­cins, car tout ce qui se rap­porte à la méde­cine est déri­vé de ce medeorpar­ler enfin, c’est très pré­ci­sé­ment du registre de ce dont il s’agit dans ce qui est en jeu dans notre expé­rience ana­ly­tique.
Dans le cas où les verbes n’existent et ne fonc­tionnent dans un cer­tain nombre de langues qu’à la voix moyenne et seule­ment à cette voix, et d’après l’étude c’est très pré­ci­sé­ment à cette notion que le sujet se consti­tue dans le pro­cès ou l’état, que le verbe exprime.
N’attachez aucune impor­tance aux termes « pro­cès » ou « état », la fonc­tion ver­bale comme telle n’est pas du tout si faci­le­ment sai­sie dans aucune caté­go­rie. Le verbe est une fonc­tion dans la phrase, et rien d’autre, car « pro­cès » ou « état », les sub­stan­tifs l’expriment aus­si bien. Le fait que le sujet soit plus ou moins impli­qué n’est abso­lu­ment pas chan­gé par le fait que le pro­cès dont il s’agit soit employé à la forme ver­bale. Le fait qu’il soit employé à la forme ver­bale dans la phrase, n’a aucune espèce de sens, c’est qu’il sera le sup­port d’un cer­tain nombre d’accents signi­fiants qui situe­ront l’ensemble de la phrase sous un aspect ou sous un mode tem­po­rel.

, ,
t. 3 : « Les psychoses (1955–1956) »
, ,