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Le célèbre ouvrage de Huizinga Homo Ludens a pla­cé récem­ment la caté­go­rie du jeu au centre de l’es­thé­tique et pas seule­ment de l’es­thé­tique : il pré­tend que la culture elle-même naît comme jeu. « L’expression ‘élé­ment ludique de la culture’ ne signi­fie pas que les dif­fé­rentes acti­vi­té de la vie cultu­relle ont réser­vé une place impor­tante aux jeux, ni que la culture pro­vient du jeu selon un pro­ces­sus évo­lu­tif, de telle sorte que quelque chose qui, à l’o­ri­gine, était du jeu serait deve­nu plus tard quelque chose qui n’est plus du jeu et qu’on peut qua­li­fier désor­mais de culture. Il s’a­git bien plus de mon­trer qu’à l’o­ri­gine la culture est jeu. »
[…] Huizinga abou­tit à une théo­rie extrê­me­ment pers­pi­cace de l’hu­mour : « On se pose la ques­tion si même pour le sau­vage sa foi dans les mythes les plus sacrés n’é­tait pas dès le début liée à une concep­tion quelque peu humo­ris­tique. » « Un élé­ment semi-humo­ris­tique ne peut être sépa­ré du mythe authen­tique. » Les fêtes reli­gieuses des peuples pri­mi­tifs ne sont pas « celle d’une extase ni d’une illu­sion totale… elles ne sont pas dépour­vues d’une conscience sous-jacente du ‘simu­lacre’. » « Que l’on exerce ou que l’on subisse le charme, on est en même temps du côté de ceux qui savent et du côté de ceux qui sont dupés. Mais on veut être dupé. » Sous cet aspect, celui de la conscience de la faus­se­té du vrai, tout par­ti­cipe à l’hu­mour et sur­tout la moder­ni­té téné­breuse : Thomas Mann a sou­li­gné ce fait chez Kafka, il est évident chez Beckett : « C’est dans le concept de jeu même que l’on sai­sit le mieux l’af­fi­ni­té et l’in­sé­pa­ra­bi­li­té de la croyance et de la non-croyance, le lien entre le sérieux le plus grand et la malice ou la ‘plai­san­te­rie’. » Ce qui, ici, est dit du jeu, on peut sans doute le dire de tout art. En revanche, on peut contes­ter l’in­ter­pré­ta­tion que fait Huizinga du « carac­tère her­mé­tique du jeu » qui entre en col­li­sion avec sa propre défi­ni­tion dia­lec­tique du jeu comme uni­té de la « croyance et de la non-croyance ».

Paralipomena
trad. Marc Jimenez
Klincksieck 1976
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