[Veyne cite un extrait de Diodore dans lequel il voit la coexistence « non pacifique » de deux programmes de vérité :]
« En matière d’histoire légendaire, il ne faut pas réclamer âprement la vérité, car tout se passe comme au théâtre : là, nous ne croyons pas à l’existence des Centaures mi-humains et mi-animaux, ni à celle de Géryon à trois corps, mais nous n’en agréons pas moins les fables de ce genre et, en y applaudissant, nous rendons hommage au dieu. Car Héraclès a passé sa vie à rendre la terre habitable : il serait choquant que les hommes perdent le souvenir de leur commune évergète et lui chicanent sa part de louange. »
Texte révélateur en son adroite candeur. On y devine la coexistence non pacifique de deux programmes de vérité, dont l’un était critique et le second respectueux. Le conflit avait fait passer les partisans du second de la spontanéité à la fidélité à soi-même : ils avaient désormais des « convictions » et en exigeaient le respect ; l’idée de vérité passait au second plan : l’irrespect était scandaleux et ce qui était scandaleux était donc faux. Tout bien étant aussi vrai, seul était vrai ce qui est bien. Diodore, qui se vend à son public, joue ici les hommes-orchestres ; il arrive à voir les choses avec les yeux de l’un et de l’autre camp, à donner l’impression, à ceux qui pensent bien qu’il leur concilie le point de vue des critiques, et à se ranger finalement lui-même dans le parti des bien-pensants. Il semble être de mauvaise foi parce qu’il exprime la croyance de respect des uns dans le langage critique des autres.