26 12 16

Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?

[Veyne cite un extrait de Diodore dans lequel il voit la coexis­tence « non paci­fique » de deux pro­grammes de véri­té :]

« En matière d’his­toire légen­daire, il ne faut pas récla­mer âpre­ment la véri­té, car tout se passe comme au théâtre : là, nous ne croyons pas à l’exis­tence des Centaures mi-humains et mi-ani­maux, ni à celle de Géryon à trois corps, mais nous n’en agréons pas moins les fables de ce genre et, en y applau­dis­sant, nous ren­dons hom­mage au dieu. Car Héraclès a pas­sé sa vie à rendre la terre habi­table : il serait cho­quant que les hommes perdent le sou­ve­nir de leur com­mune éver­gète et lui chi­canent sa part de louange. »

Texte révé­la­teur en son adroite can­deur. On y devine la coexis­tence non paci­fique de deux pro­grammes de véri­té, dont l’un était cri­tique et le second res­pec­tueux. Le conflit avait fait pas­ser les par­ti­sans du second de la spon­ta­néi­té à la fidé­li­té à soi-même : ils avaient désor­mais des « convic­tions » et en exi­geaient le res­pect ; l’i­dée de véri­té pas­sait au second plan : l’ir­res­pect était scan­da­leux et ce qui était scan­da­leux était donc faux. Tout bien étant aus­si vrai, seul était vrai ce qui est bien. Diodore, qui se vend à son public, joue ici les hommes-orchestres ; il arrive à voir les choses avec les yeux de l’un et de l’autre camp, à don­ner l’im­pres­sion, à ceux qui pensent bien qu’il leur conci­lie le point de vue des cri­tiques, et à se ran­ger fina­le­ment lui-même dans le par­ti des bien-pen­sants. Il semble être de mau­vaise foi parce qu’il exprime la croyance de res­pect des uns dans le lan­gage cri­tique des autres.