07 09 24

Musil, L’homme sans qualités

Tuzzi eut le sen­ti­ment qu’il fal­lait dire quelque chose ; il se sen­tait peu sûr, comme si le silence pou­vait tra­hir chez un homme quelque trouble de l’imagination. « Vous aimez à pen­ser du mal de tout », remar­qua-t-il en sou­riant, comme si la phrase d’Ulrich sur les fonc­tion­naires de la foi avait dû attendre jusque-là d’être intro­duite dans son oreille, « et ma femme n’a sans doute pas tort de redou­ter un peu, en dépit de ses sen­ti­ments fami­liaux, votre col­la­bo­ra­tion. Si je puis ain­si par­ler, quand vous pen­sez à votre pro­chain, vous ten­dez plu­tôt à jouer à la baisse.

— C’est une excel­lente for­mule, repar­tit Ulrich ravi, bien que je craigne de ne pas la méri­ter ! C’est l’histoire uni­ver­selle qui a tou­jours joué à la baisse ou à la hausse sur le mar­ché de l’homme ; à la baisse par la ruse et la vio­lence, et à la hausse un peu comme Madame votre femme le tente ici, par la foi dans le pou­voir des idées. Le Dr Arnheim lui aus­si, pour autant qu’on peut se fier à ce qu’il dit, est un haus­sier. Vous-même, en revanche, qui êtes bais­sier par pro­fes­sion, devez éprou­ver dans ce chœur angé­lique des sen­sa­tions que j’aimerais bien connaître. »

Il obser­va le sous-secré­taire avec sym­pa­thie. Tuzzi tira de sa poche un étui à ciga­rettes et haus­sa les épaules. « Pourquoi croyez-vous que je doive nour­rir là-des­sus d’autres opi­nions que ma femme ? » répon­dit-il. Il vou­lait atté­nuer le tour per­son­nel que pre­nait la conver­sa­tion, mais sa réponse ne fit que l’aggraver. L’autre heu­reu­se­ment ne le remar­qua pas et pour­sui­vit : « Nous sommes une matière qui épouse tou­jours la forme du pre­mier monde venu. [»]

Tuzzi emp­fand, daß man etwas sagen müsse ; er fühlte sich unsi­cher, so als ob einen Menschen, der an Einbildungen lei­det, das Schweigen ver­ra­ten könnte. »Sie den­ken gerne schlecht von allem,« bemerkte er lächelnd, als hätte der Ausspruch über die Glaubensbeamten bis jetzt vor sei­nem Ohr auf Eintritt war­ten müs­sen »und meine Frau tut wohl nicht unrecht, bei aller ver­wandt­schaft­li­cher Sympathie Ihre Mithilfe etwas zu fürch­ten. Wenn ich so sagen darf, nei­gen Ihre Gedanken über den Mitmenschen zur Spekulation à la baisse.«

»Das ist ein aus­ge­zeich­ne­ter Ausdruck,« gab Ulrich erfreut zurück »wenn ich mich auch bes­chei­den muß, ihm nicht zu genü­gen ! Denn es ist die Weltgeschichte, die immer à la baisse oder à la hausse in Menschen spe­ku­liert hat ; auf Baisse-Weise durch List und Gewalt, à la hausse ungefähr so, wie es Ihre Frau Gemahlin hier ver­sucht, durch den Glauben an die Kraft der Ideen. Auch Dr. Arnheim ist, soweit man sei­nen Worten trauen kann, ein Haussier. Dagegen müs­sen Sie als beruf­smäßi­ger Baissier in die­sem Chor der Engel Empfindungen haben, die ich gerne ken­nen würde.«

Er mus­terte den Sektionschef mit Teilnahme. Tuzzi zog seine Zigarettendose aus der Tasche und zuckte die Schultern. »Warum glau­ben Sie, daß ich anders darü­ber den­ken soll, als meine Frau?« ant­wor­tete er. Er wollte die persön­liche Wendung des Gesprächs ableh­nen, hatte sie aber durch seine Antwort verstärkt ; der andere bemerkte es glü­ck­li­cher­weise nicht und fuhr fort : »Wir sind eine Masse, die jede Form annimmt, in die sie auf die eine oder die andere Weise hinein­gerät!«

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t. 1
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chap. 91  : « Spéculations à la baisse et à la hausse sur le mar­ché de l’esprit »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 519