02 10 24

Musil, L’homme sans qualités

Il est dif­fi­cile de dire quelles furent alors ses pen­sées, mais si on avait pu les sor­tir de sa tête et les polir avec soin, elles auraient eu sans doute à peu près l’allure sui­vante : pour com­men­cer par le côté église, ces quelques mots : tant qu’on croyait à la reli­gion, on pou­vait pré­ci­pi­ter un bon chré­tien ou un pieux juif de n’importe quel étage de l’espérance ou du bien-être, il retom­be­rait tou­jours, pour ain­si dire, sur les pieds de son âme. Toutes les reli­gions avaient pré­vu en effet, dans l’explication de la vie qu’elles offraient aux hommes, un reste irra­tion­nel, incal­cu­lable, qu’elles nom­maient l’impénétrabilité des des­seins de Dieu ; si le mor­tel n’aboutissait pas à un cal­cul exact, il n’avait qu’à se rap­pe­ler ce reste, et son esprit pou­vait se frot­ter les mains avec satis­fac­tion. Cette façon de retom­ber sur ses pieds et de se frot­ter les mains s’appelle une « concep­tion du monde » ; c’est une chose que l’homme contem­po­rain ne connaît plus.

[E]s läßt sich schwer sagen, was er sich dabei dachte, aber wenn man es aus ihm heraus­ge­ho­ben und sorgfäl­tig geglät­tet hätte, würde es wohl ungefähr so aus­ge­se­hen haben : Um mit dem kir­chli­chen Teil kurz zu begin­nen, solange man an Religion glaubte, konnte man einen guten Christen oder from­men Juden hinun­terstür­zen, von wel­chem Stockwerk der Hoffnung oder des Wohlergehens man wollte, er fiel immer sozu­sa­gen auf die Füße sei­ner Seele. Das kam davon, daß alle Religionen in der Erläuterung des Lebens, die sie dem Menschen schenk­ten, einen irra­tio­na­len, unbe­re­chen­ba­ren Rest vor­ge­se­hen hat­ten, den sie Gottes Unerforschlichkeit nann­ten ; ging dem Sterblichen die Rechnung nicht auf, so brauchte er sich bloß an die­sen Rest zu erin­nern, und sein Geist konnte sich befrie­digt die Hände rei­ben. Dieses Auf die Füße Fallen und Sich die Hände Reiben nennt man Weltanschauung, und das hat der zeit­genös­sische Mensch ver­lernt.

 

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t. 1
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chap. 108  : « Les « nations non rédi­mées » et les réflexions du géné­ral Stumm sur les mots de la famille de « rédemp­tion » »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 693–694