14 10 24

Musil, L’homme sans qualités

« [Q]ue faites-vous, en lisant ? Je vous répon­drai tout de suite : vos opi­nions omettent ce qui ne leur agrée pas. L’auteur a déjà fait de même. Rêvant ou rêvas­sant, vous omet­tez éga­le­ment. Je constate donc ceci : la beau­té ou l’émotion entrent dans le monde par l’omission. Notre atti­tude au sein de la réa­li­té est évi­dem­ment un com­pro­mis, un état moyen dans lequel les sen­ti­ments s’empêchent mutuel­le­ment d’atteindre au déploie­ment de la pas­sion et se perdent dans la gri­saille ; les enfants, qui ignorent encore cette atti­tude, sont donc plus heu­reux et plus mal­heu­reux que les adultes. Et j’ajouterai tout de suite que les gens bêtes omettent aus­si ; on sait bien que la bêtise rend heu­reux. Voici donc ma pre­mière pro­po­si­tion : que nous essayions de nous aimer comme si vous et moi étions les per­son­nages d’un poète qui se ren­contrent dans les pages de son livre. Négligeons donc, en tout cas, cette enve­loppe de graisse qui vous fait croire que la réa­li­té est chose toute ronde. »

»Was tun Sie da ? Ich will gleich die Antwort geben : Ihre Auffassung läßt aus, was Ihnen nicht paßt. Das gleiche hat schon der Autor getan. Ebenso las­sen Sie im Traum oder in der Phantasie aus. Ich stelle also fest : Schönheit oder Erregung kommt in die Welt, indem man fortläßt. Offenbar ist unsere Haltung inmit­ten der Wirklichkeit ein Kompromiß, ein mit­tle­rer Zustand, worin sich die Gefühle gegen­sei­tig an ihrer lei­den­schaft­li­chen Entfaltung hin­dern und ein wenig zu Grau mischen. Kinder, denen diese Haltung noch fehlt, sind darum glü­ck­li­cher und unglü­ck­li­cher als Erwachsene. Und ich will gleich hin­zufü­gen, auch die Dummen las­sen aus ; Dummheit macht ja glü­ck­lich. Ich schlage also als erstes vor : Versuchen wir einan­der zu lie­ben, als ob Sie und ich die Figuren eines Dichters wären, die sich auf den Seiten eines Buchs bege­gnen. Lassen wir also jeden­falls das ganze Fettgerüst fort, das die Wirklichkeit rund macht.«

 

, ,
t. 1
,
chap. 114  : « Une crise menace. Arnheim cour­tise le géné­ral Stumm. Diotime prend des mesures pour se rendre dans l’Illimité. Ulrich brode sur la pos­si­bi­li­té de vivre comme on lit. »
,
trad.  Philippe Jaccottet
, , ,
p. 761