105. Il n’existe pas d’instrument pour mesurer la couleur ; il n’existe pas de « thermomètre de la couleur ». Comment pourrait-il en être autrement puisque « la connaissance de la couleur » dépend toujours de la perception individuelle ? Ce qui n’a toutefois pas empêché un certain Horace Bénédict de Saussure d’inventer en 1789 un appareil nommé « cyanomètre », avec lequel il espérait mesurer le bleu du ciel.
106. La première fois que j’ai entendu parler du cyanomètre, je me suis figuré une machine compliquée pourvue de cadrans, de manivelles et de boutons. Mais ce que Saussure a en fait « inventé » était une charte en carton comportant cinquante-trois carrés découpés le long de cinquante-trois échantillons de bleu numérotés, ou « nuances », ainsi qu’il les appelait : il suffit de brandir le carton au ciel et de trouver, au mieux de ses capacités, l’échantillon qui correspond. Comme dans le Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent de Humboldt (1807–1834) : « Nous observâmes avec admiration l’azur du ciel. Son intensité au zénith nous parut correspondre au 41e degré du cyanomètre. » Si cette phrase me procure un grand plaisir, elle ne nous avance en rien – qu’il s’agisse de connaissance, ou de beauté.