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Bloch, Le Principe Espérance

Dès son pre­mier ouvrage, inti­tu­lé Théorie des quatre mou­ve­ments (1808), Fourier fonde sa cri­tique du pré­sent sur une base his­to­rique. Par la suite, Fourier a réprou­vé ce pre­mier ouvrage, qui reste cepen­dant le fon­de­ment de ses autres œuvres prin­ci­pales. Aussi bien le Traité de l’association domes­tique agri­cole de 1822 que Le Nouveau Monde indus­triel de 1829 ren­ferment, comme le pre­mier ouvrage, une cri­tique de l’époque, des consi­dé­ra­tions d’ordre his­to­rique et l’exaltation de l’avenir. D’après Fourier il exis­te­rait quatre périodes ; chaque période anté­rieure tend tou­jours vers la période sui­vante dont l’évolution est irré­ver­sible. La pre­mière période est l’époque bien­heu­reuse de l’instinct et de la com­mune pri­mi­tive, la deuxième celle de la pira­te­rie et de l’économie directe du troc, la troi­sième celle du patriar­cat et de l’expansion du com­merce, la qua­trième celle de la bar­ba­rie et des pri­vi­lèges éco­no­miques. Ceux-ci se per­pé­tuent dans la cin­quième période (qui coïn­cide encore lar­ge­ment avec la qua­trième): le siècle de la civi­li­sa­tion capi­ta­liste, qui est le pré­sent. C’est là un témoi­gnage de la conscience his­to­rique de Fourier, qu’il cri­tique ce pré­sent non pas, comme l’avaient fait tous les uto­pistes anté­rieurs, dans l’optique de l’Etat idéal, mais qu’il le dépeigne comme un pro­duit de dégé­né­res­cence, recon­nais­sable hic et nunc, et comme une insup­por­table bar­ba­rie ayant atteint son paroxysme. Fourier démontre « que la civi­li­sa­tion ordon­née élève tous les vices que la bar­ba­rie exer­çait de façon simple au niveau d’un mode de vie com­po­sé, équi­voque, ambi­gu, hypo­crite » ; en se fon­dant de la sorte sur l’Histoire, il devient non seule­ment auteur sati­rique mais aus­si dia­lec­ti­cien. Bien que Fourier repré­sente tout aus­si peu qu’Owen les inté­rêts de classe du pro­lé­ta­riat, au sens de la lutte des classes, il ne croit pas que la socié­té bour­geoise soit amen­dable telle quelle ou en se pre­nant comme point de départ. Sans connaître Hegel et à une bonne géné­ra­tion de dis­tance de Marx, Fourier découvre cette thèse extra­or­di­naire selon laquelle « dans toute civi­li­sa­tion la pau­vre­té est engen­drée par l’abondance elle-même ». La misère ne passe plus (comme les éco­no­mistes bour­geois l’ont cru pen­dant des décen­nies et le croient encore aujourd’hui) pour une situa­tion pro­vi­soire qui pren­dra fin de soi-même grâce à l’apparition de la corne d’abondance de la richesse crois­sante. Au contraire : la misère est le revers dia­lec­ti­que­ment néces­saire de la gloire capi­ta­liste, elle ne peut en être dis­so­ciée, s’installe avec elle, gran­dit avec elle ; c’est pour­quoi la civi­li­sa­tion capi­ta­liste n’éliminera jamais la pau­vre­té.

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trad.  Françoise Wuilmart
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p. 139–140