Un jour, j’avais dix ans, j’ai été enfermé dans la morgue de Sophiahemmet. Le gardien de l’hôpital s’appelait Algit. C’était un grand pataud avec des cheveux blonds presque blancs coupés ras et des petits yeux bleus perçants sous des sourcils blancs, des mains grasses et violacées. Algot transportait les cadavres et il parlait volontiers de la mort, des morts, des agonies, des morts qui n’étaient morts qu’en apparence.
La morgue se composait de deux pièces, il y avait, devant, une chapelle où les parents prenaient une dernière fois congé des leurs et, derrière, une pièce où l’on arrangeait les cadavres après une autospie.
Un jour de grand soleil, à la fin de l’hiver, Algot m’a attiré dans la pièce de derrière et il a soulevé le drap qui recouvrait un cadavre qu’on venait de livrer. Une jeune femme aux longs cheveux noirs, des lèvres pleines, un menton rond. Je l’ai longuement regardée tandis qu’Algot s’occupait d’autre chose. Tout à coup, j’ai entendu un grand bruit. La porte d’entrée venait de se refermer et je restai seul avec la morte, cette belle jeune femme, et cinq ou six autres cadavres entassés sur des draps tachés de jaune. Je frappai à la porte et j’appelai Algot, en vain. J’étais seuls avec les morts ou ces semblants de morts, à tout instant l’un ou l’autre pouvait se lever et venir s’agripper à moi. Le soleil brillait à travers les vitres d’un blanc laiteuxs, le silence s’accumulait au-dessus de ma tête, une chape de silence qui montait jusqu’au ciel. Mon coeur battait dans mes oreilles, je respirais avec difficulté, j’avais froid au creux de l’estomac et je frissonnais.
Je suis allé m’asseoir sur un tabouret dans la chapelle et j’ai fermé les yeux. C’était affreux, il fallait que je contrôle tout ce qui pouvait se passer exactement derrière moi ou bien là où je ne regardais pas. Le silence fut rompu par un sourd grognement. Je savais ce que c’était. Algot m’avait raconté que les morts pétaient diablement fort, le bruit ne me faisait pas directement peur. Quelques silhouettes passèrent devant la chapelle, j’entendais leurs voix, je les entrevoyais à travers les vitres dépolis. A mon propre étonnement, je n’ai pas crié, je suis resté immobile, je me suis tu. Les silhouettes disparurent, les voix s’éloignèrent.
Je venais d’être saisi par un désir violent qui me brûlait, me démangeait. Je me suis levé et je me suis senti pousser vers l’autre pièce avec les morts. La jeune femme qu’on venait de traiter était couchée sur une table en bois au milieu de la pièce. J’ai retiré le drap, et j’ai dénudé la femme. Elle était entièrement nue si l’on excepte un pansement qui allait de sa gorge au pubis. J’ai levé la main et je lui ai touché l’épaule. J’avais entendu parler du froid de la mort, mais la peau de la fille n’était pas froide, elle me brûlait. J’ai fait monter ma main jusqu’à son sein, un petit sein flasque avec une mamelon noir dressé. Un duvet noir poussait sur son ventre, elle respirait, non, elle ne respirait pas, mais sa bouche ne s’était-elle pas ouverte ? Je voyais ses dents blanches sous l’arrondi de ses lèvres. Je me déplaçai de façon à voir son sexe que j’aurais voulu toucher, seulement je n’osais pas.
Maintenant je voyais bien que sous ses paupières à moitié fermées, elle me regardait. Tout n’était plus que confusion, le temps s’arrêta et la forte lumière devint encore plus forte. Algot m’avait raconté l’histoire d’un de ses collègues qui avait voulu faire une plaisanterie à une jeune infirmière. Après une amputation, il avait placé une main sous la couverture de son lit. Comme l’infirmière n’arrivait pas à la prière du matin, on était allé la chercher dans sa chambre. Elle était assise, nue, en train de mâchonner la main, elle avait arraché le pouce et elle l’avait introduit dans son vagin. Et moi, j’allais maintenant devenir fou comme elle. Je me suis jeté sur la porte qui s’est ouverte toute seule. La jeune femme me laissait filer.
18 01 16