Parler à la place des autres c’est une question
de contexte
d’institution, de diffusion, de daddy
pas uniquement de pronom
au moins, « nous » c’est clair
ça fait pas semblant d’être seul⋅e derrière son « je »
Parler à la place des autres c’est une question
de contexte
d’institution, de diffusion, de daddy
pas uniquement de pronom
au moins, « nous » c’est clair
ça fait pas semblant d’être seul⋅e derrière son « je »
Et c’est comme ça que nous serions devenues une de plus.
Celle-ci serait sortie de notre coude ou de notre bouche, aurait roulé sur le bas-côté de la route, aurait ni dans le parc, luisante de spirit-placenta, où elle se serait déployée avec son out t original, ses traits composites, son caractère original, ses pensées originales, sa mini-toile d’araignée tatouée sous l’œil gauche, sa mini-clé en cristal accrochée au cartilage de l’oreille, et la certitude que ce qui compte c’est d’émerger comme un fait saillant, en donnant la main au bon ou à la bonne gardien⋅ne de portail.
Certainement pas de produire des pensées originales.
Avant d’être confinée et en télétravail, je m’imaginais me déplacer sur le site dans ces petits véhicules électriques qui ressemblent à des poussettes pour adultes. J’aurais voulu que le bureau, le meuble sous clé, le pc portable, l’adaptateur pour vidéoprojecteur et la carte d’accès que l’on m’avait fournie à notre arrivée « viennent avec » un tel véhicule. Ainsi, conduisant sans permis vers le bâtiment 26, j’aurais pu élaborer poétiquement autour de cet usage de « venir » : le confort de l’assortiment, la cohérence d’un système d’objets qui me vient dessus (autrement dit, sa consistance). Ou la vision que l’ensemble jouit quand il est complété du dernier élément, celui avec lequel « il vient » dans ma phrase.
En épluchant scrupuleusement le volume [La littérature est une affaire politique], on relève que la littérature « change le regard », elle « dit non », « partage une vision avec le plus grand nombre », « donne une image du monde », « provoque des prises de conscience », « met en lumière des aspects de notre réalité […] déterminants », « pense le monde dans toute sa complexité », « alerte », « inquiète », « éveille les consciences », nous fait « faire l’expérience de la pluralité », « offre un mode de connaissance où le sensible et le rationnel se rejoignent », « porte un regard critique sur le monde », est « l’espace où se manifeste la vérité », qui « lève des voiles » et fait « tomber des illusions », développe « une conscience poétique de la présence de la diversité du monde », contribue à « nous ouvrir l’imaginaire », constitue un « mode de connaissance où se rejoignent le sensible et le rationnel », « accroît la connaissance », délivre une « instruction sans fin », contribue à « la connaissance et la circulation du savoir », introduit « une vision du monde un peu décalée ». Ou encore : « lieu de l’émotion, de l’intériorité, donc de l’universel », la littérature « cultive le flou, l’ambigu, les contradictions ».
Comme en politique, le centrisme en théorie n’est généralement ni de gauche ni de gauche. Un indicateur assez fiable en la matière est la place, centrale ou marginale, qu’on reconnaît à la critique. Ce moment thérapeutique de la littérature contemporaine, dont la diffusion et la pénétration n font guère de doute, gagnerait à être ressaisi au prisme de la théorie de la reconnaissance qu’a développée Axel Honneth depuis les années 1980 au sein de l’Institut für Sozialforschung de Francfort et qui paraît assez congruente avec ces tendances littéraires de fond. Cette philosophie émerge dans une conjoncture fracturée entre deux tendances contradictoires qu’elle cherche précisément à suturer : d’un côté la prévalence d’un individualisme singulariste, démocratisant l’exigence personnelle de distinction et redoutant entre tout l’interchangeabilité et la standardisation ; de l’art, une société démocratique désaffiliée, sans projet collectif, au lien social pulvérisé sur fond du recul de l’État social provoqué par les politiques néolibérales et où l’expérience concrète de l’égalité et de la dignité est pour l’essentiel empêchée. Pour Honneth, une société qui faillirait dans la reconnaissance et où ferait défaut l’expression de l’amour, du respect, de l’estime dégénérerait alors en une « société du mépris », frappée par des « pathologies du social » qui viendraient infecter le fonctionnement normatif de la paisible intersubjectivité démocratique. Voilà qui consonne très précisément avec ces littératures qui visent à amplifier l’empathie sociale, à conjurer l’invisibilité sociale et à redonner une voix à celles et ceux qui en sont privé⋅es.
[…]L’outillage de la philosophie d’Honneth paraît donc d’un usage pertinent. Cela dit, on pourrait ne pas s’n satisfaire tout à fait. D’une part, lutter contre la mal-représentation par la littérature revient à bricoler le temps de la communication littéraire des parlements de substitution et à limiter l’écriture romanesque (surtout romanesque) à des missions de maintenance d’institutions parlementaires défaillantes. […] Cette littérature « collée à la phénoménologie des situations politiques » (Lucbert) n’est alors politique que parce que, faute de redisposer quoi que ce soit, elle contribue à l’aménagement d’un statu quo.
D’autre part, et c’est autrement plus fondamental encore, quand bien même on ferait droit à la tradition critique, la philosophie de la reconnaissance d’Honneth n’en constitue jamais qu’une version édulcorée. La démonstration en a été nettement faite par Stathis Kouvélakis : c’est en effet une entreprise d’aménagement de l’héritage d’Habermas dans le cadre de l’Allemagne néolibérale qui a finir par réduire la tradition critique de l’École de Francfort à une « thérapeutique du social ». Triple réduction pourrait-on même dire, qui internalise la question sociale à l’échelle d’une vie morale intersubjective ; qui provoque ensuite un amuïssement de la conflictualité, particulièrement des luttes sociales et politiques qui ne sont jamais que des anomalies venant tout au plus dissoner dans le concert rationnel de la démocratie habermasienne ; et qui entraîne enfin une « lyophilisation » de la réification lukàcsienne sous la forme d’un simple déni de reconnaissance.