Déjà le nom : un fail. Et le trai­te­ment qu’en font les actua­li­tés télé­vi­sées de l’époque. Petite gram­maire du fris­son maî­tri­sé. Musique — l’expertise pro­tège — la presse en réfé­rence — les enquê­teurs cernent les douilles — le poste de tireurs / le poste de radio — madame constate / mon­sieur se fait pan­ser — tout est sous contrôle mais rien n’est pas grave — les fêtes, par­don les FAITS — minute info­gra­phie — sono­ri­sa­tion délé­guée à l’ingénieur ves­tern — les voi­tures ONT pas­sé — les conju­rés ont déta­lé — le gros index dans son pan­sé : c’est peu gra­ve­ment — futur, pas de nar­ra­tion, mais pro­phé­tique : on exa­mi­ne­ra, le tra­vail sera fait — il y a miracle, on peut le dire comme ça.

Et si on fait appa­raître la trans­crip­tion de la video, les “sous-titres auto­ma­tiques” géné­rés par you­tube sont confon­dants : “l’attentât”. C’est bien, c’est les années 60. Jamais nous ne revi­vrons ça. Le poème de la trans­crip­tion vaut le coup d’œil :

juste dans l’absolu le tir les enquêtes conti­nuent
si inutile que le vtt

Tombé sur L’Orchésograpie de Thoinot Arbeau (1588), un recueil de nota­tions cho­ré­gra­phiques pour branles, appel­la­tion géné­rique qui regroupe des danses popu­laires héri­tières de la ronde médié­vale. Le texte prend la forme d’une dis­pute entre l’auteur et un contra­dic­teur ima­gi­naire. Pour le lec­teur d’aujourd’hui, c’est un maquis d’orthographes irré­gu­lières et réjouis­santes.

À pro­pos du bransle des che­vaulx :

A ce pro­pos, jay veu que l’on dan­çoit en ceste ville un branle, qu’on nom­moit le branle des che­vaulx, ou l’on fai­soit des tap­pe­ments de pied, comme au branle pre­cedent, & me semble que l’air est tel ou sem­blable que voyez en la tabu­la­ture suy­vante, laquelle se dan­çoit par mesure binaire, comme le branle com­mun, le jeune homme tenant sa Damoiselle par les deux mains. Le com­men­ce­ment de l’air dudit branle estoit comme voyez icy not­té, & se dan­çoit par quatre doubles a gaulche, & par quatre doubles a droit.

arbeau

Double a gaul. Double a droit. Double a gaul. Double a droit. Double a gaul. Double a droit. Double a gaul. Double a droit.

À pro­pos de la volte :

Arbeau
Et aprés avoir tour­noyé par tant de cadances qu’il vous plai­ra, res­ti­tue­rez la damoi­selle en sa place, ou elle sen­ti­ra (quelque bonne conte­nance qu’elle face) son cer­veau esbran­lé, plain de ver­tigues & tor­noye­ments de teste, & vous n’en aurez peult estre pas moins : Je vous laisse à consi­de­rer si cest chose bien seante à une jeusne fille de faire de grands pas & ouver­tures de jambes : Et si en ceste volte l’honneur & la san­té y sont pas  hazar­dez & inter­es­sez. Je vous en ay des­ja dit mon opi­nion.

Capriol
Ce ver­tigues & tor­noie­ments de cer­veau me fasche­roient.

À pro­pos des mou­ve­ments de la gaillarde :

Capriol
Vous ne me dictes point comme pour­ra estre ceste obli­qui­té, ce que je ne vous demande pas sans cause, car les Geometres tiennent qu’entre les lignes de l’esquierre, il y a infi­nies lignes obliques.

Arbeau
Ceste obli­qui­té est delais­see à l’arbitraige du dan­ceur, tel­le­ment que s’il luy plait, il met­tra le pied qui se repose à l’esquierre contre le pied qui sous­tient le corps, ou en tel lieu qu’il luy plai­ra, entre deux, appro­chant le pied joinct, pour­veu que ce ne soit ledit pied joinct : Car de pas­ser le traict de l’esquierre, la flexion de la jambe ne le per­mect natu­rel­le­ment : Voyez cy la figure dudit mou­ve­ment des pieds joincts obliques.

Pied joinct oblique gaulche. / Pied joinct oblique droict.

arbeau2

Se dés­ins­crire de Badou est la cor­res­pon­dance entre d’at­ta­chants uti­li­sa­teurs d’un réseau social aux abois, et un impos­teur qui dans le fond imposte beau­coup moins que ce réseau social aux abois. Ces mails pro­viennent des Archives Mystérieuses de Le Internet, et ont été regrou­pées par Cid Jean-Palefrenier Cornemuse VII.

Les poe­try consul­ta­tions sont des pro­po­si­tions payantes de cor­rec­tion, d’aide à la cor­rec­tion, d’aide à l’é­man­ci­pa­tion poé­tique, de rec­ti­fi­ca­tion faites par des poètes plus ou moins confir­més, met­tant sou­vent en avant une forme d’ex­per­tise et de légi­ti­mi­té par la publi­ca­tion papier, mais offrant leur aide essen­tiel­le­ment sur Internet. Les poèmes sont dis­cu­tés, anno­tés, com­men­tés – en marge, comme un devoir. “The ali­te­ra­tion here works well”, “I love this line, so wet and true”. La cri­tique y est déses­pé­ré­ment cal­quée sur l’a­na­lyse uni­ver­si­taire la plus nor­ma­tive, la moins ima­gi­na­tive :

Spectacular stan­za. It is eve­ry­thing to me that poe­try is – deli­cious in content and in the exe­cu­tion of expressing/illustrating the content.1

Les figures connues du “poé­tique” y sont valo­ri­sées, on y blâme tout ce qui ne fait pas suf­fi­sam­ment signe au lit­té­raire 2. Ce n’est donc pas une chose très drôle.

Les poe­try consul­ta­tions jouent, à un degré anec­do­tique mais dans toute la dimen­sion de la mes­qui­ne­rie de leur pro­jet, le rôle de petites ins­tances de la sub­jec­ti­vi­té. Elles ont l’ambition typique des maga­zines qui aident à mieux (habi­ter corps, esprits, mai­sons, jar­dins, se trou­ver & être soi-même), c’est-à-dire l’ambition d’un bon gros main­tien de l’ordre rhé­to­rique, qui consigne le sujet lors de com­pa­ru­tions réglées.

Les témoins les plus zélés de cette juri­dic­tion ne sont pour­tant pas ces gref­fiers iso­lés aux manières de bourres en retraite, mais ceux aux­quels on veut bien prê­ter le nom d’écrivain ou de poète pour­vu que leurs dio­ra­mas ne quittent pas le musée des éta­gères par­ti­cu­lières. Leur rire, devant l’effrayante fami­lia­ri­té de ce qui les dévi­sage, masque mal un ric­tus de civi­li­sé ; ils savent qu’aucun de leurs livres au fond n’enfreint ce règle­ment et que leur langue épouse le « monde disert », dont parle Bataille, « où la logique réduit chaque chose à l’ordonnance ».

Le style, qu’ils révèrent sous dif­fé­rents noms, est tou­jours plus ou moins de l’ordre du per­fec­tion­ne­ment social et ne se donne aucune chance, en tant que tel, de révé­ler en se dis­tin­guant les degrés rhé­to­riques des dis­cours ambiants. Ils n’aggravent rien, ils accom­pagnent sim­ple­ment les évo­lu­tions d’une langue de cour et font, dans l’excitation badine d’une chasse réglée du sens, du cut-up sans le savoir.

Leurs réfé­rences sont par­fois excel­lentes mais, consi­dé­rées comme les témoi­gnages d’un usage par­ti­cu­lier de la langue, il ne leur est offert que de trou­bler l’usage. Usage qui repro­duit l’ordinaire déduit du sens & du son, dans une réponse par­fai­te­ment adres­sée à une sup­po­sée com­mande sociale d’époque.

Cette manière qui s’ignore a pris conseil dans ses lec­tures dont elle a fait des modèles tech­niques. Elle a infi­ni­ment consul­té et fina­le­ment pro­duit des TPE 3, ate­liers, work­shops ou mas­ters de crea­tive wri­ting 4, qui signalent la règle com­prise & l’exercice assi­mi­lé. Ainsi, pour­vu qu’il cultive sa peur d’être indigne de la langue des autres, notre élève sera admis­sible aux normes d’une com­mu­ni­ca­tion par­ta­geable comme un des­sert.

 

 

  1. « Strophe spec­ta­cu­laire. C’est tout ce qu’est pour moi la poé­sie – déli­cieuse dans le conte­nu et dans la façon d’exprimer/illustrer le conte­nu. »
  2. Quelques pro­po­si­tions de poe­try consul­ta­tion : 1, 2, 3, 4, 5Ici, un cas par­ti­cu­lier de poé­sie à usage thé­ra­peu­tique.
  3. TPE : 1) tra­vaux per­son­nels enca­drés ; 2) Très petites entre­prises
  4. Ainsi intro­duits : Création lit­té­raire, juste une mise au point.