Ces objets ressemblent à des débiteurs qui nous rendraient la valeur que nous leur prêtons assortie d’intérêts fantastiques ; et à la vérité, il n’existe pas d’objets qui ne soient ainsi débiteurs. Cette qualité propre aux vêtements ne l’est pas moins aux convictions, aux préjugés, théories, espérances, croyances et pensées ; l’absence de pensées elle-même la possède dans la mesure où elle réussit à tirer d’elle seule la conviction de son bien-fondé. Toutes ces choses, en nous prêtant le pouvoir dont nous leur faisons crédit, servent à situer le monde dans une lumière qui émane de nous ; et ce n’est pas à une autre fin, somme toute, que chaque homme adopte son système particulier. Avec un art divers et considérable, nous fabriquons un aveuglement qui nous permet de vivre à côté des choses les plus monstrueuses sans en être ébranlés, parce que nous reconnaissons dans ces grimaces pétrifiées de l’univers ici une chaise, là une table, ici un cri ou un bras tendu, là une vitesse ou un poulet rôti. Entre l’abîme du ciel au-dessus de nos têtes et un autre abîme céleste, facile à camoufler, sous nos pieds, nous parvenons à nous sentir aussi tranquilles sur terre que dans une chambre fermée. Nous savons que la vie va se perdre aussi bien dans les étendues inhumaines de l’espace que dans les inhumaines petitesses de l’atome, mais entre deux, nous ne craignons pas d’appeler « objets » une simple couche d’illusions, alors qu’il ne s’agit en fait que d’une préférence accordée aux impressions qui nous viennent d’une certaine distance moyenne. Une telle attitude est très au-dessous du niveau de notre intelligence ; cela seul suffit à prouver que notre sentiment y a une grande part. En effet, les dispositions intellectuelles les plus importantes que prenne l’homme servent toutes à maintenir une humeur à peu près constante, et tous les sentiments, toutes les passions du monde ne sont rien à côté de l’effort énorme, mais parfaitement inconscient, qu’il fait pour préserver sa parfaite sérénité intérieure ! C’est là une chose, apparemment, dont il ne vaut presque pas la peine de parler, tant elle fonctionne irréprochablement. Quand on y regarde de plus près, on voit que c’est un état de conscience extrêmement artificiel qui donne à l’homme une démarche sûre entre les orbites des astres et lui permet, au milieu de l’obscurité presque infinie du monde, de glisser dignement sa main entre le deuxième et le troisième bouton de son veston. Pour y parvenir, il faut non seulement que chaque homme, l’idiot comme le sage, ait ses trucs personnels, mais encore que ces systèmes individuels de trucs s’insèrent artistement dans les dispositions d’équilibres, morales et intellectuelles, de la société et de la communauté, qui servent, en plus grand, au même usage. Cet engrènement est analogue à celui de la grande Nature où tous les champs magnétiques de l’univers agissent sur celui de la terre sans qu’on s’en aperçoive, parce que l’histoire terrestre en est précisément le produit ; et le soulagement intellectuel que cela entraîne est si grand que les plus sages des hommes, exactement comme les petites filles qui ne savent rien, demeurant sans aucune inquiétude, se croient intelligents et bons.
Solche Gegenstände gleichen Schuldnern, die den Wert, den wir ihnen leihen, mit phantastischen Zinsen zurückzahlen, und eigentlich gibt es nichts als Schuldnerdinge. Denn jene Eigenschaft der Kleidungsstücke besitzen auch Überzeugungen, Vorurteile, Theorien, Hoffnungen, der Glaube an irgendetwas, Gedanken, ja selbst die Gedankenlosigkeit besitzt sie, sofern sie nur kraft ihrer selbst von ihrer Richtigkeit durchdrungen ist. Sie alle dienen, indem sie uns das Vermögen leihen, das wir ihnen borgen, dem Zweck, die Welt in ein Licht zu stellen, dessen Schein von uns ausgeht, und im Grunde ist nichts anderes als dies die Aufgabe, für die jeder sein besonderes System hat. Mit großer und mannigfaltiger Kunst erzeugen wir eine Verblendung, mit deren Hilfe wir es zuwege bringen, neben den ungeheuerlichsten Dingen zu leben und dabei völlig ruhig zu bleiben, weil wir diese ausgefrorenen Grimassen des Weltalls als einen Tisch oder einen Stuhl, ein Schreien oder einen ausgestreckten Arm, eine Geschwindigkeit oder ein gebratenes Huhn erkennen. Wir sind imstande, zwischen einem offenen Himmelsabgrund über unserem Kopf und einem leicht zugedeckten Himmelsabgrund unter den Füßen, uns auf der Erde so ungestört zu fühlen wie in einem geschlossenen Zimmer. Wir wissen, daß sich das Leben ebenso in die unmenschlichen Weiten des Raums wie in die unmenschlichen Engen der Atomwelt verliert, aber dazwischen behandeln wir eine Schicht von Gebilden als die Dinge der Welt, ohne uns im geringsten davon anfechten zu lassen, daß das bloß die Bevorzugung der Eindrücke bedeutet, die wir aus einer gewissen mittleren Entfernung empfangen. Ein solches Verhalten liegt beträchtlich unter der Höhe unseres Verstandes, aber gerade das beweist, daß unser Gefühl stark daran teil hat. Und in der Tat, die wichtigsten geistigen Vorkehrungen der Menschheit dienen der Erhaltung eines beständigen Gemütszustands, und alle Gefühle, alle Leidenschaften der Welt sind ein Nichts gegenüber der ungeheuren, aber völlig unbewußten Anstrengung, welche die Menschheit macht, um sich ihre gehobene Gemütsruhe zu bewahren ! Es lohnt sich scheinbar kaum, davon zu reden, so klaglos wirkt es. Aber wenn man näher hinsieht, ist es doch ein äußerst künstlicher Bewußtseinszustand, der dem Menschen den aufrechten Gang zwischen kreisenden Gestirnen verleiht und ihm erlaubt, inmitten der fast unendlichen Unbekanntheit der Welt würdevoll die Hand zwischen den zweiten und dritten Rockknopf zu stecken. Und um das zuwege zu bringen, gebraucht nicht nur jeder Mensch seine Kunstgriffe, der Idiot ebensogut wie der Weise, sondern diese persönlichen Systeme von Kunstgriffen sind auch noch kunstvoll eingebaut in die moralischen und intellektuellen Gleichgewichtsvorkehrungen der Gesellschaft und Gesamtheit, die im Größeren dem gleichen Zweck dienen. Dieses Ineinandergreifen ist ähnlich dem der großen Natur, wo alle Kraftfelder des Kosmos in das der Erde hineinwirken, ohne daß man es merkt, weil das irdische Geschehen eben das Ergebnis ist ; und die dadurch bewirkte geistige Entlastung ist so groß, daß sich die Weisesten genau so wie die kleinen Mädchen, die nichts wissen, in ungestörtem Zustande sehr klug und gut vorkommen.
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t. 1
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chap. 109
: « Bonadea, la Cacanie : systèmes de bonheur et d’équilibre »
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trad.
Philippe Jaccottet
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p. 701–702