À cette époque, par­mi les gens à la page, on était géné­ra­le­ment pour « l’es­prit actif » ; on avait recon­nu que le devoir de « l’homme-cer­veau » était de prendre le pas sur « l’homme-ventre ». De plus, il y avait quelque chose que l’on appe­lait l’ex­pres­sion­nisme ; on ne pou­vait pas expli­quer avec pré­ci­sion ce que c’é­tait, mais, le mot lui-même le disait, c’é­tait une manière de faire sor­tir quelque chose au-dehors ; peut-être des visions construc­tives, si celles-ci, com­pa­rées avec la tra­di­tion artis­tique, n’a­vaient pas été aus­si bien des­truc­tives, de sorte qu’on pou­vait les appe­ler tout sim­ple­ment « struc­tives », cela n’en­ga­geait à rien : « une concep­tion du monde struc­tive », la for­mule ne sonne pas mal.

Im all­ge­mei­nen war man damals unter vor­ges­chrit­te­nen Leuten für akti­ven Geist ; man hatte die Pflicht der Hirnmenschen erkannt, die Führung der Bauchmenschen an sich zu reißen. Außerdem gab es etwas, was man Expressionismus nannte ; man konnte nicht genau ange­ben, was das sei, aber es war, wie das Wort sagte, eine Hinauspressung ; viel­leicht von kons­truk­ti­ven Visionen, jedoch waren diese, mit der künst­le­ri­schen Überlieferung ver­gli­chen, auch des­truk­tiv, darum kann man sie auch ein­fach struk­tiv nen­nen, es verp­flich­tet zu nichts, und eine struk­tive Weltauffassung, das klingt ganz respek­ta­bel.

 

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chap. 99  : « De la demi-intel­li­gence et de sa fer­tile seconde moi­tié ; de l’analogie de deux époques, de l’aimable nature de tante Jane et de ce monstre qu’on appelle les Temps nou­veaux »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 570

De nos jours, on fait comme si le natio­na­lisme n’était qu’une inven­tion des fabri­cants d’armes, mais cela ne devrait pas nous empê­cher de ris­quer une fois une expli­ca­tion plus large : et la Cacanie four­ni­rait à une telle ten­ta­tion une contri­bu­tion impor­tante. Les habi­tants de cette double monar­chie, impé­riale-et-royale et impé­riale-royale, se trou­vaient devant une tâche dif­fi­cile : ils devaient se consi­dé­rer comme des patriotes impé­ria­le­ment et roya­le­ment aus­tro-hon­grois, mais en même temps comme des patriotes roya­le­ment hon­grois ou impé­ria­le­ment-roya­le­ment autri­chiens. Devant de telles dif­fi­cul­tés, on com­pren­dra que leur devise fût : « Toutes forces unies ! » Autrement dit : Viribus uni­tis. Mais, pour cela, les Autrichiens avaient besoin de forces beau­coup plus grandes que les Hongrois. Car les Hongrois, une fois pour toutes, n’étaient que hon­grois, et ce n’est qu’accessoirement qu’ils pas­saient aus­si, aux yeux de ceux qui ne com­pre­naient pas leur langue, pour des Austro-Hongrois ; les Autrichiens, en revanche, n’étaient, à l’origine, rien du tout, et leurs auto­ri­tés vou­laient qu’ils se sen­tissent éga­le­ment aus­tro-hon­grois ou autri­chiens-hon­grois (il n’y avait même pas de mot exact pour dire la chose). D’ailleurs, il n’y avait pas d’Autriche du tout. Les deux par­ties, Autriche et Hongrie, s’accordaient entre elles comme une veste rouge-blanc-vert et un pan­ta­lon jaune et noir ; la veste était une pièce en soi, mais le pan­ta­lon n’était que le reste d’un cos­tume jaune et noir qui n’existait plus depuis 1876. Depuis lors, le pan­ta­lon Autriche se nom­mait, dans le lan­gage offi­ciel, « les royaumes et pays repré­sen­tés à l’Assemblée », ce qui bien enten­du n’était plus qu’une for­mule creuse, un ensemble de noms : car ces royaumes aus­si, par exemple ceux, tout sha­kes­pea­riens, de Lodomérie et d’Illyrie, il y avait long­temps qu’ils n’existaient plus ; même au temps où l’habit jaune et noir était encore com­plet, ils avaient déjà ces­sé d’exister. C’est pour­quoi, si l’on deman­dait à un Autrichien ce qu’il était, il ne pou­vait évi­dem­ment pas répondre : Je suis un membre des « royaumes et pays repré­sen­tés à l’Assemblée », et qui n’existent pas ; il pré­fé­rait dire, ne fût-ce que pour cette rai­son : Je suis polo­nais, tchèque, ita­lien, friou­lien, ladin, slo­vène, croate, serbe, slo­vaque, ruthène ou valaque : le pré­ten­du natio­na­lisme, c’était ça. Qu’on se figure un chat-huant qui ne sait pas s’il est un chat ou un hibou, un être qui n’a aucune idée de soi-même, et l’on com­pren­dra que ses propres ailes, en cer­taines cir­cons­tances, puissent lui ins­pi­rer une angoisse sans remède. C’était là les rela­tions des Cacaniens entre eux : ils se consi­dé­raient les uns les autres avec la peur panique de frag­ments qui, toutes forces unies, s’empêchent réci­pro­que­ment d’être quelque chose. Depuis que le monde est monde, il n’est pas un seul être qui soit mort faute de nom ; on n’en a pas moins le droit d’ajouter que c’est ce qui arri­va à la double monar­chie autri­chienne et hon­groise et aus­tro-hon­groise : elle périt d’être inex­pri­mable.

Man tut heute so, als ob der Nationalismus ledi­glich eine Erfindung der Armeelieferanten wäre, aber man sollte es auch ein­mal mit einer erwei­ter­ten Erklärung ver­su­chen, und zu einer sol­chen lie­ferte Kakanien einen wich­ti­gen Beitrag. Die Bewohner die­ser kai­ser­lich und köni­gli­chen kai­ser­lich köni­gli­chen Doppelmonarchie fan­den sich vor eine schwere Aufgabe ges­tellt ; sie hat­ten sich als kai­ser­lich und köni­glich öster­rei­chisch-unga­rische Patrioten zu füh­len, zugleich aber auch als köni­glich unga­rische oder kai­ser­lich köni­glich öster­rei­chische. Ihr begrei­fli­cher Wahlspruch ange­sichts sol­cher Schwierigkeiten war »Mit verein­ten Kräften!« Das hieß viri­bus uni­tis. Die Österreicher brauch­ten aber dazu weit größere Kräfte als die Ungarn. Denn die Ungarn waren zuerst und zuletzt nur Ungarn, und bloß neben­bei gal­ten sie bei ande­ren Leuten, die ihre Sprache nicht vers­tan­den, auch für Österreich-Ungarn ; die Österreicher dage­gen waren zuerst und urs­prün­glich nichts und soll­ten sich nach Ansicht ihrer Oberen gleich als Österreich-Ungarn oder Österreicher-Ungarn füh­len, – es gab nicht ein­mal ein rich­tiges Wort dafür. Es gab auch Österreich nicht. Die bei­den Teile Ungarn und Österreich paß­ten zu einan­der wie eine rot-weiß-grüne Jacke zu einer schwarz-gel­ben Hose ; die Jacke war ein Stück für sich, die Hose aber war der Rest eines nicht mehr bes­te­hen­den schwarz-gel­ben Anzugs, der im Jahre acht­zehn­hun­dert­sie­be­nund­se­ch­zig zer­trennt wor­den war. Die Hose Österreich hieß sei­ther in der amt­li­chen Sprache »Die im Reichsrate ver­tre­te­nen Königreiche und Länder«, was natür­lich gar nichts bedeu­tete und ein Name aus Namen war, denn auch diese Königreiche, zum Beispiel die ganz Shakespeareschen Königreiche Lodomerien und Illyrien gab es läng­st nicht mehr und hatte es schon damals nicht mehr gege­ben, als noch ein gan­zer schwarz-gel­ber Anzug vorhan­den war. Fragte man darum einen Österreicher, was er sei, so konnte er natür­lich nicht ant­wor­ten : Ich bin einer aus den im Reichsrate ver­tre­te­nen Königreichen und Ländern, die es nicht gibt, – und er zog es schon aus die­sem Grunde vor, zu sagen : Ich bin ein Pole, Tscheche, Italiener, Friauler, Ladiner, Slowene, Kroate, Serbe, Slowake, Ruthene oder Wallache, und das war der soge­nannte Nationalismus. Man stelle sich ein Eichhörnchen vor, das nicht weiß, ob es ein Eichhorn oder eine Eichkatze ist, ein Wesen, das kei­nen Begriff von sich hat, so wird man vers­tehn, daß es unter Umständen vor sei­nem eige­nen Schwanz eine heillose Angst bekom­men kann ; in sol­chem Verhältnis zu einan­der befan­den sich aber die Kakanier und betrach­te­ten sich mit dem pan­i­schen Schreck von Gliedern, die einan­der mit verein­ten Kräften hin­dern, etwas zu sein. Seit Bestehen der Erde ist noch kein Wesen an einem Sprachfehler ges­tor­ben, aber man muß wohl hin­zufü­gen, der öster­rei­chi­schen und unga­ri­schen öster­rei­chisch-unga­ri­schen Doppelmonarchie wider­fuhr es trotz­dem, daß sie an ihrer Unaussprechlichkeit zugrunde gegan­gen ist.

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chap. 98  : « Sur un État qui périt faute de nom »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 566–568

Il se pas­sait beau­coup de choses, et l’on ne man­quait pas de s’en aper­ce­voir. On les trou­vait bonnes quand on en était l’auteur, sus­pectes quand elles étaient dues aux autres. Dans le détail, le pre­mier éco­lier venu pou­vait com­prendre ce qui se pro­dui­sait ; dans l’ensemble, nul ne le savait exac­te­ment, hor­mis quelques per­sonnes qui n’en étaient même pas très sûres. Un peu plus tard, toutes ces choses auraient pu arri­ver dans une suc­ces­sion modi­fiée ou inverse sans qu’on y vît nulle dif­fé­rence, à l’exception de ces quelques chan­ge­ments qui résistent au temps sans qu’on sache pour­quoi et forment le sillon baveux de l’escargot his­to­rique.

Es ges­chah viel, und man merkte es auch. Man fand es gut, wenn man es selbst tat, und war bedenk­lich, wenn es andere taten. Im ein­zel­nen konnte es jeder Schuljunge vers­te­hen, aber im gan­zen wußte nie­mand recht, was eigent­lich vor sich ging, bis auf wenige Personen, und die waren nicht sicher, ob sie es wuß­ten. Einige Zeit spä­ter hätte alles auch in geän­der­ter oder umge­kehr­ter Reihenfolge gekom­men sein kön­nen, und man hätte kei­nen Unterschied gefun­den, mit Ausnahme gewis­ser Veränderungen, die auf die Dauer der Zeit eben unbe­grei­fli­cher­weise zurück­blei­ben und die Schleimspuren der his­to­ri­schen Schnecke bil­den.

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chap. 98  : « Sur un État qui périt faute de nom »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 565

Dans le même temps, la police orga­ni­sa une grande Exposition du Jubilé à l’ou­ver­ture de laquelle toute la haute socié­té assis­ta. Le Préfet de Police s’é­tait ren­du auprès de Son Altesse pour lui remettre en per­sonne son invi­ta­tion, et lorsque, le comte Leinsdorf entrant, il s’a­van­ça pour l’ac­cueillir, le Préfet recon­nut à ses côtés le « Secrétaire d’hon­neur et col­la­bo­ra­teur volon­taire » qui lui fut pré­sen­té une seconde fois, bien que ce fût super­flu, ce qui lui don­na l’oc­ca­sion de faire briller sa légen­daire mémoire des visages : il avait la répu­ta­tion de connaître per­son­nel­le­ment un citoyen sur dix, ou tout au moins d’a­voir quelques ren­sei­gne­ments sur lui. Diotime vint aus­si, en com­pa­gnie de son mari, et tous ceux qui étaient appa­rus atten­daient un membre de la famille impé­riale, auquel un cer­tain nombre d’entre eux furent pré­sen­tés ; tout le monde s’ac­cor­da pour dire que l’ex­po­si­tion était pas­sion­nante et par­fai­te­ment réus­sie. Elle com­bi­nait des images accro­chées aux murs et des sou­ve­nirs de grands crimes en montre dans des armoires ou des pupitres vitrés. Parmi ces sou­ve­nirs, l’on voyait du maté­riel de fric-frac, des ate­liers de faus­saires, des bou­tons per­dus qui avaient ser­vi d’in­dices, et tout le tra­gique outillage des assas­sins célèbres accom­pa­gnés de légendes, tan­dis que les images aux murs, contras­tant avec cet arse­nal d’é­pou­vante, repré­sen­taient des sujets édi­fiants tirés de la vie du poli­cier. On pou­vait voir là le brave agent qui aide une petite vieille à tra­ver­ser la chaus­sée, le grave agent debout auprès du cadavre reti­ré de la rivière, le cou­ra­geux agent qui se jette au-devant d’un atte­lage embal­lé, une « Allégorie de la Police pro­té­geant la Cité », l’en­fant per­du au poste, enca­dré par deux pater­nels repré­sen­tants de la loi, l’agent brû­lant qui porte dans ses bras une jeune fille arra­chée au bra­sier, à quoi s’a­jou­taient nombre d’autres images du genre « Premier secours », « En fac­tion soli­taire », à côté des pho­to­gra­phies des fidèles agents, remon­tant jus­qu’à l’an­née de ser­vice 1869, avec l’é­vo­ca­tion de leur car­rière et des poèmes enca­drés qui magni­fiaient leur acti­vi­té.

Die Polizei verans­tal­tete in der glei­chen Zeit eine Jubiläumsausstellung, zu deren Eröffnung die ganze Gesellschaft erschien, und der Polizeipräsident hatte persön­lich bei Sr. Erlaucht vor­ges­pro­chen, um ihm die Einladung zu über­brin­gen, und als Graf Leinsdorf ein­traf und emp­fan­gen wurde, erkannte der Polizeipräsident den »frei­willi­gen Helfer und Ehrensekretär« an sei­ner Seite, der mit ihm über­flüs­si­ger­weise noch ein­mal bekannt gemacht wurde, was dem Präsidenten Gelegenheit gab, sein sagen­haftes Personengedächtnis zu zei­gen, denn er stand im Ruf, jeden zehn­ten Staatsbürger persön­lich zu ken­nen oder min­des­tens über ihn unter­rich­tet zu sein. Auch Diotima kam in Begleitung ihres Gemahls, und alle, die erschie­nen waren, war­te­ten auf ein Mitglied des Kaiserhauses, dem ein Teil von ihnen vor­ges­tellt wurde, und es gab nur eine Stimme, daß die Ausstellung sehr gelun­gen und fes­selnd sei. Sie bes­tand aus dem inni­gen Ineinander von Bildern, die an den Wänden hin­gen, und Erinnerungsgegenständen an große Verbrechen, die in Glasschränken und ‑pul­ten auf­ges­tellt waren. Zu die­sen gehör­ten Einbruchsgerät, Fälscherwerkstätten, ver­lo­rene Knöpfe, die auf Spuren geführt hat­ten, und das tra­gische Werkzeug bekann­ter Mörder samt den dazu­gehö­ri­gen Legenden, wäh­rend die Bilder an den Wänden, im Gegensatz zu die­sem Schreckensarsenal, erbau­liche Vorwürfe aus dem Leben der Polizei dars­tell­ten. Da waren der brave Wachmann zu sehen, der das alte Mütterchen über die Straße gelei­tet, der ernste Wachmann vor der vom Fluß anges­ch­wemm­ten Leiche, der tap­fere Wachmann, der sich scheuen­den Pferden in die Zügel wirft, eine »Allegorie der Sicherheitsbehörde als Hüterin der Stadt«, das verirrte Kind zwi­schen den müt­ter­li­chen Schutzleuten auf der Wachstube, der bren­nende Wachmann, der auf sei­nen Armen ein Mädchen aus Feuersnot trägt, und dann noch viele sol­cher Bilder wie »Erste Hilfe«, »Auf ein­sa­mem Posten«, nebst den Photographien wacke­rer Schutzleute, bis auf das Dienstjahr 1869 zurück, den Beschreibungen ihrer Lebensläufe und ein­ge­rahm­ten Gedichten, die das Wirken der Polizei oder ein­zel­ner ihrer Funktionäre verherr­lich­ten.

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chap. 98  : « Sur un État qui périt faute de nom »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 560–561

Nous sommes désor­mais en mesure d’i­den­ti­fier les pos­tu­lats d’ordre social com­muns aux théo­ries poli­tiques les plus impor­tantes du XVIIe siècle et d’ap­pré­cier le rôle qu’elles y jouent. Du même coup, il est nous est pos­sible de com­prendre les pro­blèmes qu’ils posent à la démo­cra­tie libé­rale aujourd’­hui.

En tant qu’af­fir­ma­tion d’une pro­prié­té, l’in­di­vi­dua­lisme repose sur une série de pos­tu­lats que résument assez bien les sept pro­po­si­tions sui­vantes :

Proposition I : L’homme ne pos­sède la qua­li­té d’homme que s’il est libre et indé­pen­dant de la volon­té d’au­trui.

Proposition II : Cette indé­pen­dance et cette liber­té signi­fient que l’homme est libre de n’en­tre­te­nir avec autrui d’autres rap­ports que ceux qu’il éta­blit de son plein gré et dans son inté­rêt per­son­nel.

Proposition III : L’individu n’est abso­lu­ment pas rede­vable à la socié­té de sa per­sonne ou de ses facul­tés, dont il est le pro­prié­taire exclu­sif.

[…]

Proposition IV : L’individu n’a pas le droit d’a­lié­ner tota­le­ment sa per­sonne, qui lui appar­tient en propre ; mais il a le droit d’a­lié­ner sa force de tra­vail.

Proposition V : La socié­té humaine consiste en une série de rap­ports de mar­ché.

[…]

Proposition VI : Puisque l’homme ne pos­sède la qua­li­té d’homme que s’il est libre et indé­pen­dant de la volon­té d’au­trui, la liber­té de chaque indi­vi­du ne peut être légi­ti­me­ment limi­tée que par les obli­ga­tion et les règles néces­saires pour assu­rer à tous la même liber­té et la même indé­pen­dance.

Proposition VII : La socié­té poli­tique est d’ins­ti­tu­tion humaine : c’est un moyen des­ti­né à pro­té­ger les droits de l’in­di­vi­du sur sa per­sonne et sur ses biens, et (par consé­quent) à faire régner l’ordre dans les rap­ports d’é­change que les indi­vi­dus entre­tiennent en tant que pro­prié­taires de leur propre per­sonne.

[…]

Les pos­tu­lats de l’in­di­vi­dua­lisme […] sont par­ti­cu­liè­re­ment adap­tés aux socié­tés de mar­ché géné­ra­li­sé, car ils en expriment cer­tains aspects essen­tiels. C’est un fait que, dans ce type de socié­té, l’homme n’est homme que dans la mesure où il est son propre pro­prié­taire ; c’est un fait que son huma­ni­té dépend de sa liber­té de n’é­ta­blir avec ses sem­blables que des rap­ports contrac­tuels fon­dés sur son inté­rêt per­son­nel ; c’est éga­le­ment un fait que cette socié­té consiste en une série de rap­ports de mar­ché.

We are now in a posi­tion to consi­der the extent to which some iden­ti­fiable social assump­tions are com­mon to the main seven­teenth-cen­tu­ry poli­ti­cal theo­ries, and how they are rele­vant to the pro­blems of later libe­ral-demo­cra­tic socie­ty. The assump­tions which com­prise pos­ses­sive indi­vi­dua­lism may be sum­ma­ri­zed in the fol­lo­wing seven pro­po­si­tions.

(i) What makes a man human is free­dom from depen­dence on the wills of others.

(ii) Freedom from depen­dence on others means free­dom from any rela­tions with others except those rela­tions which the indi­vi­dual enters volun­ta­ri­ly with a view to his own inter­est.

(iii) The indi­vi­dual is essen­tial­ly the pro­prie­tor of his own per­son and capa­ci­ties, for which he owes nothing to socie­ty.

[…]

(iv) Although the 1nd1v1dual can­not alie­nate the whole of his pro­per­ty in his own per­son, he may alie­nate his capa­ci­ty to labour.

(v) Human socie­ty consists of a series of mar­ket rela­tions.

(vi) Since free­dom from the wills of others is what makes a man human, each indi­vi­dual’s free­dom can right­ful­ly be limi­ted only by such obli­ga­tions and rules as are neces­sa­ry to secure the same free­dom for others.

(vii) Political socie­ty is a human contri­vance for the pro­tec­tion of the indi­vi­dual’s pro­per­ty in his per­son and goods, and (the­re­fore) for the main­te­nance of order­ly rela­tions of exchange bet­ween indi­vi­duals regar­ded as pro­prie­tors of them­selves.

[…]

The assump­tions of pos­ses­sive indi­vi­dua­lism are pecu­liar­ly apro­priate to a pos­ses­sive mar­ket socie­ty, for they state cer­tain essen­tial facts that are pecu­liar to that socie­ty. The indi­vi­dual in a pos­ses­sive mar­ket socie­ty is human in his capa­ci­ty as pro­prie­tor of his own per­son ; his huma­ni­ty does depend on his free­dom from any but self-inter­es­ted contrac­tual rela­tions with others ; his socie­ty does consist of a series of mar­ket rela­tions.

 

Les pro­blèmes que sou­lève la théo­rie moderne de la démo­cra­tie libé­rale sont, nous le ver­rons, plus fon­da­men­taux qu’on ne l’a cru. Il nous est appa­ru qu’ils ne sont qu’au­tant d’ex­pres­sions d’une dif­fi­cul­té essen­tielle qui appa­raît aux ori­gines mêmes de l’in­di­vi­dua­lisme au XVIIe siècle : celui-ci est en effet l’af­fir­ma­tion d’une pro­prié­té, il est essen­tiel­le­ment pos­ses­sif. Nous dési­gnons ain­si la ten­dance à consi­dé­rer que l’in­di­vi­du n’est nul­le­ment rede­vable à la socié­té de sa propre per­sonne ou de ses capa­ci­tés, dont il est au contraire, par essence, le pro­prié­taire exclu­sif. À cette époque, l’in­di­vi­du n’est conçu ni comme un tout moral, ni comme la par­tie d’un tout social qui le dépasse, mais comme son propre pro­prié­taire. C’est dire qu’on attri­bue rétros­pec­ti­ve­ment à la nature de l’in­di­vi­du les rap­ports de pro­prié­té qui avaient alors pris une impor­tance déci­sive pour un nombre gran­dis­sant de per­sonnes, dont ils déter­mi­naient concrè­te­ment la liber­té, l’es­poir de se réa­li­ser plei­ne­ment. L’individu, pense-t-on, n’est libre que dans la mesure où il est pro­prié­taire de sa per­sonne et de ses capa­ci­tés. Or, l’es­sence de l’homme, c’est d’être libre, indé­pen­dant de la volon­té d’au­trui, et cette liber­té est fonc­tion de ce qu’il pos­sède. Dans cette pers­pec­tive, la socié­té se réduit à un ensemble d’in­di­vi­dus libres et égaux, liés les uns aux autres en tant que pro­prié­taires de leurs capa­ci­tés et de ce que l’exer­cice de celles-ci leur a per­mis d’ac­qué­rir, bref, à des rap­ports d’é­change entre pro­prié­taires. Quant à la socié­té poli­tique, elle n’est qu’un arti­fice des­ti­né à pro­té­ger cette pro­prié­té et à main­te­nir l’ordre dans les rap­ports d’é­change.

[T]he dif­fi­cul­ties of modern libe­ral-demo­cra­tic theo­ry lie dee­per than had been thought, that the ori­gi­nal seventeenth­ cen­tu­ry indi­vi­dua­lism contai­ned the cen­tral dif­fi­cul­ty, which lay in its pos­ses­sive qua­li­ty. Its pos­ses­sive qua­li­ty is found in its concep­tion of the indi­vi­dual as essen­tial­ly the pro­prie­tor of his own per­son or capa­ci­ties, owing nothing to socie­ty for them. The indi­vi­dual was seen nei­ther as a moral whole, nor as part of a lar­ger social whole, but as an owner of him­ self. The rela­tion of owner­ship, having become for more and more men the cri­ti­cal­ly impor­tant rela­tion deter­mi­ning their actual free­dom and actual pros­pect of rea­li­zing their full poten­tia­li­ties, was read back into the nature of the indi­vi­dual. The indi­vi­dual, it was thought, is free inas­much as he is pro­prie­tor of his per­son and capa­ci­ties. The human essence is free­dom from depen­dence on the wills of-others, and free­dom is a func­tion of pos­ses­sion. Society becomes a lot of free equal indi­vi­duals rela­ted to each other as pro­prietors of their own capa­ci­ties and of what they have acqui­red by their exer­cise. Society consists of rela­tions of exchange bet­ween pro­prie­tors. Political socie­ty becomes a cal­cu­la­ted device for the pro­tec­tion of this pro­per­ty and for the main­te­nance of an order­ly rela­tion of exchange.

Il n’y a pas lieu pour autant de se com­plaire à faire ici la liste des modes par les­quels, au cœur même des liens les plus pré­cieux, peut s’insinuer la jouis­sance prise à faire déchoir l’autre, cette jouis­sance maligne […] qui ali­mente les dis­putes, les décep­tions tacites, les insultes rava­lées, les regards de haine. Jouissance elle-même exa­cer­bée par les formes contem­po­raines de l’« hyper-réflexi­vi­té » : nous dis­po­sons tous de bribes de savoir sur ce que sont les « déter­mi­nismes » psy­chiques ou sociaux pour croire y voir clair dans ce que sont les stra­té­gies des autres, conscientes ou incons­cientes. Autrement dit, nous en savons juste assez pour que nos savoirs puissent don­ner lieu à ce que les socio­logues décrivent dans les termes du phé­no­mène de « récur­si­vi­té » : cha­cun se pro­jette non seule­ment dans ce que pense l’autre, mais dans ce qu’il pense de ce que pense le pre­mier, qui en retour doit prendre en compte cette pen­sée sup­po­sée dans sa manière d’être, etc. On pour­rait dire que les rela­tions livrées à elle-même entraînent une forme d’hystérisation de la récur­si­vi­té : non seule­ment cha­cun se sent pris dans le déjà dit, le déjà joué, mais c’est aus­si cela qu’il ne peut s’empêcher d’observer chez l’autre, et c’est encore cela qu’il sait être obser­vé chez lui.

Cette hys­té­ri­sa­tion n’a pas pour résul­tat de rendre l’autre trans­pa­rent. C’est au contraire cette trans­pa­rence sup­po­sée qui contri­bue à le rendre défi­ni­ti­ve­ment opaque – comme si la pro­fu­sion d’interprétations pos­sibles sécré­tait une sorte d’écran qui rend les rai­sons d’agir de l’autre tou­jours plus incom­pré­hen­sibles. Autrement dit, si l’Autre ne peut être désor­mais que l’autre réel, alors ce der­nier semble se voir condam­né à exhi­ber la figure d’un Autre plus indé­chif­frable que jamais […], car c’est une obs­cu­ri­té qui pro­cède d’une sorte de sur-trans­pa­rence sup­po­sée.

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« Notre part de vio­lence »
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Grumeaux
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La véri­table dif­fi­cul­té de la vie d’un Grand-écri­vain tient au fait que, si l’on peut, dans la vie intel­lec­tuelle, agir en com­mer­çant, une vieille tra­di­tion nous oblige encore à y par­ler en idéa­liste. Cette asso­cia­tion du com­merce et de l’idéalisme occu­pait dans les efforts d’Arnheim une place pri­vi­lé­giée.

De nos jours, on trouve de ces asso­cia­tions inac­tuelles un peu par­tout. Quand les morts, par exemple, sont conduits au cime­tière au trot des che­vaux-vapeur, on ne renonce pas pour autant, dans un beau convoi, à poser sur le toit de la voi­ture un casque avec deux épées en croix. Il en va de même dans tous les domaines : l’évolution de l’humanité est un cor­tège qui s’étire inter­mi­na­ble­ment, et de même que l’on ornait encore les lettres d’affaires d’il y a envi­ron deux géné­ra­tions, de toutes les fleurs bleues de la rhé­to­rique, on pour­rait, aujourd’hui, expri­mer toutes les rela­tions intel­lec­tuelles, de l’amour à la logique pure, dans le lan­gage de l’offre et de la demande, de l’escompte et de la pro­vi­sion, au moins aus­si bien qu’on le fait en termes psy­cho­lo­giques ou reli­gieux ; mais on ne le fait pas. La rai­son en est que ce nou­veau lan­gage est encore trop incer­tain. De nos jours, le finan­cier ambi­tieux se trouve dans une situa­tion dif­fi­cile. S’il veut être sur un pied d’égalité avec les antiques puis­sances de l’Être, il lui faut rat­ta­cher son acti­vi­té à de grandes idées. Mais de grandes idées aux­quelles on croi­rait sans réserve, il n’en existe plus : notre scep­tique pré­sent ne croit plus ni en Dieu, ni en l’Humanité, il n’a plus de res­pect pour les cou­ronnes ni pour la morale ; ou il croit en tout cela à la fois, ce qui revient au même. C’est ain­si que le com­mer­çant à qui la gran­deur est aus­si indis­pen­sable qu’une bous­sole, a dû recou­rir à ce tour de passe-passe démo­cra­tique qui consiste à rem­pla­cer l’efficacité non mesu­rable de la gran­deur par la gran­deur mesu­rable de l’efficacité. N’est grand désor­mais que ce qui passe pour tel ; cela signi­fie aus­si qu’en fin de compte sera grand tout ce qu’une publi­ci­té bien enten­due pro­clame tel, et il n’est pas don­né à tout le monde d’avaler sans dif­fi­cul­té ce noyau des noyaux de notre temps. Arnheim avait dû faire de nom­breuses ten­ta­tives avant d’y réus­sir.

Die eigent­liche Schwierigkeit im Dasein eines Großschriftstellers ents­teht erst dadurch, daß man im geis­ti­gen Leben zwar kaufmän­nisch han­delt, aber aus alter Überlieferung idea­lis­tisch spricht, und diese Verbindung von Handel und Idealismus war es auch, die in Arnheims Lebensbemühungen eine ent­schei­dende Stelle inne­hatte.
Man fin­det solche unzeit­gemäße Verbindungen heute übe­rall. Während zum Beispiel die Toten schon im Benzintrab auf den Friedhof beför­dert wer­den, ver­zich­tet man doch nicht darauf, bei einer schö­nen Kraftleiche oben auf dem Wagendeckel einen Helm und zwei gekreuzte Ritterschwerter anzu­brin­gen, und so ist es auf allen Gebieten ; die men­schliche Entwicklung ist ein lang ausei­nan­der­ge­zo­ge­ner Zug, und so, wie man sich vor ungefähr zwei Menschenaltern noch in Geschäftsbriefen mit blauen Redeblümlein ges­chmückt hat, könnte man heute schon alle Beziehungen von der Liebe bis zur rei­nen Logik in der Sprache von Angebot und Nachfrage, Deckung und Eskompte aus­drü­cken, jeden­falls eben­so gut, wie man sie psy­cho­lo­gisch oder reli­giös aus­drü­cken kann, aber man tut es doch nicht. Der Grund liegt darin, daß die neue Sprache noch zu unsi­cher ist. Der ehr­gei­zige Geldmann ist heute in einer schwie­ri­gen Lage. Wenn er den älte­ren Mächten des Seins ebenbür­tig sein will, so muß er seine Tätigkeit an große Ideen knüp­fen ; große Gedanken, die widers­pruchs­los geglaubt wür­den, gibt es aber heute nicht mehr, denn diese skep­tische Gegenwart glaubt weder an Gott noch an die Humanität, weder an Kronen noch an Sittlichkeit – oder sie glaubt an alles zusam­men, was auf das gleiche hinaus­kommt. Also mußte der Kaufmann, der des Großen so wenig ent­beh­ren will wie eines Kompasses, den demo­kra­ti­schen Kunstgriff anwen­den, die unmeß­bare Wirkung der Größe durch die meß­bare Größe der Wirkung zu erset­zen. Groß ist nun, was für groß gilt ; allein das heißt, daß letz­ten Endes auch das groß ist, was durch tüch­tige Reklame dafür aus­ges­chrien wird, und es ist nicht jeder­mann gege­ben, die­sen inners­ten Kern der Zeit ohne Beschwernis zu schlu­cken, und Arnheim hatte viele Versuche darü­ber anges­tellt, wie das zu machen sei.
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chap. 96  : « Le Grand-écri­vain, vu de face »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 543–544

Les Grands-écri­vains ne recourent aux pou­voirs polé­miques de l’écriture que s’ils sentent leur pres­tige mena­cé ; dans tous les autres cas, leur atti­tude se signale par sa séré­ni­té et sa bien­veillance. Ils sont par­fai­te­ment indul­gents à l’égard des baga­telles que l’on écrit à leur louange. Ils ne s’abaissent pas volon­tiers à dis­cu­ter les autres auteurs ; quand ils le font, c’est rare­ment pour hono­rer un homme supé­rieur : ils pré­fèrent encou­ra­ger l’un de ces jeunes talents dis­crets qui se com­posent de 49 % de talent et de 51 % d’absence de talent, et que ce mélange, par­tout où l’on a besoin d’une force et où un homme fort gêne­rait, rend si utiles que cha­cun d’eux, tôt ou tard, finit par occu­per une posi­tion influente dans la lit­té­ra­ture.

Mais cette des­crip­tion n’a‑t-elle pas déjà dépas­sé, ain­si, les limites de ce qui est propre au Grand-écri­vain ? Un excellent pro­verbe dit : « Qui cha­pon mange, cha­pon lui vient » ! On aurait peine à se faire une idée de l’animation qui règne de nos jours autour d’un écri­vain ordi­naire, long­temps déjà avant qu’il ne soit pas­sé Grand-écri­vain, quand il n’est encore que chro­ni­queur lit­té­raire, feuille­to­niste, pro­duc­teur de radio, scé­na­riste ou édi­teur d’un « orphéon » ; nombre de ces écri­vains ordi­naires res­semblent à ces petits ânes ou cochons de bau­druche avec un trou der­rière pour le gon­flage. Quand on voit les Grands-écri­vains peser avec soin ces diverses cir­cons­tances et s’efforcer d’en tirer l’image d’un peuple labo­rieux qui sait hono­rer ses grands hommes, ne doit-on pas leur en être recon­nais­sant ? La part qu’ils y veulent bien prendre enno­blit la réa­li­té de la vie. Qu’on essaie donc de se repré­sen­ter le contraire, un homme qui n’écrirait et ne ferait rien de tout cela. Il devrait refu­ser des invi­ta­tions cor­diales, rebu­ter des gens, juger des louanges non point en loué, mais en juge, bous­cu­ler les don­nées natu­relles, consi­dé­rer les grandes pos­si­bi­li­tés d’action comme sus­pectes sim­ple­ment parce qu’elles sont grandes ; en échange, il n’aurait rien à offrir que les opé­ra­tions dif­fi­ciles à expri­mer, dif­fi­ciles à éva­luer, de son cer­veau, et le tra­vail d’un auteur auquel une époque déjà four­nie en Grands-écri­vains n’a vrai­ment pas besoin d’accorder beau­coup de prix !

Von den kämp­fe­ri­schen Mitteln des Schreibens machen sie nur Gebrauch, wenn sie ihre Geltung bedroht füh­len ; in allen übri­gen Fällen zeich­net sich ihr Verhalten durch Ausgeglichenheit und Wohlwollen aus. Sie sind vol­len­det tole­rant gegen Nichtigkeiten, die zu ihrem Lobe gesagt wer­den. Sie las­sen sich nicht leicht dazu herab, andere Autoren zu bes­pre­chen ; aber wenn sie es tun, dann schmei­cheln sie sel­ten einem Mann von hohem Rang, son­dern zie­hen es vor, eines jener unauf­drin­gli­chen Talente zu ermun­tern, die aus neu­nund­vier­zig Prozent Begabung und einundfünf­zig Prozent Unbegabung bes­te­hen und vermöge die­ser Mischung so ges­chickt zu allem sind, wo man eine Kraft braucht, aber ein star­ker Mann scha­den könnte, daß über kurz oder lang ein jedes von ihnen einen ein­fluß­rei­chen Posten in der Literatur hat. Aber ist damit diese Beschreibung nicht schon über das hinaus­ge­gan­gen, was nur dem Großschriftsteller eigentüm­lich ist ? Ein gutes Sprichwort sagt, wo Tauben sind, flie­gen Tauben zu, und man macht sich schwer eine Vorstellung davon, wie bewegt es heut­zu­tage schon um einen gewöhn­li­chen Schriftsteller zugeht, lange ehe er Großschriftsteller, schon wenn er Buchbesprecher, Feuilletonredakteur, Funkverweser, Filmmixer oder Herausgeber eines Literaturblättchens ist ; manche von ihnen glei­chen jenen klei­nen Eselchen und Schweinchen aus Gummi, die hin­ten ein Loch haben, wo man sie auf­bläst. Wenn man die Großschriftsteller solche Umstände sorg­sam erwä­gen und sie bemüht sieht, daraus das Bild eines tüch­ti­gen Volks zu machen, das seine Großen ehrt, muß man es ihnen nicht dan­ken ? Sie vere­deln das Leben, wie es ist, durch ihre Teilnahme. Man ver­suche, sich das Gegenteil vor­zus­tel­len, einen schrei­ben­den Mann, der alles das nicht täte. Er müßte herz­liche Einladungen ableh­nen, Menschen zurücks­toßen, Lob nicht wie ein Belobter, son­dern wie ein Richter bewer­ten, natür­liche Gegebenheiten zer­reißen, große Wirkungsmöglichkeiten als verdäch­tig behan­deln, nur weil sie groß sind, und hätte als Gegengabe nichts zu bie­ten als schwer aus­drück­bare, schwer zu bewer­tende Vorgänge in sei­nem Kopf und die Leistung eines Schriftstellers, worauf ein Zeitalter, das schon Großschriftsteller besitzt, wirk­lich nicht viel Wert zu legen braucht !

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chap. 95  : « Le Grand-écri­vain, vu de dos »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 542–542

Dans le monde intel­lec­tuel, le Grand-écri­vain a suc­cé­dé au prince de l’esprit comme les riches aux princes dans le monde poli­tique. De même que le prince de l’esprit appar­tient au temps des princes, le Grand-écri­vain appar­tient au temps des Grandes-guerres et des Grandes-mai­sons de com­merce. C’est un des aspects par­ti­cu­liers de l’association avec les Grandes-choses. Le moins que l’on exige d’un Grand-écri­vain est donc qu’il pos­sède une voi­ture. Il doit voya­ger beau­coup, être reçu par les ministres, faire des confé­rences, don­ner aux maîtres de l’opinion publique l’impression qu’il repré­sente une force de la conscience à ne pas sous-esti­mer ; il est le char­gé d’affaires de l’intelligence natio­nale, lorsqu’il s’agit d’exporter de l’humanisme à l’étranger ; quand il est chez lui, il reçoit des hôtes de marque et n’en doit pas moins pen­ser sans cesse à ses affaires, qu’il lui faut trai­ter avec la dex­té­ri­té d’un artiste de cirque dont les efforts doivent pas­ser inaper­çus. Le Grand-écri­vain, en effet, n’est pas sim­ple­ment un écri­vain qui gagne beau­coup d’argent. Il n’est pas du tout néces­saire que ce soit lui qui ait écrit le « livre le plus lu de l’année », ou du mois ; il suf­fit qu’il ne trouve rien à redire à cette sorte d’évaluation. Il siège dans tous les jurys, signe tous les mani­festes, écrit toutes les pré­faces, pro­nonce tous les dis­cours d’anniversaire, donne son opi­nion sur tous les évé­ne­ments impor­tants et se voit appe­lé par­tout où il s’agit de célé­brer les résul­tats obte­nus dans tel ou tel domaine. Le Grand-écri­vain, en effet, dans toutes ses acti­vi­tés, ne repré­sente jamais l’ensemble de la Nation, mais seule­ment sa sec­tion la plus avan­cée, la grande élite au moment pré­cis où elle va deve­nir la majo­ri­té, et cela l’entoure d’une exci­ta­tion intel­lec­tuelle durable. Bien enten­du, c’est l’évolution actuelle de la vie qui conduit à la grande indus­trie de l’esprit, de même qu’inversement l’industrie tend à l’esprit, à la poli­tique et à la maî­trise de la conscience publique ; ces deux phé­no­mènes se ren­contrent à mi-che­min. C’est pour­quoi le rôle du Grand-écri­vain ne ren­voie pas tant à une per­sonne défi­nie qu’il ne repré­sente une figure sur l’échiquier social, sou­mise à la règle du jeu et aux obli­ga­tions que l’époque a créées. Les mieux-pen­sants de nos contem­po­rains estiment que l’existence des Grands-esprits leur est de peu d’avantage (il y a déjà tant d’esprit dans le monde qu’une petite dif­fé­rence en plus ou en moins n’y sera pas sen­sible, et, de toute façon, cha­cun pense n’en pas man­quer), mais que ce qu’il faut, c’est com­battre son absence, c’est-à-dire le mon­trer, l’afficher, le mettre en valeur ; et comme un Grand-écri­vain s’entend mieux à cela qu’un écri­vain tout court, fût-il plus grand (parce que ce der­nier serait peut-être com­pris d’un moins grand nombre de lec­teurs), on fait son pos­sible pour que la gran­deur soit enfin pro­duite en gros.

Der Großschriftsteller ist der Nachfolger des Geistesfürsten und ents­pricht in der geis­ti­gen Welt dem Ersatz der Fürsten durch die rei­chen Leute, der sich in der poli­ti­schen Welt voll­zo­gen hat. So wie der Geistesfürst zur Zeit der Fürsten, gehört der Großschriftsteller zur Zeit des Großkampftages und des Großkaufhauses. Er ist eine beson­dere Form der Verbindung des Geistes mit großen Dingen. Das min­deste, was man von einem Großschriftsteller ver­langt, ist darum, daß er einen Kraftwagen besitzt. Er muß viel rei­sen, von Ministern emp­fan­gen wer­den, Vorträge hal­ten ; den Chefs der öffent­li­chen Meinung den Eindruck machen, daß er eine nicht zu unter­schät­zende Gewissens macht dars­telle ; er ist charge d’affaires des Geistes der Nation, wenn es gilt, im Ausland Humanität zu bewei­sen ; empfängt, wenn er zu Hause ist, notable Gäste und hat bei alle­dem noch an sein Geschäft zu den­ken, das er mit der Geschmeidigkeit eines Zirkuskünstlers machen muß, dem man die Anstrengung nicht anmer­ken darf. Denn der Großschriftsteller ist kei­nes­wegs ein­fach das gleiche wie ein Schriftsteller, der viel Geld ver­dient. Das »gele­senste Buch« des Jahres oder Monats braucht er nie­mals selbst zu schrei­ben, es genügt, daß er gegen diese Art der Bewertung nichts ein­zu­wen­den hat. Denn er sitzt in allen Preisgerichten, unter­zeich­net alle Aufrufe, schreibt alle Vorworte, hält alle Geburtstagsreden, äußert sich zu allen wich­ti­gen Ereignissen und wird übe­rall geru­fen, wo es zu zei­gen gilt, wie weit man es gebracht hat. Denn der Großschriftsteller ver­tritt bei allen sei­nen Tätigkeiten nie­mals die ganze Nation, son­dern gerade nur ihren fort­schrit­tli­chen Teil, die große, bei­nahe schon in der Mehrheit befind­liche Auserlesenheit, und das umgibt ihn mit einer blei­ben­den geis­ti­gen Spannung. Es ist natür­lich das Leben in sei­ner heu­ti­gen Ausbildung, das zur Großindustrie des Geistes führt, so wie es umge­kehrt die Industrie zum Geist, zur Politik, zur Beherrschung des öffent­li­chen Gewissens drängt ; in der Mitte berüh­ren sich beide Erscheinungen. Darum weist die Rolle des Großschriftstellers auch nicht etwa auf eine bes­timmte Person hin, son­dern stellt eine Figur am gesell­schaft­li­chen Schachbrett dar, mit einer Spielregel und Obliegenheit, wie sie die Zeit aus­ge­bil­det hat. Die des Guten beflis­se­nen Menschen die­ser Zeit ste­hen auf dem Standpunkt, daß es ihnen wenig nützt, wenn irgend­wer Geist habe (es ist davon so viel vorhan­den, daß es auf etwas mehr oder weni­ger nicht ankommt, jeden­falls glaubt jeder für seine Person genug zu haben), son­dern daß man den Ungeist bekämp­fen müsse, wozu es nötig ist, daß der Geist gezeigt, gese­hen, zur Wirkung gebracht werde, und weil sich dazu ein Großschriftsteller bes­ser eignet als selbst ein größe­rer Schriftsteller, den viel­leicht nicht mehr so viele vers­te­hen könn­ten, trägt man nach Kräften dazu bei, daß die Größe recht ins Große gerät.

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chap. 95  : « Le Grand-écri­vain, vu de dos »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 539–540