Cependant, la pensée qui se déploie dans la Somme est aux prises avec elle-même : l’objection n’est pas la simple opposition rhétorique d’une antithèse à une thèse, c’est le ressort d’un dynamisme de l’interrogation exprimant un effort de la pensée sur elle-même.
Lu
La personne, l’être qui devrait être, que chaque homme, à divers moments de sa vie, oppose au caractére empirique, – être réel dont on constate la réalité bien qu’on ne le regarde pas comme l’être véritable –, la personne ne peut se constituer par l’expérience puisqu’elle résulte, en tant qu’elle est conçue, en tant que le moi fait effort pour tendre vers elle, de la réaction, en présence des choses, de notre énergie propre, énergie psychique constitutive de notre nature psychique, de notre harmonie individuelle, de notre raison. C’est cette énergie psychique que nous appelon la noergie ou les noergies de la Raison.
Mais est-il possible de réagir contre son caractère ? Est-il possible de se défaire pour se refaire ? Cette difficulté ne pourra être résolue qu’après que nous aurons opposé la personne au caractère.
S’il est vrai que nous avons ce pouvoir de nous oublier, c’est-à-dire de nous défaire [défaite], nous pourrons, grâce à la libre nolonté, après avoir décidé quel être nous devons être, après avoir, en imagination, sculpté, comme disaient les anciens, notre belle statue, rompre le charme qui nous lie à notre être apparent, et, après l’avoir répudié, marcher résolument à la conquête de notre être véritable : la personne !
Il s’agit de savoir si, nous avons ce pouvoir de vouloir ne pas ou nolonté, grâce auquel nous pourrons délibérément opposer au caractère empirique la personne idéale ; ou bien, si, impuissants à dégager de la chrysalide informe qu’est notre caractère, l’intelligible Psyché, après des tentatives de révolte où se manifestera surtout notre impuissance, nous finirons par nous résigner à ne plus être ce que les choses ont fait de nous, appliquant toute notre habileté à nous accommoder au milieu dans lequel nous vivons, sans curiosité dans l’intelligence, sans amour dans le coeur, sans énergie propre dans la volonté.
La puissance du vouloir ne pas, ou nolonté est à vrai dire le pouvoir le plus caractéristique de ce que l’on entend et doit entendre par la volonté considérée chez l’homme.
La poésie, en prenant conscience d’elle-même et de son pouvoir, ne se distinguait pas en tant que forme. Au contraire son émancipation était plutôt hors de la forme, non seulement hors des formes obligées de la poésie et de la fiction mais surtout hors du souci formel lui-même. Elle ne définissait rien de littéraire, voire de poétique, mais elle situait dans l’espace vivant un point de rencontre avec la totalité et ce point, tous les moyens pouvaient l’atteindre, pourvu qu’ils ne se perdent pas en eux-mêmes. […] Ce qui restait, ce n’était pas l’éclectisme, encore moins la confection de synthèses habiles, mais un sentiment, celui d’une constance, celui de la présence d’un indéchiffrable qui liait tout.
La poésie romantique est une poésie universelle progressive. Elle n’est pas seulement destinée à réunir tous les genres séparés de la poésie et à faire se toucher poésie, philosophie et rhétorique. Elle veut et doit aussi tantôt mêler et tantôt fondre ensemble poésie et prose, génialité et critique, poésie d’art et poésie naturelle, rendre la poésie vivante et sociale, la société et la vie poétiques, poétiser le Witz, remplir et saturer les formes de l’art de toute espèce de substances natives de culture, et les animer des pulsations de l’humour. Elle embrasse tout ce qui est poétique, depuis le plus grand système de l’art qui en contient à son tour plusieurs autres, jusqu’au soupir, au baiser que l’enfant poète exhale dans un chant sans art. Elle peut se perdre dans ce qu’elle présente au point de donner à croire que son unique affaire est de caractériser des individualités poétiques de toutes sortes ; et pourtant il n’y a encore aucune forme capable d’exprimer sans reste l’esprit de l’auteur : si bien que maint artiste, qui ne voulait qu’écrire un roman, s’est par hasard présenté lui-même. Elle seule, pareille à l’épopée, peut devenir miroir du monde environnant, image de l’époque. Et cependant c’est elle aussi qui, libre de tout intérêt réel ou idéal, peut le mieux flotter entre le présenté et le présentant, sur les ailes de la réflexion poétique, porter sans cesse cette réflexion à une plus haute puissance, et la multiplier comme dans une série infinie de miroirs. Elle est capable de la suprême et de la plus universelle formation ; non seulement du dedans vers l’extérieur, mais aussi du dehors vers l’intérieur ; pour chaque totalité que ses produits doivent former, elle adopte une organisation semblable des parties, et se voit ainsi ouverte la perspective d’une classicité appelée à croître sans limites. La poésie romantique est parmi les arts ce que le Witz est à la philosophie, ce que la société, les relations, l’amitié et l’amour sont dans la vie. D’autres genres poétiques [Dichtart] sont achevés, et peuvent à présent être entièrement disséqués. Le genre poétique [Dichtart] romantique est encore en devenir ; et c’est son essence propre de ne pouvoir qu’éternellement devenir, et jamais s’accomplir. Aucune théorie ne peut l’épuiser, et seule une critique divinatoire pourrait se risquer à caractériser son idéal. Elle seule est infinie, comme elle seule est libre, et elle reconnaît pour première loi que l’arbitraire du poète ne souffre aucune loi qui le domine. Le genre poétique [Dichtart] romantique est le seul qui soit plus qu’un genre, et soit en quelque sorte l’art même de la poésie [Dichtkunst] : car en un certain sens toute poésie est ou doit être romantique.
Si l’énoncé gît tout entier dans la composition des termes, sous des contraintes catégoriales qui en surveillent le rapport et les assignent à titre de mesures, toute attitude propositionnelle, tout préfixe déclaratif est mis hors champ de l’apophantique.
Si toute combinaison purement arbitraire ou purement contingente de forme et de matière est grotesque, la philosophie a ses grotesques tout comme la poésie ; mais elle en sait moins sur eux et n’a pas encore pu trouver la clef de sa propre histoire ésotérique.