Ce sont des ath­lètes : pas des ath­lètes qui auraient bien for­mé leurs corps et culti­vé le vécu, quoique beau­coup d’é­cri­vains n’aient pas résis­té à voir dans les sports un moyen d’ac­croître l’art et la vie, mais plu­tôt des ath­lètes bizarres du type « cham­pion du jeûne » ou « grand Nageur » qui ne savait pas nager. Un Athlétisme qui n’est pas orga­nique ou mus­cu­laire, mais « un ath­lé­tisme affec­tif », qui serait le double inor­ga­nique de l’autre, un ath­lé­tisme du deve­nir qui révèle seule­ment des forces qui ne sont pas les siennes, « spectre plas­tique ».
Deleuze et Guattari, Qu’est-ce que la phi­lo­so­phie

Je désire non pas par­ler de moi, mais épier le siècle, le bruit et la ger­mi­na­tion du temps. Ma mémoire est hos­tile à tout ce qui est per­son­nel […]. Je le répète, ma mémoire est non pas d’amour mais d’hostilité, et elle tra­vaille non à repro­duire, mais à écar­ter le pas­sé. Pour un intel­lec­tuel de médiocre ori­gine, la mémoire est inutile, il lui suf­fit de par­ler des livres qu’il a lus, et sa bio­gra­phie est faite. Là où, chez les géné­ra­tions heu­reuses, l’épopée parle en hexa­mètres et en chro­nique, chez moi se tient un signe de béance, et entre moi et le siècle gît un abîme, un fos­sé rem­pli du temps qui bruit, l’endroit réser­vé à la famille et aux archives domes­tiques. Que vou­lait dire ma famille ? Je ne sais. Elle était bègue de nais­sance et cepen­dant, elle avait quelque chose à dire. Sur moi et sur beau­coup de mes contem­po­rains pèse le bégaie­ment de la nais­sance. Nous avons appris non à par­ler, mais à bal­bu­tier, et ce n’est qu’en prê­tant l’oreille au bruit crois­sant du siècle et une fois blan­chis par l’écume de sa crête que nous avons acquis une langue.

Il est faux de voir dans Don Quichotte la fin du roman de che­va­le­rie, en invo­quant les hal­lu­ci­na­tions, les fuites d’i­dées, les états hyp­no­tiques ou cata­lep­tiques du héros. Il est faux de voir dans les romans de Beckett la fin du roman en géné­ral, en invo­quant les trous noirs, la ligne de déter­ri­to­ria­li­sa­tion des per­son­nages, les pro­me­nades schi­zo­phré­niques de Molloy ou de l’Innommable, leur perte de nom, de sou­ve­nir ou de pro­jet.

Quand nous disions que la tête humaine appar­tient encore à la strate d’or­ga­nisme, évi­de­ment nous ne récu­sions pas l’exis­tence d’une culture et d’une socié­té, nous disions seule­ment que les codes de ces cultures et ces socié­tés portent sur les corps sur l’ap­par­te­nance des tête et des corps, sur l’ap­ti­tude du sys­tème corps-tête à deve­nir, à rece­voir les âmes, les rece­voir en amies et repous­ser les âmes enne­mies. Les « pri­mi­tifs » peuvent avoir les têtes les plus humaines, les plus belles et les plus spi­ri­tuelles, ils n’ont pas de visage et n’en ont pas besoin.

Dans la dis­tinc­tion médi­cale entre le tic clo­nique ou convul­sif, et le tonique ou spas­mo­dique, peut-être faut-il voir dans le pre­mier cas la pré­va­lence du trait de visa­géi­té qui tente de fuir, dans le second cas celle de l’or­ga­ni­sa­tion de visage qui cherche à refer­mer, à immo­bi­li­ser.