Texte

La « palabre » [pala­ver] pour­rait être consi­dé­rée comme la langue du ter­rain de jeu dans la mesure où le ter­rain de jeu est aus­si un labo­ra­toire. Ce qui revient à consi­dé­rer la « palabre » et le « sabir » [gob­ble­dy­gook] non pas comme des formes dégra­dées du stan­dard mais comme des modes d’ex­pé­ri­men­ta­tion lin­guis­tique, des modes de théo­rie lin­guis­tique ren­dus par une pra­tique lin­guis­tique expé­ri­men­tale dont l’ef­fet est au moins double : d’une part, la convo­ca­tion d’une sorte de stan­dard car­cé­ral qui aura été fabri­qué à par­tir des modes et dési­rs admi­nis­tra­tifs, nor­ma­tifs et régu­la­toires ; d’autre part la mise en exergue, non moins pro­blé­ma­tique, de cer­taines mani­fes­ta­tions d’i­mi­ta­tion sourde et bor­née, la condes­cen­dance, la bru­ta­li­té, la pro­duc­tion d’un son pour accom­pa­gner une image/livrée de subor­di­na­tion dans l’in­té­rêt de la pan­to­mime de l’au­to-déter­mi­na­tion.

Fred Moten, Blackness and Nothingness. Mysticism in the Flesh1

Appart aux san­gui­naires (qui existe aus­si en ver­sion ran­dom phpi­sée) est une fable répu­bli­caine épis­to­laire sous forme de lettres fabu­leuses pro­duites en répu­blique. Ces lettres font part de choses impor­tantes – avis de mort, demande de han­di­cap, pro­po­si­tion d’affaires, caprice de réformes, vœux de bon­heur, pro­po­si­tion d’amour. Propositions géni­tives d’aspect hori­zon­tal.

Je les ai pau­moyées comme des fala­fels mal­adroits, mal­adres­sés, à par­tir de scams419 et de dis­cours poli­tiques, genres gros-pou­dreux qui passent entre les doigts et à la fois collent aux paluches.

Les scams419 sont des arnaques par mail le plus sou­vent adres­sées depuis l’« Afrique Noire », et dont le texte, por­tant à la fois les traces d’une tra­duc­tion auto­ma­tique aux algo­rithmes ins­truits par l’anglais, et d’un état péri­phé­rique du stan­dard colo­nial, donne à lire un idiome car­cé­ral aux pro­cé­dés rhé­to­riques d’une tar­tu­fe­rie par­faite, qui mime le par­tage des valeurs pour faire pas­ser la tran­sac­tion.

Les dis­cours poli­tiques sont des arnaques par tv le plus sou­vent émises depuis la pierre blanche – mai­son pour les anglo­phones, palais pour les fran­co­phones –, et dont le texte, por­tant à la fois les traces d’une tra­duc­tion auto­ma­tique aux algo­rithmes ins­truits par la com­mu­ni­ca­tion et d’un état cen­tral du stan­dard colo­nial, donne à entendre un idiome car­cé­reux, aux pro­cé­dés rhé­to­riques d’une tar­tu­fe­rie par­faite, qui mime le par­tage des valeurs pour faire pas­ser la tran­sac­tion.

Partant, ces lettres sont écrites (1) dans un créole d’usage qui ne cède que par jeu ou par dis­trac­tion au fran­çais inci­dent de la répu­blique qu’il com­bat ; (2) dans une éco­no­mie lin­guis­tique qui cherche à vider le cache colo­nial en soi et à échap­per au stan­dard car­cé­rant de sa langue ; (3) en exil sur les chiottes du palais.Continuer

  1. Then pala­ver would best be unders­tood as the lan­guage of the play­ground if the play­ground is more accu­ra­te­ly unders­tood as a labo­ra­to­ry. This means consi­de­ring “pala­ver” or “gob­ble­dy­gook” not as degra­ded forms of the stan­dard but rather as modes of lin­guis­tic expe­ri­men­ta­tion, modes of lin­guis­tic theo­ry given in expe­ri­men­tal lin­guis­tic prac­tice that have at least two pos­sible effects : the cal­ling into exis­tence of a kind of car­ce­ral stan­dard that will have been fabri­ca­ted in the ins­tance of a whole range of admi­nis­tra­tive, nor­ma­tive, and regu­la­to­ry modes and desires and the equal­ly pro­ble­ma­tic cal­ling forth of cer­tain acts of tone-deaf imi­ta­tion, equal parts condes­cen­sion and bru­ta­li­ty, the pro­duc­tion of a sound meant to accom­pa­ny an image/livery of subor­di­na­tion in the inter­est of self-determination’s dumb­show.

Pendant un peu plus d’un an, à des inten­si­tés diverses, j’ai tra­vaillé en tant que dra­ma­turg pour Exposure Berlin, écri­vant des textes dans un alle­mand, un anglais et un fran­çais plus ou moins cor­rects & plus ou moins intri­qués. La pièce a été jouée pen­dant deux semaines, du 12 au 21 octobre 2012, dans un ancien ciné­ma muet de Berlin, le Delphi, et a fait se bou­ger entre 200 et 300 per­sonnes chaque soir.Continuer

Les Solutions Grammaticales sont un recueil, datant de 1807, dans lequel Urbain Domergue (1745 – 1810, gram­mai­rien, élu à l’académie en 1803) reprend par­tiel­le­ment des articles de son Journal de la langue fran­çaise (1795), au sein duquel le conseil gram­ma­ti­cal de sa Société des ama­teurs de la langue fran­çaise (créée en 1791) émet­tait ses avis sur tout un tas de trucs (“la langue, la gram­maire, l’idéologie, l’art du poète et de l’orateur, l’enseignement”). Il semble qu’il se soit agi du pre­mier pério­dique de ce type en France.

Les socié­taires ou sous­crip­teurs sont nom­breux par­mi l’élite révo­lu­tion­naire : Condorcet, Fabre d’Églantine, Brissot, Robespierre, entre autres. Les avis nor­ma­tifs sont très recher­chés, à une époque où l’unification lin­guis­tique est dans une phase cri­tique, disons, d’expansion natio­nale.Continuer

Tombé sur L’Orchésograpie de Thoinot Arbeau (1588), un recueil de nota­tions cho­ré­gra­phiques pour branles, appel­la­tion géné­rique qui regroupe des danses popu­laires héri­tières de la ronde médié­vale. Le texte prend la forme d’une dis­pute entre l’auteur et un contra­dic­teur ima­gi­naire. Pour le lec­teur d’aujourd’hui, c’est un maquis d’orthographes irré­gu­lières et réjouis­santes.

À pro­pos du bransle des che­vaulx :

A ce pro­pos, jay veu que l’on dan­çoit en ceste ville un branle, qu’on nom­moit le branle des che­vaulx, ou l’on fai­soit des tap­pe­ments de pied, comme au branle pre­cedent, & me semble que l’air est tel ou sem­blable que voyez en la tabu­la­ture suy­vante, laquelle se dan­çoit par mesure binaire, comme le branle com­mun, le jeune homme tenant sa Damoiselle par les deux mains. Le com­men­ce­ment de l’air dudit branle estoit comme voyez icy not­té, & se dan­çoit par quatre doubles a gaulche, & par quatre doubles a droit.

arbeau

Double a gaul. Double a droit. Double a gaul. Double a droit. Double a gaul. Double a droit. Double a gaul. Double a droit.

À pro­pos de la volte :

Arbeau
Et aprés avoir tour­noyé par tant de cadances qu’il vous plai­ra, res­ti­tue­rez la damoi­selle en sa place, ou elle sen­ti­ra (quelque bonne conte­nance qu’elle face) son cer­veau esbran­lé, plain de ver­tigues & tor­noye­ments de teste, & vous n’en aurez peult estre pas moins : Je vous laisse à consi­de­rer si cest chose bien seante à une jeusne fille de faire de grands pas & ouver­tures de jambes : Et si en ceste volte l’honneur & la san­té y sont pas  hazar­dez & inter­es­sez. Je vous en ay des­ja dit mon opi­nion.

Capriol
Ce ver­tigues & tor­noie­ments de cer­veau me fasche­roient.

À pro­pos des mou­ve­ments de la gaillarde :

Capriol
Vous ne me dictes point comme pour­ra estre ceste obli­qui­té, ce que je ne vous demande pas sans cause, car les Geometres tiennent qu’entre les lignes de l’esquierre, il y a infi­nies lignes obliques.

Arbeau
Ceste obli­qui­té est delais­see à l’arbitraige du dan­ceur, tel­le­ment que s’il luy plait, il met­tra le pied qui se repose à l’esquierre contre le pied qui sous­tient le corps, ou en tel lieu qu’il luy plai­ra, entre deux, appro­chant le pied joinct, pour­veu que ce ne soit ledit pied joinct : Car de pas­ser le traict de l’esquierre, la flexion de la jambe ne le per­mect natu­rel­le­ment : Voyez cy la figure dudit mou­ve­ment des pieds joincts obliques.

Pied joinct oblique gaulche. / Pied joinct oblique droict.

arbeau2

Se dés­ins­crire de Badou est la cor­res­pon­dance entre d’at­ta­chants uti­li­sa­teurs d’un réseau social aux abois, et un impos­teur qui dans le fond imposte beau­coup moins que ce réseau social aux abois. Ces mails pro­viennent des Archives Mystérieuses de Le Internet, et ont été regrou­pées par Cid Jean-Palefrenier Cornemuse VII.