Toujours per­dus, même lorsque nous croyons nous y retrou­ver, quand par exemple, telle émo­tion nous l’at­tri­buons à un sup­pôt, à nous-mêmes, à une per­sonne.

Économie libi­di­nale
Minuit 1974
p. 50
attribution égarement émotion hypostase pensée personne perte sujet suppôt

Ce qui nous menace, éco­no­mistes libi­di­naux, c’est de fabri­quer une nou­velle morale avec cette conso­la­tion, c’est de pro­cla­mer et de dif­fu­ser que la bande libi­di­nale est bonne, que la cir­cu­la­tion des affects est gaie, que l’a­no­ny­mat et l’in­com­pos­si­bi­li­té des figures sont épa­tants et libres, que toute dou­leur est réac­tion­naire et recèle le poi­son d’une for­ma­tion issue du grande Zéro.

Économie libi­di­nale
Minuit 1974
p. 20

Et pour chaque bran­che­ment, un nom divin, pour chaque cri, inten­si­té et bran­che­ment qu’ap­portent les ren­contres atten­dues et inat­ten­dues, un petit dieu, une petite déesse, qui a l’air de ne ser­vir à rien quand on le regarde avec les glo­bu­leux yeux tristes pla­to­ni­co-chré­tiens, qui ne sert en effet à rien, mais qui est un nom de pas­sage de l’é­mo­tion.

Économie libi­di­nale
Minuit 1974
p. 17

Ouvrez le pré­ten­du corps et déployez toutes ses sur­faces : non seule­ment la peau avec cha­cun de ses plis, rides, cica­trices, avec ses grands pans velou­tés, et conti­gus à elle le cuir et sa toi­son de che­veux, la tendre four­rure pubienne, les mame­lons, les ongles, les cornes trans­pa­rentes sous le talon, la légère fri­pe­rie, entée de cils, des pau­pières, mais ouvrez et éta­lez, expli­ci­tez les grandes lèvres, les petites lèvres avec leur réseau bleu et bai­gnés de mucus, dila­tez le dia­phragme du sphinc­ter anal, cou­pez lon­gi­tu­di­na­le­ment et met­tez à plat le noir conduit du rec­tum, puis du côlon, puis du cæcum, désor­mais ban­deau à sur­face toute striée et pol­luée de merde, avec vos ciseaux de cou­tu­rière ouvrant la jambe d’un vieux pan­ta­lon, allez, don­nez jour au pré­ten­du inté­rieur de l’in­tes­tin grêle, au jéju­num, à l’i­léon, au duo­dé­num, ou bien à l’autre bout, débri­dez la bouche aux com­mis­sures, déplan­tez la langue jus­qu’à sa loin­taine racine et fen­dez-là, éta­lez les ailes de chauve-sou­ris du palais et de ses sous-sols humides, ouvrez la tra­chée et faites-en la mem­brure d’une coque en construc­tion ; armé des bis­tou­ris et des pinces les plus fins, déman­te­lez et dépo­sez les fais­ceaux et les corps de l’en­cé­phale ; et puis tout le réseau san­guin intact à plat sur une immense paillasse, et le réseau lym­pha­tique, et les fines pièces osseuses du poi­gnet, de la che­ville, démon­tez et met­tez-les bout à bout avec toutes les nappes de tis­su ner­veux qui enve­loppe l’hu­meur aqueuse et avec le corps caver­neux de la verge, et extra­yez les grands muscles, les grands filets dor­saux, éten­dez-les comme des dau­phins lisses qui dorment.

Faites le tra­vail qu’ac­com­plit le soleil quand votre corps prend un bain, ou l’herbe.

Économie libi­di­nale
Minuit 1974
p. 9–10

L’essai coor­donne les élé­ments au lieu de les subor­don­ner. […] Si l’es­sai, com­pa­ré aux formes dans les­quelles un conte­nu tout prêt est com­mu­ni­qué de manière indif­fé­rente, est plus dyna­mique que la pen­sée tra­di­tion­nelle, grâce à la ten­sion entre la pré­sen­ta­tion et la chose pré­sen­tée, il est en même temps plus sta­tique, en tant qu’en­semble construit de jux­ta­po­si­tions.

« L’essai comme forme »
Notes sur la lit­té­ra­ture [1954–1958]
trad. Sibylle Muller
Flammarion 1984
p. 27
agencement articulation assemblage composition coordination dispositif essai juxtaposition statique/dynamique subordination