C’est vrai que l’expert prolifère dans cette société, au point d’en devenir la figure généralisée, distendue entre l’exigence d’une croissante spécialisation et celle d’une communication d’autant plus nécessaire. Il efface (et d’une certaine façon il remplace) le philosophe, hier spécialiste de l’universel. Mais sa réussite n’est pas tellement spectaculaire. La loi productiviste d’une assignation (condition d’une efficacité) et la loi sociale d’une circulation (forme de l’échange) se contredisent en lui. […] Faute de pouvoir s’en tenir à ce qu’il sait, l’expert se prononce au titre de la place que sa spécialité lui a value. Par là il s’inscrit et il est inscrit dans un ordre commun ou la spécialisation a valeur d’initiation en tant que règle et pratique hiérarchisante de l’économie productiviste. Pour s’être soumis avec succès à cette pratique initiatique, il peut, sur des questions étrangères à sa compétence technique mais non pas au pouvoir qu’il s’est acquis par elle, tenir avec autorité un discours qui n’est plus celui du savoir, mais celui de l’ordre socio-économique. Il parle en homme ordinaire, qui peut « toucher » de l’autorité avec du savoir comme on touche sa paie pour du travail. Il s’inscrit dans le langage commun des pratiques, ou d’ailleurs une surproduction d’autorité entraîne sa dévaluation puisqu’on s’en procure toujours plus avec une somme égale ou inférieure de compétence. Mais lorsqu’il continue à croire ou à faire croire qu’il agit en scientifique, il confond la place sociale et le discours technique. Il prend l’un pour l’autre : c’est un quiproquo. Il méconnaît l’ordre qu’il représente. Il ne sait plus ce qu’il dit. Certains seulement, après avoir longtemps cru parler comme experts un langage scientifique, se réveillent de leur sommeil et s’aperçoivent soudain que, depuis un moment, tel Félix le Chat dans le film d’antan, ils marchent en l’air, loin du sol scientifique. Accrédité par une science, leur discours n’était que le langage ordinaire des jeux tactiques entre pouvoirs économiques et autorités symboliques.
Lu
Depuis que la scientificité s’est donné des lieux propres et appropriables par des projets rationnels capables de poser dérisoirement leurs procédures, leurs objets formels et les conditions de leur falsification, depuis qu’elle s’est fondée comme une pluralité de champs limités et distincts, en somme depuis qu’elle n’est plus de type théologique, elle a constitué le tout comme son reste, et ce reste est devenu ce que nous appelons la culture.
Ce clivage organise la modernité. Il la découpe en insularités scientifiques dominantes sur un fond de « résistances » pratiques et de symbolisations irréductibles à de la pensée. Même si l’ambition de « la science » vise à conquérir ce « reste » à partir des espaces où s’exercent les pouvoirs de nos savoirs, même si, pour préparer la réalisation entière de cet empire, des reconnaissances inventorient déjà les régions frontalières et lient ainsi le clair à l’obscur (ce sont les discours gris de sciences mixtes dites « humaines », récits d’expéditions qui tendent à rendre assimilables – sinon pensables – et à repérer les nuits de la violence, de la superstition et de l’altérité : histoire, anthropologie, pathologie, etc.), la coupure que les institutions scientifiques ont produite entre langues artificielles d’une opérativité régulée et parlers du corps social n’a jamais cessé d’être un foyer de guerres ou de compromis. Cette ligne de partage, d’ailleurs changeante, demeure stratégique dans les combats pour accroître ou contester les pouvoirs des techniques sur les pratiques sociales. Elle sépare les langues artificielles qui articulent les procédures d’un savoir spécifié et les langues naturelles qui organisent l’activité signifiante commune.
Quelques-uns de ces débats (qui concernent précisément la relation de chaque science à la culture) peuvent être précisés, et leurs issues possibles, indiquées, par deux personnages qui s’y trouvent affrontés, curieusement proches et antinomiques : l’expert et le philosophe. Tous deux ont tâche de médiateurs entre un savoir et la société, le premier en tant qu’il introduit sa spécialité dans l’aire plus vaste et complexe de décisions sociopolitiques, le second en tant qu’il réinstaure, relativement à une technique particulière (mathématique, logique, psychiatrie, histoire, etc.) la pertinence d’interrogations générales. Chez l’expert, une compétence se mue en autorité sociale ; chez le philosophes, les questions banales deviennent un principe de soupçon dans un champ technique. Le rapport ambigu (tantôt de fascination, tantôt de rejet) que le philosophe entretien avec l’expert semble d’ailleurs sous-tendre souvent ses démarches : tantôt les entreprises philosophiques visent avec envie la réalisation de leur ancienne utopie par l’expert (soutenir au nom d’une scientificité spécifique le passage à des problèmes d’ensemble), tantôt, défaites par l’histoire mais rebelles, elles se détournent de ce qui leur est enlevé pour accompagner dans son exil (ô mémoires, ô transgressions symboliques, ô royaumes inconscients) le Sujet, roi d’hier, aujourd’hui chassé d’une société technocratique.
Dans le conte philosophique qu’est Malaise dans la civilisation, l’homme ordinaire, c’est le locuteur. Il est dans le discours le point de jonction entre le savant et le commun – le retour de l’autre (tous et personne) dans la place qui s’en était soigneusement distinguée. Une fois de plus, il y trace le débordement de la spécialité par la banalité, et la reconduction du savoir à son présupposé général : de sérieux, je ne sais rien. Je suis comme tout le monde.
Laissant de côté le « petit nombre » des « penseurs » et des « artistes » capables de métamorphoser le travail en plaisir par la sublimation, quittant donc ces « rares élus » qui désignent pourtant la place où son texte s’élabore, il passe contrat avec « l’homme ordinaire » et marie son discours à la foule dont le destin commun est d’être leurrée, frustrée, contrainte au labeur, soumise donc à la loi de la tromperie et au travail de la mort. Ce contrat, analogue à celui que l’histoire de Michelet passe avec « le Peuple » qui jamais pourtant n’y parlera, semble devoir permettre à la théorie de s’étendre à l’universel et s’appuyer sur le réel de l’histoire. Il lui procure un lieu sûr.
[L’homme du XVIe] est coincé dans le sort commun. Appelé Chacun (un nom qui trahit l’absence de nom), cet anti-héros est donc aussi Personne, Nemo, tout comme l’Everyman anglais devient Nobody, ou le Jedermann allemand Niemand. Il est toujours l’autre, privé de responsabilités propres et de propriétés particulières qui limitent un chez-soi (la mort efface toutes les différences).
To presume that markets and market signals can best determine all allocative decisions is to presume that everything can in principle be treated as a commodity. Commodification presumes the existence of property rights over processes, things, and social relations, that a price can be put on them, and that they can be traded subject to legal contract. The market is presumed to work as an appropriate guide – an ethic – for all human action. In practice, of course, every society sets some bounds on where commodification begins and ends. Where the boundaries lie is a matter of contention. Certain drugs are deemed illegal. The buying and selling of sexual favours is outlawed in most US states, though elsewhere it may be legalized, decriminalized, and even state-regulated as an industry. Pornography is broadly protected as a form of free speech under US law although here, too, there are certain forms (mainly concerning children) that are considered beyond the pale. In the US, conscience and honour are supposedly not for sale, and there exists a curious penchant to pursue ‘corruption’ as if it is easily distinguishable from the normal practices of influence-peddling and making money in the marketplace. The commodification of sexuality, culture, history, heritage ; of nature as spectacle or as rest cure ; the extraction of monopoly rents from originality, authenticity, and uniqueness (of works or art, for example)––these all amount to putting a price on things that were never actually produced as commodities. There is often disagreement as to the appropriateness of commodification (of religious events and symbols, for example) or of who should exercise the property rights and derive the rents (over access to Aztec ruins or marketing of Aboriginal art, for example).
The main substantive achievement of neoliberalization, however, has been to redistribute, rather than to generate, wealth and income. I have elsewhere provided an account of the main mechanisms whereby this was achieved under the rubric of « accumulation by dispossession ». By this I mean the continuation and proliferation of accumulation practices which Marx had treated of as « primitive » or « original » during the rise of capitalism. These include the commodification and privatization of land and the forceful expulsion of peasant populations (compare the cases, described above, of Mexico and of China, where 70 million peasants are thought to have been displaced in recent times); conversion of various forms of property rights (common, collective, state, etc.) into exclusive private property rights (most spectacularly represented by China); suppression of rights to the commons ; commodification of labour power and the suppression of alternative (indigenous) forms of production and consumption ; colonial, neocolonial, and imperial processes of appropriation of assets (including natural resources); monetization of exchange and taxation, particularly of land ; the slave trade (which continues particularly in the sex industry); and usury, the national debt and, most devastating of all, the use of the credit system as a radical means of accumulation by dispossession. The state, with its monopoly of violence and definitions of legality, plays a crucial role in both backing and promoting these processes. To this list of mechanisms we may now add a raft of techniques such as the extraction of rents from patents and intellectual property rights and the diminution or erasure of various forms of common property rights (such as state pensions, paid vacations, and access to education and health care) won through a generation or more of class struggle. The proposal to privatize all state pension rights (pioneered in Chile under the dictatorship) is, for example, one of the cherished objectives of the Republicans in the US.
Rather notice, mon cher,
that the moon is
tilted above
the point of the steeple
than that its color
is shell-pink.
Rather observe
that it is early morning
than that the sky
is smooth
as a turquoise.
Rather grasp
how the dark
converging lines
of the steeple
meet at the pinnacle—
perceive how
its little ornament
tries to stop them—
See how it fails !
See how the converging lines
of the hexagonal spire
escape upward—
receding, dividing !
—sepals
that guard and contain
the flower !
Observe
how motionless
the eaten moon
lies in the protecting lines.
It is true :
in the light colors
of morning
brown-stone and slate
shine orange and dark blue.
But observe
the oppressive weight
of the squat edifice !
Observe
the jasmine lightness
of the moon.
Oh strong-ridged and deeply hollowed
nose of mine ! what will you not be smelling ?
What tactless asses we are, you and I, boney nose,
always indiscriminate, always unashamed,
and now it is the souring flowers of the bedraggled
poplars : a festering pulp on the wet earth
beneath them. With what deep thirst
we quicken our desires
to that rank odor of a passing springtime !
Can you not be decent ? Can you not reserve your ardors
for something less unlovely ? What girl will care
for us, do you think, if we continue in these ways ?
Must you taste everything ? Must you know everything ?
Must you have a part in everything ?
Il va de soi que l’on peut non seulement corriger une oeuvre ou intéger divers fragments d’oeuvres périmées dans une nouvelle, mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières que l’on jugera bonnes ce que les imbéciles s’obstinent à nommer des citations.
De tels procédés parodiques ont été souvent employés pour obtenir des effets comiques. Mais le comique met en scène une contradiction à un état donné, posé comme existant. En la circonstance, l’état de choses littéraire nous parraissant presque aussi étranger que l’âge du renne, la contradiction ne nous fait pas rire. Il faut donc concevoir un stade parodique-sérieux où l’accumulation d’éléments détournés, loin de vouloir susciter l’indignation ou le rire en se référant à la notion d’une oeuvre originale, mais marquant au contraire notre indifférence pour un original vidé de sens et oublié, s’emploierait à rendre un certain sublime.
On sait que Lautréamont s’est avancé si loin dans cette voie qu’il se trouve encore partiellement incompris par ses admirateurs les plus affichés. Malgré l’évidence du procédé appliqué dans « Poésies », particulièrement sur la base de la morale de Pascal et Vauvenargues, au langage théorique – dans lequel Lautréamont veut faire aboutir les raisonnements, par concentrations successives, à la seule maxime – on s’est étonné des révélations d’un nommé Viroux, voici trois ou quatre ans, qui empêchaient désormais les plus bornés de ne pas reconnaître dans « les Chants de Maldoror » un vaste détournement, de Buffon et d’ouvrages d’histoire naturelle entre autres. Que les prosateurs du « Figaro », comme ce Viroux lui-même, aient pu y voir une occasion de diminuer Lautréamont, et que d’autres aient cru devoir le défendre en faisant l’éloge de son insolence, voilà qui ne témoigne que de la débilité intellectuelle de vieillards des deux camps, en lutte courtoise. Un mot d’ordre comme « le Plagiat est n’ecessaire, le progrès l’implique » est encore aussi mal compris, et pour les mêmes raisons, que la phrase fameuse sur la poésie qui « doit être faite par tous ».
L’oeuvre de Lautréamont – que son apparition extrêmement prématurée fait encore échapper en grande partie à une critique exacte – mis à part, les tendances au détournement que peut reconnaître une étude de l’expression contemporaine sont pour la plupart inconscientes ou occasionnelles ; et, plus que dans la production esthétique finissante, c’est dans l’industrie publicitaire qu’il faudra en chercher les plus beaux exemples.