Le sophisme, lui, prend appui non pas sur la struc­ture élé­men­taire de la pro­po­si­tion mais sur l’existence d’un énon­cé ; sur le fait que des mots ont été pro­non­cés et qu’ils demeurent là, au centre de la dis­cus­sion, comme ayant été pro­duits et pou­vant être répé­tés, recom­bi­nés au gré des par­te­naires ; c’est dit, c’est dit : non point comme une forme idéale, régu­lière et qui peut rece­voir cer­tains types de conte­nu mais un peu comme ces tro­phées que les guer­riers après la bataille mettent au milieu d’eux et qu’ils vont s’attribuer, non sans dis­pute et contes­ta­tion eis meson [« au milieu », ndr].

Leçons sur la volon­té de savoir (1970–1971)
Seuil 2011
p. 59

 La dif­fé­rence, par laquelle s’élimine la réa­li­té maté­rielle du dis­cours, est la condi­tion de l’apophantique comme champ de la véri­té ou de l’erreur des pro­po­si­tions.

[…]

Le sophisme n’est jamais réel­le­ment décla­ra­tif. Il ne peut y avoir apo­phan­tique qu’à la condi­tion que soit d’abord neu­tra­li­sée la maté­ria­li­té du dis­cours et qu’ensuite ce dis­cours soit trai­té selon l’axe de la réfé­rence à ce dont il parle.

[…]

La Sophistique, elle, se main­tient tou­jours au niveau d’une cer­taine « hylé­tique » du dis­cours […] et ce à quoi elle abou­tit […] c’est au silence d’un des deux par­te­naires.

[…]

L’apophantique se défi­nit par la conti­nui­té du rap­port à l’objet ; la sophis­tique, par l’exclusion du sujet.

Leçons sur la volon­té de savoir (1970–1971)
Seuil 2011
p. 48

[L’effet sophis­tique] est ren­du pos­sible par le fait que, dans la pra­tique du dis­cours, ce qui est mani­pu­lé, ce sont non pas les choses elles-mêmes, mais leurs sym­boles ver­baux. Très exac­te­ment leur nom. […]

Il se pro­duit dans une cer­taine dif­fé­rence entre les noms et les choses, entre les élé­ments sym­bo­liques et les élé­ments sym­bo­li­sés. En quoi consiste cette dif­fé­rence ?

Ce n’est point celle par laquelle les mots pro­duisent un effet de sens, alors que les choses ne le pro­duisent pas. Ce n’est pas non plus la dif­fé­rence entre phy­sis et nomos, entre le carac­tère natu­rel des choses et le carac­tère conven­tion­nel des mots.

Elle est dans le fait que les noms sont en nombre fini et les choses sont en nombre infi­ni, qu’il y a rare­té rela­tive des mots ; qu’on ne peut pas éta­blir une rela­tion bi-uni­voque entre mots et choses. Bref, que la rela­tion entre les mots et ce qu’ils dési­gnent n’est pas iso­morphe à la rela­tion qui per­met de dénom­brer.

En d’autres termes, c’est un carac­tère propre à la maté­ria­li­té des mots – leur rare­té – qui donne lieu au sophisme. Le Sophiste c’est celui qui se sert du même mot, du même nom, de la même expres­sion pour dire deux choses dif­fé­rentes, de sorte qu’il dit deux choses dans l’identité même de la chose dite.

Leçons sur la volon­té de savoir (1970–1971)
Seuil 2011
p. 43

J’étais par­ti de deux modèles d’analyse. Dans l’un (qui me semble carac­té­ri­ser la tra­di­tion phi­lo­so­phique), la volon­té de savoir est prise à l’intérieur d’une connais­sance préa­lable dont elle consti­tue le dérou­le­ment, comme le déca­lage et le délai inté­rieur.

Dans l’autre modèle, le connaître doit être ana­ly­sé comme pur évé­ne­ment à la sur­face de pro­ces­sus qui ne sont pas en eux-mêmes de l’ordre de la connais­sance ; appe­lons savoir l’ensemble de ces évé­ne­ments. Quant à la connais­sance (c’est-à-dire au rap­port sujet-objet), elle serait un effet inté­rieur au connaître. Effet qui n’a pas pu être évi­té mais qui n’est peut-être pas néces­saire. Enfin, la véri­té n’est pas ce qui est lié de plein droit à la connais­sance, mais elles sont l’une par rap­port à l’autre dans un rap­port à la fois d’appui et d’exclusion.

Leçons sur la volon­té de savoir (1970–1971)
Seuil 2011
p. 31

Il existe depuis des siècles un thème dont la bana­li­té porte jusqu’au dégoût, c’est le thème que tout le monde fina­le­ment est un peu phi­lo­sophe.

Thème que le dis­cours phi­lo­so­phique écarte aus­si­tôt pour faire appa­raître celui-ci, à savoir que la phi­lo­so­phie est une tâche spé­ci­fique, en retrait et à dis­tance de toutes les autres et qui ne peut se réduire à aucune autre. Mais thème que le dis­cours phi­lo­so­phique reprend non moins régu­liè­re­ment pour affir­mer que la phi­lo­so­phie n’est rien d’autre que le mou­ve­ment de la véri­té elle-même, qu’elle est la conscience pre­nant conscience de soi – ou qu’il est déjà phi­lo­sophe celui qui s’éveille au monde. […]

Le vieux thème mil­lé­naire du « tout le monde est plus ou moins phi­lo­sophe » a une fonc­tion pré­cise et assi­gnable dans l’histoire occi­den­tale : il ne s’agit ni plus ni moins que du bou­clage du désir de connaître dans la connais­sance elle-même.

[Ce que Foucault refor­mule au début du cours sui­vant :] De sorte que la connais­sance était préa­lable à ce désir qui la concer­nait ; et que ce désir lui-même n’était rien d’autre qu’une sorte de retard de la connais­sance par rap­port à soi, désir cor­ré­la­tif au délai qui la retar­dait pour atteindre d’un coup sa vraie nature, à savoir la contem­pla­tion.

Leçons sur la volon­té de savoir (1970–1971)
Seuil 2011
p. 18–19, 23