Le sophisme, lui, prend appui non pas sur la structure élémentaire de la proposition mais sur l’existence d’un énoncé ; sur le fait que des mots ont été prononcés et qu’ils demeurent là, au centre de la discussion, comme ayant été produits et pouvant être répétés, recombinés au gré des partenaires ; c’est dit, c’est dit : non point comme une forme idéale, régulière et qui peut recevoir certains types de contenu mais un peu comme ces trophées que les guerriers après la bataille mettent au milieu d’eux et qu’ils vont s’attribuer, non sans dispute et contestation eis meson [« au milieu », ndr].
Auteur : Lecteur
La différence, par laquelle s’élimine la réalité matérielle du discours, est la condition de l’apophantique comme champ de la vérité ou de l’erreur des propositions.
[…]
Le sophisme n’est jamais réellement déclaratif. Il ne peut y avoir apophantique qu’à la condition que soit d’abord neutralisée la matérialité du discours et qu’ensuite ce discours soit traité selon l’axe de la référence à ce dont il parle.
[…]
La Sophistique, elle, se maintient toujours au niveau d’une certaine « hylétique » du discours […] et ce à quoi elle aboutit […] c’est au silence d’un des deux partenaires.
[…]
L’apophantique se définit par la continuité du rapport à l’objet ; la sophistique, par l’exclusion du sujet.
[L’effet sophistique] est rendu possible par le fait que, dans la pratique du discours, ce qui est manipulé, ce sont non pas les choses elles-mêmes, mais leurs symboles verbaux. Très exactement leur nom. […]
Il se produit dans une certaine différence entre les noms et les choses, entre les éléments symboliques et les éléments symbolisés. En quoi consiste cette différence ?
Ce n’est point celle par laquelle les mots produisent un effet de sens, alors que les choses ne le produisent pas. Ce n’est pas non plus la différence entre physis et nomos, entre le caractère naturel des choses et le caractère conventionnel des mots.
Elle est dans le fait que les noms sont en nombre fini et les choses sont en nombre infini, qu’il y a rareté relative des mots ; qu’on ne peut pas établir une relation bi-univoque entre mots et choses. Bref, que la relation entre les mots et ce qu’ils désignent n’est pas isomorphe à la relation qui permet de dénombrer.
En d’autres termes, c’est un caractère propre à la matérialité des mots – leur rareté – qui donne lieu au sophisme. Le Sophiste c’est celui qui se sert du même mot, du même nom, de la même expression pour dire deux choses différentes, de sorte qu’il dit deux choses dans l’identité même de la chose dite.
J’étais parti de deux modèles d’analyse. Dans l’un (qui me semble caractériser la tradition philosophique), la volonté de savoir est prise à l’intérieur d’une connaissance préalable dont elle constitue le déroulement, comme le décalage et le délai intérieur.
Dans l’autre modèle, le connaître doit être analysé comme pur événement à la surface de processus qui ne sont pas en eux-mêmes de l’ordre de la connaissance ; appelons savoir l’ensemble de ces événements. Quant à la connaissance (c’est-à-dire au rapport sujet-objet), elle serait un effet intérieur au connaître. Effet qui n’a pas pu être évité mais qui n’est peut-être pas nécessaire. Enfin, la vérité n’est pas ce qui est lié de plein droit à la connaissance, mais elles sont l’une par rapport à l’autre dans un rapport à la fois d’appui et d’exclusion.
Il existe depuis des siècles un thème dont la banalité porte jusqu’au dégoût, c’est le thème que tout le monde finalement est un peu philosophe.
Thème que le discours philosophique écarte aussitôt pour faire apparaître celui-ci, à savoir que la philosophie est une tâche spécifique, en retrait et à distance de toutes les autres et qui ne peut se réduire à aucune autre. Mais thème que le discours philosophique reprend non moins régulièrement pour affirmer que la philosophie n’est rien d’autre que le mouvement de la vérité elle-même, qu’elle est la conscience prenant conscience de soi – ou qu’il est déjà philosophe celui qui s’éveille au monde. […]
Le vieux thème millénaire du « tout le monde est plus ou moins philosophe » a une fonction précise et assignable dans l’histoire occidentale : il ne s’agit ni plus ni moins que du bouclage du désir de connaître dans la connaissance elle-même.
[Ce que Foucault reformule au début du cours suivant :] De sorte que la connaissance était préalable à ce désir qui la concernait ; et que ce désir lui-même n’était rien d’autre qu’une sorte de retard de la connaissance par rapport à soi, désir corrélatif au délai qui la retardait pour atteindre d’un coup sa vraie nature, à savoir la contemplation.