Nous exa­mi­nons quelques-unes de ces pro­po­si­tions-à-la-tu-peux-tu-dois, rela­tives au com­por­te­ment social, qui pro­viennent d’é­thiques anciennes (il n’a pas été facile de lui impo­ser ce plu­riel), ou du moins qui se pré­sentent en elles. Finalement je lui sou­mets une for­mule pra­tique. Dans l’in­té­rêt de la lutte de classe, il convient de trans­for­mer les pro­po­si­tions-à-la-tu-peux-tu-dois, incluant un « espèce de porc ! », en pro­po­si­tions incluant un « espèce de bœuf ! ». Celles qui ne se prêtent pas à l’o­pé­ra­tion sont à éli­mi­ner. Exemple : la pro­po­si­tion « tu ne dois pas cou­cher avec ta mère » était jadis une pro­po­si­tion du type « espèce de bœuf ! », car dans la socié­té anté­rieure elle ren­voyait à une vio­lente per­tur­ba­tion des rap­ports de pro­prié­té et de pro­duc­tion. De ce point de vue, elle n’est plus aujourd’­hui du type « espèce de bœuf », mais seule­ment encore du type « espèce de porc ! » au fond, elle est donc bonne à mettre au rebut. Cependant, à la rigueur, le pro­lé­ta­riat en lutte pour­ra s’en res­ser­vir comme pro­po­si­tion du type « espèce de bœuf », et à peu près sous cette forme : « espèce de bœuf, tu ne dois pas cou­cher avec ta mère, parce que tes cama­rades de com­bat ont des pré­ju­gés sur ce point et que du même coup ton com­bat ris­que­rait d’en souf­frir, et parce que, par ailleurs, les tri­bu­naux te feraient incar­cé­rer. » On s’a­per­çoit vite de la rela­tive immo­ra­li­té de ces for­mu­la­tions, due à leur inob­jec­ti­vi­té par­ti­cu­lière, qui répugne au mora­liste. La rai­son en est évi­dem­ment que l’ob­jet, à par­tir duquel on pour­rait argu­men­ter, a dis­pa­ru (les rap­ports de pro­prié­té et de pro­duc­tion) et que désor­mais la « chose » est sim­ple­ment deve­nue de l’é­thique.

wir unter­su­chen einige die­ser soll- und darf-sätze, gesell­schaft­liches verhal­ten betref­fend, die aus alten ethi­ken (ihm den plu­ral auf­zuz­win­gen war schwer) stam­men oder in ihnen jeden­falls vor­kom­men. am schluss schlage ich ihm eine prak­tische for­mel vor. im inter­esse des klas­sen­kampfs sind vor­kom­mende soll- und darf-sätze, die ein ’du schwein’ enthal­ten, zu ver­wan­deln in sätze, die ein ’du ochs’ enthal­ten. Sätze, welche ein ’du schwein’ enthal­ten und nicht in ’du ochs’-sätze überführt wer­den kön­nen, müs­sen aus­ges­chal­tet wer­den. bei­spiel : der satz ’du soll­st nicht mit dei­ner mut­ter schla­fen’ war einst ein ’du-ochs’-satz, denn in einer frü­hen gesell­schaft­sord­nung bedeu­tete er große ver­wir­rung in den besitz- und pro­duk­tions­be­din­gun­gen. was das betrifft, ist er heute kein ’du ochs’-satz mehr, nur noch ein ’du schwein’-satz. im grunde müsste also der satz fal­len­ge­las­sen wer­den.

Journal de tra­vail [Arbeitsjournal, Suhrkamp, 1973]
trad. Philippe Ivernel
L’arche 1976
p. 58–59
15.1.40 boeuf éthique impératif inceste lutte des classes morale ordre moral porc

six ans où presque tout ce que j’avais pu faire et dire, seule ou avec d’autres, avait été dou­blé par la pen­sée de cet homme, si bien qu’à l’époque le moindre détail était salo­pé par cette pen­sée […] une pen­sée exclu­si­ve­ment concen­trée sur un seul sujet, aucun autre sujet et aucun autre objet n’ayant la pos­si­bi­li­té de vivre là-dedans plus de cinq secondes ; mon corps inté­gra­le­ment, depuis mes doigts de pied jusqu’à mes che­veux, était rétrac­té à l’intérieur d’un dis­cours en boucle, c’est-à-dire d’une boucle qui tour­nait sans inter­rup­tion même la nuit – je rêvais, c’était lui ; je me levais pour pis­ser, c’était lui, etc. –, et je me demande si le meilleur moyen, ou l’un des meilleurs moyens, de rendre compte de ce tapis de bombes – ma tête –, n’est pas le jeu du par-devant/­par-der­rière : on prend un texte – tiens, Une sai­son en enfer, c’est celui que j’ai sous la main – et on lui ajoute sys­té­ma­ti­que­ment par-devant/­par-der­rière ; ça donne : Jadis, par-devant, si je me sou­viens bien, par-der­rière, ma vie était un fes­tin par-devant, où s’ouvraient tous les cœurs par-der­rière, où tous les vins cou­laient par-devant. Eh bien je suis par­tie en Crète, c’est-à-dire que je me suis enfuie en Crète à un moment, pour savoir si là-bas le par-der­riè­re/­par-devant conti­nue­rait ou serait trou­blé par le dépla­ce­ment géo­gra­phique, la néces­si­té de faire atten­tion à ce qu’on vous dit avec l’accent, mais j’aurais très bien pu faire le tour du monde en porte-contai­ners, atteindre le pôle Nord, explo­rer Sakhaline, ça n’en aurait pas moins duré – et c’était comme si cette pen­sée devait me sur­vivre puisque je mour­rais avant qu’elle cesse.

Crâne chaud
P.O.L 2012
p. 146–148

The point about it was, if there wasn’t a god, then people wouldn’t die. I came to that conclu­sion, that the only rea­son people died was because there is a god, and the only rea­son people are suf­fe­ring is because there is a god. The way I look at it, the way people die proves that some­thing is killing them–something super­ior to them always wins. A super­ior force. So death is a god, if nothing else, and all people are sub­ject to it, so dea­th’s their god. They aren’t actual­ly sub­ject to the United States or Russia or any­thing, they’re sub­ject to their god-Death. That’s very obvious. The point is, having rea­ched that point, what to do about it ? If they ever reach that point. Should they be obe­dient to the god Death or should they be rebels ? Because if they’re obe­dient to God and are righ­teous, then the most appro­priate thing to do is to die. Then, when they’re dead, they’re holy and righ­teous.

« Interview with John Sinclair »
GUERRILLA [December 1966]
1967
https://aadl.org/node/192498