Ecce sunt caelum et terra, clamant, quod facta sint.
Ça y est. Le ciel et la terre sont. Ils crient qu’ils furent créés.
Ecce sunt caelum et terra, clamant, quod facta sint.
Ça y est. Le ciel et la terre sont. Ils crient qu’ils furent créés.
tu nous as cherchés alors que nous ne te cherchions pas, mais tu nous as cherchés pour que nous te cherchions
Une chose amère, une chose déplorable, une chose assurément horrible à penser, terrible à entendre, un crime détestable, un forfait exécrable, un acte abominable, une infamie affreuse, une chose tout fait inhumaine, bien plus, étrangère toute humanité, a, grâce au rapport de plusieurs personnes dignes de foi, retenti nos oreilles, non sans nous frapper une grande stupeur et nous faire frémir d’une violente horreur…
Res amara, res flebilis, res quidem cogitatu horribilis, auditu terribilis, detestatibilis crimine, excecrabilis scelere, abhominabilis opere, detestando flagicio, res penitus inhumana, immo ab omni humanitate seposita, dudum fide digna relatione multorum, non absque gravis stuporis impulsu et vehementis horroris fremitu, auribus nostris insonuit…
amant eam lucentem, oderunt eam redarguentem. quia enim falli nolunt et fallere volunt, amant eam, cum se ipsa indicat, et oderunt eam, cum eos ipsos indicat. inde retribuet eis, ut, qui se ab ea manifestari nolunt, et eos nolentes manifestet et eis ipsa non sit manifesta.
Ils aiment la vérité quand elle brille, ils la haïssent quand elle leur résiste. Ils ne veulent pas qu’on leur mente mais veulent mentir. Ils aiment la vérité quand elle se montre mais la haïssent quand elle les dénonce. Ce sera leur récompense : ils ne veulent pas qu’elle les révèle, eh bien elle les révélera malgré eux sans se révéler à eux.
Affectiones quoque animi mei eadem memoria continet non eo modo, quo eas habet ipse animus, cum patitur eas, sed alio multum diverso, sicut sese habet vis memoriae. nam et laetatum me fuisse reminiscor non laetus, et tristitiam meam praeteritam recordor non tristis, et me aliquando timuisse recolo sine timore, et pristinae cupiditatis sine cupiditate sum memor. aliquando et e contrario tristitiam meam transactam laetus reminiscor, et tristis laetitiam. quod mirandum non est de corpore : aliud enim animus, aliud corpus itaque si praeteritum dolorem corporis gaudens memini, non ita mirum est. hic vero, cum animus sit etiam ipsa memoria – nam et cum mandamus aliquid, ut memoriter habeatur, dicimus : vide, ut illud in animo habeas, et cum obliviscimur, dicimus : non fuit in animo et elapsum est animo, ipsam memoriam vocantes animum – cum ergo ita sit, quid est hoc, quod cum tristitiam meam praeteritam laetus memini, animus habet laetitiam et memoria tristitiam, laetusque est animus ex eo, quod inest ei laetitia, memoria vero ex eo, quod inest ei tristitia, tristis non est ? num forte non pertinet ad animum ? quis hoc dixerit ? nimirum ergo memoria quasi venter est animi, laetitia vero atque tristitia quasi cibus dulcis et amarus : cum memoriae commendantur, quasi traiecta in ventrem recondi illic possunt, sapere non possunt. ridiculum est haec illis similia putare, nec tamen sunt omni modo dissimilia.
La même mémoire contient aussi les affects de mon âme. Non pas comme l’âme elle-même quand elle les a éprouvés, mais de façon très différente selon la puissance propre à la mémoire. Je me souviens de ma joie sans éprouver de joie. Je me rappelle ma tristesse d’autrefois sans être triste. Et je me souviens d’avoir eu peur, parfois, sans avoir peur. Mémoire sans désir d’anciens désirs. Et parfois, au contraire, je me souviens avec joie de ma tristesse passée ou avec tristesse de ma joie passée. Rien de surprenant s’il s’agit du corps. Autre est l’esprit, autre est le corps. Et me souvenir avec plaisir d’une douleur physique passée n’a rien de surprenant. Mais dans ce cas, l’esprit est mémoire. En effet, quand nous confions quelque chose à la mémoire, nous disons : attention, garde ça à l’esprit. Ou s’agissant d’un oubli, nous disons : je ne l’ai pas à l’esprit. Ou encore : ça m’est sorti de l’esprit. Nous appelons donc esprit la mémoire. Mais alors pourquoi, quand je me souviens avec joie de ma tristesse passée, j’ai la joie à l’esprit et la tristesse en mémoire ? et pourquoi l’esprit possède avec joie la joie alors que la mémoire n’est pas triste de contenir la tristesse ? La mémoire n’aurait rien à voir avec l’esprit. Mais qui pourrait l’affirmer ? La mémoire est peut-être comme le ventre de l’esprit, dans lequel la joie et la tristesse sont un aliment doux et amer. Un aliment qui, une fois passé dans le ventre, s’y retrouve, et peut ne plus avoir de goût. Comparaison ridicule mais pas tant que ça !
gradibus ascendens ad eum, qui fecit me, et venio in campos et lata praetoria memoriae, ubi sunt thesauri innumerabilium imaginum de cuiuscemodi rebus sensis invectarum. ibi reconditum est, quidquid etiam cogitamus, vel augendo vel minuendo vel utcumque variando ea quae sensum attigerit, et si quid aliud commendatum et repositum est, quod nondum absorbuit et sepelivit oblivio. ibi quando sum, posco, ut proferatur quidquid volo, et quaedam statim prodeunt, quaedam requiruntur diutius et tamquam de abstrusioribus quibusdam receptaculis eruuntur, quaedam catervatim se proruunt et, dum aliud petitur et quaeritur, prosiliunt in medium quasi dicentia : ne forte nos sumus ? et abigo ea manu cordis a facie recordationis meae, donec enubiletur quod volo atque in conspectum prodeat ex abditis. alia faciliter atque inperturbata serie sicut poscuntur suggeruntur, et cedunt praecedentia consequentibus, et cedendo conduntur, iterum cum voluero processura. quod totum fit, cum aliquid narro memoriter.
Je poursuis ma lente ascension vers celui qui m’a fait. J’atteins les immenses prairies, les vastes palais de la mémoire où se trouvent les trésors des images innombrables importées par la perception de toutes sortes d’objets.
Est entreposé là tout ce que notre intelligence développe, réduit ou modifie de quelque façon, à partir de la perception sensible. Et d’autres choses encore déposées là, conservées, que l’oubli n’a toujours pas absorbées et englouties.
J’y suis. Je réclame de voir ce que je veux. Pour certaines choses c’est immédiat, pour d’autres la recherche est plus longue. Comme s’il fallait les extraire d’entrepôts plus secrets. Certaines affluent en bande alors même qu’on en avait demandé et cherché une autre. Elles font irruption avec l’air de dire : c’est peut-être nous que tu cherches… La main de mon cœur les chasse du visage de ma mémoire jusqu’à ce qu’émerge de l’obscurité ce que je cherche. Sortie de sa cachette, la chose se présente à moi. D’autres, en répondant à l’appel, se mettent en rangs impeccables. Celles qui ouvrent la marche disparaissent pour céder la place aux suivantes, et en disparaissant sont cachées pour reparaître quand je le voudrai. C’est exactement ce qui se passe quand je raconte quelque chose de mémoire.
quam suave mihi subito factum est carere suavitatibus nugarum, et quas amittere metus fuerat, iam dimittere gaudium erat.
Soudain, manquer de la douceur des riens me devint douceur. Ce que j’avais eu peur d’abandonner, maintenant j’étais heureux d’y renoncer.
Ce qui m’était doux, soudain, il m’est devenu doux d’en manquer. Ce que j’avais eu peur de lâcher, maintenant, j’étais heureux de le balancer.
Ita sarcina saeculi, velut somno assolet, dulciter premebar ; et cogitationes, quibus meditabar in te, similes erant conatibus expergisci volentium, qui tamen superati soporis altitudine remerguntur. et sicut nemo est, qui dormire semper velit, omniumque sano iudicio vigilare praestat, differt tamen plerumque homo somnum excutere, cum gravis torpor in membris est, eumque iam displicentem carpit libentius, quamvis surgendi tempus advenerit : ita certum habebam, esse melius, tuae caritati me dedere, quam meae cupiditati cedere ; sed illud placebat et vincebat, hoc libebat et vinciebat. non enim erat quod tibi responderem dicenti mihi : Surge qui dormis, et exsurge a mortuis, et inluminabit te Christus ; et undique ostendenti vera te dicere, non erat omnino, quid responderem veritate convictus, nisi tantum verba lenta et somnolenta : modo, ecce modo sine paululum. sed modo et modo non habebat modum et sine paululum in longum ibat. frustra condelectabatur legi tuae secundum interiorem hominem, cum alia lex in membris meis repugnaret legi mentis meae, et captivum me duceret in lege peccati, quae in membris meis erat. lex enim peccati est violentia consuetudinis, qua trahitur et tenetur etiam invitus animus, eo merito, quo in eam volens inlabitur.
Le doux poids du monde m’accablait, comme cela nous arrive souvent dans le sommeil. Je pensais à Toi, je rêvais de Toi comme quelqu’un qui se débat dans son sommeil en voulant se réveiller, sans pouvoir émerger, et qui replonge dans les profondeurs de l’endormissement. Personne ne veut dormir toujours. Tout homme sensé préfère l’état de veille. Mais d’ordinaire, il tarde à s’arracher du sommeil quand la torpeur alourdit ses membres, et malgré le désagrément, il y prend plus de plaisir encore, même si le réveil a sonné. Comme moi, certain qu’il valait mieux me donner à Ton amour que de céder à ma concupiscence. Mais le premier me plaisait et me dominait, et l’autre m’attirait et m’enchaînait. Je n’avais rien à te répondre quand tu demandais : Tu dors ? Lève-toi. Relève-toi des morts. Christ t’illuminera. Tu affichais partout que Tu disais vrai et je n’avais rien du tout à répondre, convaincu de la vérité, sinon des paroles indifférentes et somnolentes : oui, tout de suite… voilà, voilà… un petit instant… mais ces « tout de suite, tout de suite » n’avaient jamais de suite, et le petit instant traînait en longueur. L’homme intérieur en moi se plaisait dans Ta loi, mais c’est une autre loi dans mes membres qui luttait contre la loi de mon intelligence et m’enchaînait à la loi du péché qui était dans mes membres. Oui, la loi du péché, c’est la violence de l’habitude. Elle entraîne et retient l’esprit contre son gré. Juste sanction car il se laisse faire volontairement.
Et manifestatum est mihi, quoniam bona sunt, quae corrumpuntur, quae neque si summa bona essent, corrumpi possent, neque nisi bona essent, corrumpi possent : quia, si summa bona essent, incorruptibilia essent, si autem nulla bona essent, quid in eis conrumperetur, non esset. nocet enim corruptio, et nisi bonum minueret, non noceret. aut igitur nihil nocet corruptio, quod fieri non potest, aut, quod certissimum est, omnia, quae corrumpuntur, privantur bono. si autem omni bono privabuntur, omnino non erunt. si enim erunt et corrumpi iam non poterunt, meliora erunt, quia incorruptibiliter permanebunt. et quid monstrosius quam ea dicere omni bono amisso facta meliora ? ergo si omni bono privabuntur, omnino nulla erunt : ergo quamdiu sunt, bona sunt. ergo quaecumque sunt, bona sunt, malumque illud, quod quaerebam unde esset, non est substantia, quia, si substantia esset, bonum esset.
Ce qui est bon pourrit – c’est devenu évident pour moi. Ce qui n’est le cas ni pour ce qui est suprêmement bon ni pour ce qui n’est radicalement pas bon : ce qui est suprêmement bon est imputrescible, et dans ce qui n’est radicalement pas bon rien n’est susceptible de pourrir. Pourrir est une nuisance. Si le bien n’en était pas altéré, ce n’en serait pas une. Ou alors pourrir ne nuit en rien mais c’est impossible ! ou bien, et c’est sûr, pourrir est toujours la privation d’un bien. Mais une chose privée de tout bien n’existe plus. Si elle existe et qu’elle ne peut plus pourrir, elle sera meilleure parce qu’elle restera sans pourrir. Et quoi de plus monstrueux que de dire qu’en perdant tout bien une chose est devenue meilleure ? Donc, si on la prive de tout bien, elle ne sera plus rien du tout. Conclusion : aussi longtemps qu’elle existe, elle est bonne. Et tout ce qui existe est bon. Et le mal dont je cherchais l’origine n’est pas une substance. Parce que s’il était une substance, il serait bon.