Ego itaque incras­sa­tus corde, nec mihi­met ipsi vel ipse conspi­cuus, quid­quid non per ali­quan­ta spa­tia ten­de­re­tur, vel dif­fun­de­re­tur vel conglo­ba­re­tur vel tume­ret, vel tale ali­quid cape­ret aut capere pos­set, nihil pror­sus esse arbi­tra­bar.

J’avais la conscience trouble. J’étais sans vision de moi-même. Tout ce qui ne pou­vait dans l’es­pace se déployer, se répandre ou se conden­ser, se gon­fler, prendre ou être capable de prendre une forme, n’é­tait pour moi que du rien.

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Les Aveux [Confessiones (397–402)]
,
t. 7
,
chap. 2
,
trad.  Frédéric Boyer
, , ,
p. 182

et quo­niam cum de deo meo cogi­tare vel­lem, cogi­tare nisi moles cor­po­rum non nove­ram – neque enim vide­ba­tur mihi esse quic­quam, quod tale non esset – ea maxi­ma et prope sola cau­sa erat inevi­ta­bi­lis erro­ris mei. Hinc enim et mali sub­stan­tiam quan­dam cre­de­bam esse talem, et habere suam molem, tetram et defor­mem sivi cras­sam, quam ter­ram dice­bant, sive tenuem atque sub­ti­lem, sicu­ti est aeris cor­pus : quam mali­gnam men­tem per illam ter­ram repen­tem ima­gi­nan­tur. et quia deum bonum nul­lam malam natu­ram creasse qua­lis­cumque me pie­tas cre­dere coge­bat, consti­tue­bam ex adver­so sibi duas moles, utramque infi­ni­tam, sed malam angus­tius, bonam gran­dius. […] et magis plus mihi vide­bar, si te, deus meus, cui confi­ten­tur ex me mise­ra­tiones tuae, vel ex cete­ris par­ti­bus infi­ni­tum cre­de­rem, quam­vis ex una, qua tibi moles mali oppo­ne­ba­tur, coge­rer fini­tum fate­ri, quam si ex omni­bus par­ti­bus in cor­po­ris huma­ni for­ma te opi­nar fini­ri. et melius mihi vide­bar cre­dere nul­lum malum te creasse – quod mihi nes­cien­ti non solum ali­qua sub­stan­tia, sed etiam cor­po­rea vide­ba­tur, quia et men­tem cogi­tare non nove­ram nisi eam sub­tile cor­pus esse, quod tamen per loci spa­tia dif­fun­de­re­tur – quam cre­dere abs te esse qua­lem puta­bam natu­ram mali. ipsum quoque sal­va­to­rem nos­trum, uni­ge­ni­tum tuum, tam­quam de mas­sa luci­dis­si­mae molis tuae por­rec­tum ad nos­tram salu­tem ita puta­bam, ut aliud de illo non cre­de­rem nisi quod pos­sem vani­tate ima­gi­na­ri. talem itaque natu­ram eius nas­ci non posse de Maria vir­gine arbi­tra­bar, nisi car­ni concer­ne­re­tur. concer­ni autem et non coin­qui­na­ri non vide­bam, quod mihi tale figu­ra­bam. metue­bam itaque cre­dere incar­na­tum, ne cre­dere coge­rer ex carne inqui­na­tum.

Mais si je vou­lais me repré­sen­ter mon Dieu, je ne savais me repré­sen­ter qu’une masse phy­sique. Je m’i­ma­gi­nais que rien ne pou­vait exis­ter sinon en cet état : cause majeure et presque unique de mon inévi­table erreur. Car de là, j’ai cru que le mal était une sorte de sub­stance du même ordre. Avec sa propre masse répu­gnante et informe, appe­lée terre quand elle est épaisse, ou ténue et sub­tile comme un corps aérien, un esprit malin qu’on ima­gine ram­per sur la terre. Et parce qu’un sem­blant de pié­té me for­çait à croire qu’un Dieu bon n’a créé aucune nature mau­vaise, j’op­po­sais deux masses face à face, toutes les deux infi­nies, la mau­vaise plus étroite, et la bonne plus vaste. […] Mais la masse de mal oppo­sée à toi me for­çait à t’a­vouer fini. Je pré­fé­rais donc croire que tu n’a­vais créé aucun mal – qui pour moi, dans mon igno­rance, était non seule­ment sub­stance mais sub­stance cor­po­relle puisque je ne savais conce­voir un esprit autre­ment que sous la forme d’un corps sub­til qui se dila­tait dans l’es­pace d’un lieu – plu­tôt que de croire que la nature du mal, selon ma concep­tion, venait de toi. Notre sau­veur lui-même, ton unique fils engen­dré, je me le repré­sen­tais comme extrait du bloc de ta masse lumi­neuse pour nous sau­ver. Ce que j’en croyais se limi­tait à ma vaine ima­gi­na­tion. Impossible de conce­voir qu’une nature comme la sienne puisse naître de Marie, vierge, sans être inex­tri­ca­ble­ment liée à la chair. Et je ne voyais pas, selon l’i­mage que je m’en fai­sais, com­ment y être lié sans être conta­mi­né. J’avais peur en croyant à une nais­sance char­nelle d’a­voir à croire à une conta­mi­na­tion par la chair.

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Les Aveux [Confessiones (397–402)]
,
t. 5
,
chap. 20
,
trad.  Frédéric Boyer
, , ,
p. 151–152

Ne t’im­pose aucune contrainte, mais ne sois pas mal­heu­reux de ne te contraindre à rien, ou encore, si tu devais le faire, d’être obli­gé de t’y contraindre. Et si tu ne te contrains pas, cesse de flai­rer las­ci­ve­ment les pos­si­bi­li­tés de contrainte.

Zwinge dich zu nichts, aber sei nicht unglü­ck­lich darü­ber, daß du dich nicht zwing­st, oder darü­ber, daß du, wenn du es tun soll­test, dich zwin­gen müß­test. Und wenn du dich nicht zwing­st, umlaufe nicht immer­fort lüs­tern die Möglichkeiten des Zwanges.

, ,
trad.  Marthe Robert
, , , 18 jan­vier 1922

La phrase favo­rite de la femme du phi­lo­sophe Mendelssohn : Wie mies ist mir vor tout l’u­ni­vers !

Lieblingssatz der Frau des Philosophen Mendelssohn : Wie mies ist mir vor tout l’u­ni­vers !

, ,
trad.  Marthe Robert
, , ,
p. 117
, 1er novembre 1911

Superstition : en buvant dans un verre qui a des défauts, on ouvre l’ac­cès de l’homme aux mau­vais esprits.

Aberglaube : Trinkt man aus einem unvoll­kom­me­nen Glas, bekom­men die bösen Geister Eingang in den Menschen.

, ,
trad.  Marthe Robert
, , ,
p. 104
, 27 octobre 1911

What an inter­es­ting fin­ger
let me suck it

It’s not an inter­es­ting fin­ger
take it away

 

 

The sta­te­ment is point­less
The fin­ger is spee­chless

It is boring that you are frigh­te­ned
you are boring me by being inter­es­ted in me

In trying to be inter­es­ting,
you are very boring.

You are frigh­te­ned of being boring, you
try to be inter­es­ting by not being inter­es­ted,
but are inter­es­ted only in not being boring.

You are not inter­es­ted in me.
You are only inter­es­ted that I be inter­es­ted in you.

You pre­tend to be bored
because I am not inter­es­ted
that you are frigh­te­ned
that I am not frigh­te­ned
that you are not inter­es­ted in me.

They are playing a game. They are playing at not playing a game. If I show them I see they are, I shall break the rules and they will punish me. I must play their game, of not seeing I see the game.

In my city one wished me death,
Nevermind,
The stars last more than one night –
The hid­den so dis­poses ima­gi­na­tion,
And so the body to take on a nature
Opposed it seems to itself, of which no idea
Can be given the mind, but that a man
Out of need of his nature should try not to exist
Or appear chan­ged
Is as impos­sible
As for any thing to be made out of nothing,
This eve­ryone with a lit­tle reflec­tion
May see :
Anyone can kill him­self, com­pel­led by some other
Who twists his right hand
Which holds per­haps a sword
So it is led against his own heart,
Or like Seneca by the com­mand of a tyrant,
Be for­ced to open his veins,
To avoid more evil by taking on less –
Many things sleep­wal­kers do
They would not dare if awake –
All of which shows
That the body can do many things
By the laws of its nature
At which the mind is ama­zed ;
No one knows how
The mind moves the body
(Cerebral charges ? were dis­co­ve­red
Some time ago thru poe­try
Not sur­pri­sed in the least
By new science)
Or by what means,
Nor how many degrees of motion
It can give the body,
Nor with what speed it can move it.
Whence if men say this or that action
Arises from the mind
That has power over the body
They confess spe­cious words
That do not regard it with won­der ;
When the body sleeps
The mind’s uncons­cious (Spinoza very ear­ly on that)
Has not the power
It has when awake.
The mind is not always apt
For thin­king its sub­ject,
Only as the body is apt
For the image of this or that
To excite it
Does the mind see the object.

I loo­ked
When we dream that we speak
We think we speak
From free deci­sion of the mind ;
Yet we do not speak, or if we do,
This deci­sion thought to be free
Is ima­gi­na­tion – or memo­ry ;
Is nothing but the accord
An idea involves.
A sus­pen­sion of judg­ment
Apprehends, is not free.
In dreams also we dream that we dream,
I grant no one is decei­ved
In so far as he per­ceives.
The ima­gi­na­tions of the mind
in them­selves
Involve no error,
But I deny that a man
affirms nothing
In so far as he per­ceives –

SPINOZA.

Dans ma ville on sou­hai­tait ma mort,
N’y pen­sons plus,
Les étoiles durent plus qu’une nuit –
Ce qui est caché dis­pose l’i­ma­gi­na­tion,
Et le corps l’emporte sur une nature
Qui semble se contra­rier, ce qui passe l’en­ten­de­ment,
Mais qu’un homme veuille échap­per aux besoins de sa nature
Pour ten­ter de ne pas exis­ter ou chan­ger d’ap­pa­rence,
C’est aus­si impos­sible
Que de faire sur­gir quelque chose de rien.
Avec un peu de réflexion, n’im­porte qui
Peut voir :
Chacun peut se tuer soi-même sous la contrainte d’un autre
Qui lui tord la main droite
Munie d’un sabre peut-être,
Il le fera à contre­cœur,
Ou comme Sénèque sur l’ordre d’un tyran,
Forcé de s’ou­vrir les veines
Pour parer au mal par un moindre mal –
Il y a bien des choses que font les som­nam­bules
Et qu’ils n’o­se­raient faire éveillés.

Tout cela montre
Que le corps peut faire beau­coup de choses
Selon les lois de la nature
Et l’es­prit en est sidé­ré ;
Nul ne sait com­ment
L’esprit fait bou­ger le corps
(Électricité céré­brale ? On l’a décou­vert
Il y a quelque temps par la poé­sie
Nullement sur­prise par la science nou­velle)
Ni de quelle manière
Je peux trans­mettre au corps
Une quan­ti­té d’im­pul­sions
Ni à quelle vitesse ça peut le faire bou­ger.
Dès lors, si les hommes disent que telle ou telle action
Procède de l’es­prit
Qu’il exerce un pou­voir sur le corps
Ils admettent des argu­ments fal­la­cieux
Étrangers à cette mer­veille ;
Quand le corps est endor­mi
L’inconscent de l’es­prit (voir Spinoza très tôt sur la ques­tion)
N’a pas le pou­voir
Qui est le sien à l’é­tat de veille.
L’esprit n’est pas tou­jours à même
De pen­ser un objet,
Dès qu’il s’en forme une image
Ou que l’i­mage excite
L’esprit voit l’ob­jet.

Voyez
Quand nous rêvons que nous par­lons
Nous croyons par­ler
Comme si notre esprit déci­dait libre­ment ;
Cependant nous ne par­lons pas, ou si nous le fai­sons,
Cette déci­sion qui se croyait libre
Est le pro­duit de l’i­ma­gi­na­tion – ou de la mémoire ;
Ce n’est rien d’autre qu’une concor­dance
Que toute idée implique.
Le juge­ment sus­pen­du
Appréhende quelque chose, sans être libre.
Dans les rêves aus­si nous rêvons que nous rêvons,
Je vous accorde que nul ne se leurre
Pour autant qu’il per­çoive.
L’imagination en elle-même
N’implique pas l’er­reur,
Mais je nie qu’un homme
n’af­firme rien
Quand il per­çoit.

SPINOZA

,
« A12 » « A »
,
trad.  François Dominique trad.  Serge Gavronsky
, , ,
p. 187–189
, (tra­duc­tion parue chez Virgile, 2003, p. 86–88à

As Baruch said accur­sed, never­mind blest –
Since men would rather ima­gine than unders­tand
And chance is imper­fect know­ledge
And body exists as we feel it
And essence is that remove, that degree,
without which a thing is no thing
(Defined is defi­ned)
And nothing hap­pens in the body
That is not per­cei­ved by the mind
The mind also conceives by its power –
A contents that is as in the song « sweet content. »
Since no one cares about any­thing he does not love
And love is plea­sure that dwells on its cause
He who loves keeps what he loves :
An image inwrea­thed with many things
That may flou­rish, that draws cause
To light up.
If the unders­tan­ding per­ceives the idea of quan­ti­ty as cause
It deter­mines the quan­ti­ty
So to speak from motion
(A line from motion of a point,
A body from motion of a plane)
Yet these are not unders­tood
Unless quan­ti­ty is per­cei­ved
And the motion be made to endure
Forever,
Which could not be
Without a thought
Of infi­nite quan­ti­ty.