Explication

  1. La poix désigne conven­tion­nel­le­ment, d’après Wikipédia, « n’importe quel liquide très vis­queux, qui semble solide ».
    1. Est-ce que « n’importe quel liquide très vis­queux, qui semble solide » est une des­crip­tion de l’usage du mot « poix » ou de la chose elle-même ? Est-ce que c’est la défi­ni­tion de « poix » ou la carac­té­ri­sa­tion de la poix ? Et alors une carac­té­ri­sa­tion par le propre ou par l’espèce ? Est-ce que la poix tient sa sin­gu­la­ri­té dans le monde du fait d’allier sem­blance de soli­di­té et vis­co­si­té effec­tive ? Ou est-ce que par là elle s’apparente à une foule d’autres choses qui se dis­tinguent sur le même mode ? Est-ce que la « sem­blance » de soli­di­té abuse uni­que­ment la vue ou aus­si le tou­cher ? Et si aus­si le tou­cher, pour­quoi est-ce que la vis­co­si­té, au contraire de la soli­di­té, serait épar­gnée des vicis­si­tudes empi­riques de la « sem­blance » ? Pourquoi est-ce qu’on ne dirait pas : une sub­stance qui, sous le rap­port de l’expérience en labo­ra­toire, semble être un liquide d’une grande vis­co­si­té, et sous le rap­port de l’expérience ordi­naire, un corps solide ? Quand, où, à qui, dans quels yeux, sous quels pieds et entre quelles mains, est-ce que la poix « semble solide » ?
    2. La phrase de Wikipédia est elle-même vis­queuse-qui-semble-solide. Ses termes lapi­daires ne l’empêchent pas de gout­ter, de nous cou­ler entre les doigts si on cherche à s’y accro­cher : « poix » ne désigne rien de sub­stan­tiel en propre, mais seule­ment une espèce ou un type de sub­stance (par exemple : poix de résine ou de gou­dron, bitume).
    3. À vrai dire, « poix » ne désigne même pas un type de sub­stances de même ori­gine ou issues d’un même pro­cé­dé d’extraction ou de fabri­ca­tion, mais un ensemble de pro­prié­tés par­mi les­quelles la vis­co­si­té, l’adhérence, l’isolance – toutes extrêmes.
    4. C’est à cette quan­ti­té de qua­li­tés qu’on a don­né un nom com­mun, un nom dont le carac­tère mono­syl­la­bique laisse ima­gi­ner une impo­si­tion très lente, ou bien subite. « Poix » a peut-être été reçu d’un coup, dans l’évidence d’une ana­lo­gie avec un truc déjà nom­mé (sub­stance maté­rielle ou imma­té­rielle, divine ou amie), ou alors « poix » a long­temps tour­né dans les bouches, sous une forme mal dégros­sie d’abord puis de plus en plus raf­fi­née, jusqu’à ce qu’un jour, au bout d’un cer­tain nombre de veillées com­mu­nau­taires autour du feu com­mu­nau­taire, un quin­tes­sen­cier mono­syl­labe ne s’atteste, et là-des­sus un accord infor­mel, sans conver­sa­tion mais par elle, s’établit autour du son « poix » – son aus­si impropre que n’importe quel autre mais pas grave, il va bien tant qu’on le cré­dite.
    5. Mettons que de ce jour on a ren­du « poix » res­pon­sable d’un savoir liquide. On a mis « poix » en charge d’une réa­li­té mal authen­ti­fiée mais bien dis­po­sée pour l’usage. On a fait usage de poix et de son nom sans souf­frir de n’y avoir atta­ché ni norme ni for­mat.
  2. Continuer

Mon amie L. a dres­sé une typo­lo­gie som­maire mais robuste de la parole poli­ti­cienne. Pour elle, tout dis­cours poli­tique émane néces­sai­re­ment d’une de ces deux ins­tances : le Ministre de la Violence Intérieure, le Ministre de la Violence Extérieure. Cette dua­li­té n’est pas une bicé­pha­li­té (on sait bien qu’il n’y a pas deux per­sonnes qui décident, en France, mais une seule) ; les deux ministres sont des ins­tances, que peuvent incar­ner tour à tour n’importe quels membres du clan au pou­voir. Une même per­sonne peut être tan­tôt MVI, tan­tôt MVE. Par ailleurs, MVI et MVE ne dési­gnent pas, a prio­ri, des posi­tions modales : il y a des degrés de minis­tra­tion de la Violence Extérieure, des degrés de minis­tra­tion de la Violence Intérieure. La modé­li­sa­tion de L. n’a pas pour voca­tion de déter­mi­ner le rôle de telle ou telle per­sonne dans la minis­tra­tion des Violences, et de l’y assi­gner ; la modé­li­sa­tion de L. est d’abord un outil d’analyse des dis­cours poli­tiques. C’est en tout cas ain­si que je l’ai com­prise, avant que L. me dise que, dans son esprit, ça n’est pas ça du tout.

Parce que ces deux ins­tances dis­cur­sives – MVE et MVI – ne sont pas de l’ordre du lap­sus mais sont plei­ne­ment, et la plu­part du temps gros­siè­re­ment assu­mées par des gens qui ont la pré­ten­tion d’être d’habiles rhé­teurs et d’excellents com­mu­ni­cants, on peut consi­dé­rer qu’elles ne se trouvent pas inci­dem­ment dans les dis­cours, mais qu’elles en sont consti­tu­tives. C’est pour­quoi il n’est pas néces­saire de tra­quer des mal­adresses dans les inter­views et réac­tions à chaud ; il suf­fit de se fier aux ver­ba­tims d’allocutions et à la teneur expli­cite des décla­ra­tions. Notre ana­lyse est faci­li­tée par la croyance du corps poli­ti­cien dans le degré phé­ro­mo­nal de la com­mu­ni­ca­tion, c’est-à-dire dans l’effectivité mas­sive des signaux envoyés par leurs phrases. Ainsi entend-on sou­vent des com­men­ta­teurs dire : le Ministre / le Président doit envoyer / a envoyé un signal fort – ce qui ne peut pas ne pas s’entendre comme : « Le Ministre a déga­gé une odeur forte ». (Qui n’a pas sen­ti jusque chez soi l’aftershave alpha­gen­ré lors d’un dis­cours de Castaner, avec la même inten­si­té que, lors­qu’à la mi-temps des matchs de foot, s’enchaînent les pubs pour déso­do­ri­sant de chiottes pour ais­selles). Ce signal phé­ro­mo­nal à l’adresse des masses, on peut aus­si l’appeler, en termes rhé­to­ri­co-lin­guis­tiques, per­for­ma­tif cre­vé : ça fait belle lurette qu’il n’a plus aucune effi­ca­ci­té, mais tout le monde conti­nue de faire comme si – comme si par­ler valeurs ren­dait valeu­reux, comme si par­ler fer­me­ment don­nait de la consis­tance, comme si par­ler au futur simple fai­sait son oracle.Continuer