discours

Improcédure du 9.1.2018 : « La dif­fé­rence » (dans une cave de la rue Duguesclin, Marseille)

Le didac­tisme à vide est sans cau­tèle
quand il tourne des bras
ce n’est pas pour mimer faire pas­ser du savoir
il ne fait pas les bruits de langue et de sli­de­show du savoir en train de pas­ser
il fait d’au­then­tiques bruits de pos­ca
des cris­se­ments de style sur le rêche de la vie
(la vie pour aujourd’­hui : l’es­poir que s’ex­pli­quer s’explique
sans qu’il faille néces­sai­re­ment suivre).Continuer

Explication

τύχη, túkhê : Chance, for­tune, pro­vi­dence.
De τυγχάνω, tug­khá­nô (« se pro­duire », « atteindre un but, une cible »)

Ça se passe au Τύχη (3), où il y a :

  • 1. moins de tentes que de gens ;
  • 2. d’im­menses cou­chants qui laissent diver­se­ment sen­sible ;
  • 3. à faire ;
  • ☌. du coup, peut-être, des sen­si­bi­li­tés à faire.

Fig. 1 : Immense cou­chant. – Fig. 2 : À faire

Des ques­tions de quo­li­bets sont adres­sées à un couple de per­sonnes consti­tué pour l’oc­ca­sion. Ces ques­tions sont des colles cog­ni­tives, des énigmes anthro­po­lo­giques ou des exer­cices d’in­tui­tion. Elles sug­gèrent sou­vent un ordre de réponses exclu­sif ou cli­vant : leur bina­risme consti­tue à la fois les balises et les plots de la conver­sa­tion, ses obs­tacles pra­tiques ; la pola­ri­té de leurs termes défi­nit le champ d’exer­cice du juge­ment.

Placer d’emblée les entre­tiens sous la tutelle d’é­non­cés apo­phan­tiques plus ou moins expli­cites per­met de jouer les intrigues à par­tir des assen­ti­ments, donc aus­si d’in­ter­dire un registre modé­ré de réponse – pyr­rho­nisme, levée dia­lec­tique un peu leste, abs­ti­nence et autres sage­ries.

Quelle est la dif­fé­rence entre un couple et une paire ? Lequel des deux est le plus fonc­tion­nel ? Le plus poli­tique ? Le mieux coor­don­né ? Une paire est-elle for­cé­ment assor­tie ? Est-il plus long d’ac­cor­der une paire ou d’ac­cor­der un couple ? En domaine conju­gal, la notion d’orde­red pair indique-t-elle une hié­rar­chie ou une pré­cé­dence ? Une prio­ri­té opé­ra­toire dans une lutte ran­gée (agon) ou une exclu­sive mani­pu­la­toire dans un com­bat dra­ma­ti­sé (mimi­cry) ?
C’est qui le plus fort ? L’agneau, le chien, le loup, le lion, le renard, le cor­beau, la per­sonne ? Question sub­si­diaire : Qui gagne­rait, le soleil ou dix mil­liards de lions ?
Il existe, en Éthiopie, un peuple, les Dorzé, qui consi­dère que le léo­pard est un ani­mal chré­tien, et qu’à ce titre il res­pecte les jeûnes heb­do­ma­daires de l’Église copte (le mer­cre­di et le ven­dre­di). Pourtant, les Dorzé pro­tègent leurs trou­peaux des attaques de léo­pards tous les jours de la semaine. Pourquoi ?1
Complétez sui­vant le modèle : Le drame de l’a­mour

La comé­die
La tra­gé­die
L’épopée

Quand, com­ment, par quelle pro­cé­dure, sait-on avec cer­ti­tude qu’on n’a plus pied ?
Paul est accu­sé d’a­voir ren­du malade une jeune fille en lui tou­chant les mains. Un pro­cès est orga­ni­sé. Très vite, le reproche réel des juges appa­raît : avoir caché à la com­mu­nau­té des pou­voirs cha­ma­niques qui expliquent l’ef­fi­cace de son geste (ino­cu­la­tion ou conta­gion). Paul nie d’a­bord, puis finit par avouer des dons, four­nit des détails, fait la genèse de leur acqui­si­tion. À l’is­sue de ces aveux, le tri­bu­nal réin­tègre Paul et lui fait pro­mettre de ne plus faire de ses dons un usage néfaste au sein de la com­mu­nau­té. Paul est-il habile ou sin­cère, dupe ou non dupe ?2

Le couple de cir­cons­tance est requis de répondre en paire, de s’apparier effi­ca­ce­ment pour un arrai­son­ne­ment com­mun ou au moins une réponse unique. Le néces­saire appa­rie­ment ne vaut pas pari de conjua­li­té : la paire est tem­po­raire – même s’il n’est pas exclu que s’y gagne une inti­mi­té.

Les enre­gis­tre­ments des conver­sa­tions sont ensuite cou­pés pour ne pas dépas­ser une ou deux minutes, puis mon­tés sur un slot de la Roue Quodlibétale, et dif­fu­sés au hasard des tour­ni­que­ments de celle-ci.

Idéalement (juin 2017)

Les entre­tiens ont lieu :
– en latin tar­dif ;
– hors des tentes.

Les ques­tions de quo­li­bets ont pour objet de for­cer à élu­ci­der les rai­sons per­son­nelles, et pour méthode de prendre au sérieux le quel­conque, et du quel­conque le bon-vou­loir, et du bon-vou­loir le qui-vient (à l’es­prit), et du qui-vient le plai­sant, et du pas déplai­sant le qui-charme (la rai­son et les sens).


Pratiquement (juillet 2017)

Cette micro­lo­gie des rai­sons n’est pas néces­sai­re­ment une traque acri­mo­nieuse ; les entre­tiens quo­dli­bé­taux sont une pra­tique sin­cère, sen­sible, pas jus­ti­cière : le tout-venant d’une réponse intui­tive, le non-cha­loir de sa per­sonne, est mobi­li­sé pour un tout-cha­loir géné­ral, un pan-cha­loir qui, plus ou moins vaillant, déper­son­na­lise.

Que tout importe éga­le­ment sauve ou pèse, ni plus ni moins que le mal pesé, le mal sau­vant, le mal pon­dé­ré des rap­ports per­son­nels. Mais que la conver­sa­tion vaille, achale, assaille jus­qu’au conçu com­mun dont on pour­ra faire un à faire, ou que, pesant d’un poids constant, elle nivelle et finisse par faire se valoir tout le relief per­son­nel du diver­se­ment sen­sible, elle pro­cède d’un vou­loir savoir très-tran­si­tif dont la cha­leur opé­ra­toire a, aura tou­jours, dans le dar­de­ment de son objet, assé­ché le pro­jet mani­pu­la­toire.


Le cha­mane

Couple et paire

C’est qui le plus fort ?

Le léo­pard chré­tien

Le drame de l’a­mour

Avoir pied

Dire que les opé­ra­tions tran­si­tives com­munes pour­raient, sinon sécher d’un coup, chauf­fer jus­qu’au taris­se­ment les pro­jets mani­pu­la­toires, c’est moins dénon­cer qu’il y a du mani­pu­la­toire (ça, c’est un épan­che­ment jus­ti­cier), que faire (sa)voir à sa per­sonne que le mani­pu­la­toire est stag­nant, stag­nant dans la per­sonne.

C’est parce que je crois que c’est clair que je l’ex­plique mal : j’es­saie de me (faire) sen­si­bi­li­ser à ce qui, dans le détail des rai­sons per­son­nelles, dupe ; et pour moi c’est moins les rai­sons que le per­son­nel.

Les rai­sons, là, ne s’in­ter­rogent pas depuis l’en­vie jus­ti­cière de les découdre, de les iso­ler, de les obser­ver dans l’élé­ment, ren­du à sa pure­té, de leur vali­di­té éthique. L’opératoire est enchaî­nant, intri­quant, com­pe­lo­teur. Cherchant les rai­sons, la dis­pute opé­ra­toire ne traque ni les causes ni les inten­tions ; elle admet, comme une règle de son jeu et une condi­tion de sa pro­gres­sion – en un mot, comme une de ses rai­sons – la vali­di­té pra­tique de tels énon­cés, et l’in­va­li­di­té de tels autres. Mais les inva­li­dés per­dus, bou­lés le long des pentes de l’a­no­mie, conti­nuent d’o­pé­rer dans la conver­sa­tion comme d’an­ciens conju­rés écar­tés du pro­jet. Le ter­rain est connu et avec lui le risque de trop vite inva­li­der.

Une série de pour moi issue des sen­si­bi­li­tés com­munes :
La conver­sa­tion eue, c’est
La roue tour­nant, c’est
La roue mon­tée une fois pour toutes, la tente orien­tée en fonc­tion des levants, zéniths, azi­muts, c’est
La roue droite, c’est
Le kit, c’est
La tente pen­chée, c’est
La roue tour­nant, c’est
La per­sonne, c’est
Le hasard, c’est
La roue pen­chant, c’est
La débrouille, c’est
La tente mon­tée, c’est
Se sen­si­bi­li­ser, c’est
Les cou­chants, c’est
Τύχη, c’est un rien per­son­nel, un ter­rain ten­du aux épan­cha­loirs.

  1. Exemple issu de Dan Sperber, Le sym­bo­lisme en géné­ral, Paris, Hermann, 1974. Voici l’ex­pli­ca­tion de Sperber, qui s’ins­crit dans un rai­son­ne­ment plus vaste sur le sta­tut des savoirs tra­di­tion­nel et expé­rien­tiel : « Toute pro­po­si­tion syn­thé­tique en implique et en contre­dit d’autres. Notre connais­sance du monde se construit en arti­cu­lant des pro­po­si­tions selon ces rela­tions, en n’acceptant une pro­po­si­tion qu’avec ses impli­ca­tions, du moins les plus évi­dentes, et en évi­tant de même les contra­dic­tions. L’expérience montre que le savoir ency­clo­pé­dique n’est pas exempt d’incohérences et de contra­dic­tions, mais toute la vie pra­tique dépend d’un effort constant pour les évi­ter ou les cor­ri­ger. Les pro­po­si­tions sym­bo­liques ne sont pas arti­cu­lées de la même manière, et ne font pas l’objet d’un pareil effort. Non qu’elles soient inco­hé­rentes entre elles, mais leur cohé­rence est d’une autre nature, et elles co-existent sans dif­fi­cu­lé avec des pro­po­si­tions ency­clo­pé­diques qui les contre­disent, direc­te­ment ou par impli­ca­tion. Un Dorzé n’est pas moins sou­cieux de pro­té­ger son bétail le mer­cre­di et le ven­dre­di, jours de jeûne, que les autres jours de la semaine. Non parce qu’il soup­çonne cer­tains léo­pards d’être de mau­vais chré­tiens, mais parce qu’il tient pour vrai, et que les léo­pards jeûnent, et qu’ils sont dan­ge­reux tous les jours. Ces deux pro­po­si­tions ne sont jamais confron­tées. Si un eth­no­logue tra­casse un infor­ma­teur avec cette his­toire, celui-ci réflé­chit et pro­pose : les léo­pards ne mangent pas les ani­maux tués les jours de jeûne ou peut-être ne les mangent-ils que le len­de­main. Le pro­blème des grands jeûnes qui durent plu­sieurs semaines, reste à résoudre. Mais pré­ci­sé­ment, l’informateur envi­sage la ques­tion comme une énigme, comme un pro­blème auquel existe for­cé­ment une solu­tion, et qui ne sau­rait être mal posé dans ses pré­misses. Les léo­pards sont dan­ge­reux tous les jours, il le sait d’expérience ; ils sont chré­tiens, la tra­di­tion le lui garan­tit. Il ne cherche pas la solu­tion de ce para­doxe, il sait qu’il en existe une. De même un chré­tien à qui l’ont fait per­ce­voir une contra­dic­tion dans l’Évangile de Saint-Matthieu entre la généa­lo­gie de Jésus, qui des­cend d’Abraham et David par Joseph, et l’affirmation qui suit immé­dia­te­ment, selon laquelle jésus n’est pas le fils de Joseph, ne songe pas un seul ins­tant à remettre en ques­tion l’un des termes du para­doxe et ne doute pas qu’on puisse le résoudre, même si la solu­tion lui échappe. En revanche, si son voi­sin Léon affir­mait des­cendre du roi de France par son père et avouait en même temps être le fils d’un autre, il en ferait des gorges chaudes. Il ne ferait pas grand cas de l’argument, cher aux anthro­po­logues, qui repose sur la dis­tinc­tion entre père et géni­teur. Edmund Leach y fait appel dans le cas de Jésus (Leach, 1966 b : p. 97) mais les édi­teurs de l’Évangile que j’ai sous les yeux pré­fèrent pré­ci­ser en note que l’époux de Marie était aus­si son parent. Seul un mécréant repro­che­rait à Matthieu de ne pas l’avoir dit tout de suite. Un chré­tien sait qu’il y a une bonne rai­son à cela, même s’il ne la connaît pas. »
  2. Exemple tiré de Claude Lévi-Strauss, « Le sor­cier et sa magie » (in Anthropologie struc­tu­rale, “Magie et Religion”, Chapitre IX), publié sous ce titre dans les Temps Modernes, 4e année, n°41, 1949, pp. 3–24 : « Grâce (au jeune homme, ndr), la sor­cel­le­rie, les idées qui s’y rat­tachent, échappent à leur mode pénible d’existence dans la conscience, comme ensemble dif­fus de sen­ti­ments et de repré­sen­ta­tions mal for­mu­lés, pour s’incarner en être d’expérience. L’accusé, pré­ser­vé comme témoin, apporte au groupe une satis­fac­tion de véri­té, infi­ni­ment plus dense et plus riche que la satis­fac­tion de jus­tice qu’eût pro­cu­rée son exé­cu­tion. Et fina­le­ment, par sa défense ingé­nieuse, ren­dant son audi­toire pro­gres­si­ve­ment conscient du carac­tère vital offert par la véri­fi­ca­tion de son sys­tème (puisqu’aussi bien, le choix n’est pas entre ce sys­tème et un autre, mais entre le sys­tème magique et pas de sys­tème du tout, c’est-à-dire le désar­roi) l’adolescent est par­ve­nu à se trans­for­mer, de menace pour la sécu­ri­té phy­sique de son groupe, en garant de sa cohé­rence men­tale. Mais la défense n’est-elle vrai­ment qu’ingénieuse ? Tout porte à croire qu’après avoir tâton­né pour trou­ver une échap­pa­toire, l’accusé par­ti­cipe avec sin­cé­ri­té et — le mot n’est pas trop fort — fer­veur, au jeu dra­ma­tique qui s’organise entre ses juges et lui. On le pro­clame sor­cier ; puisqu’il y en a, il pour­rait l’être. Et com­ment connaî­trait-il d’avance les signes qui lui révé­le­raient sa voca­tion ? Peut-être sont-ils là, pré­sents dans cette épreuve et dans les convul­sions de la fillette trans­por­tée au tri­bu­nal. Pour lui aus­si, la cohé­rence du sys­tème, et le rôle qui lui est assi­gné pour l’établir, n’ont pas une valeur moins essen­tielle que la sécu­ri­té per­son­nelle qu’il risque dans l’aventure. On le voit donc construire pro­gres­si­ve­ment le per­son­nage qu’on lui impose, avec un mélange de rou­blar­dise et de bonne foi : pui­sant lar­ge­ment dans ses connais­sances et dans ses sou­ve­nirs, impro­vi­sant aus­si, mais sur­tout, vivant son rôle et cher­chant, dans les mani­pu­la­tions qu’il ébauche et dans le rituel qu’il bâtit de pièces et de mor­ceaux, l’expérience d’une mis­sion dont l’éventualité, au moins, est offerte à tous. Au terme de l’aventure, que reste-t-il des ruses du début, jusqu’à quel point notre héros n’est-il pas deve­nu dupe de son per­son­nage, mieux encore : dans quelle mesure n’est-il pas effec­ti­ve­ment deve­nu un sor­cier ? “Plus le gar­çon par­lait”, nous dit-on de sa confes­sion finale “et plus pro­fon­dé­ment il s’absorbait dans son sujet. Par moments, son visage s’illuminait de la satis­fac­tion résul­tant de l’emprise conquis sur son audi­toire.” Que la fillette gué­risse après l’administration du remède, et que les expé­riences vécues au cours d’une épreuve si excep­tion­nelle s’élaborent et s’organisent, il n’en fau­drait sans doute pas davan­tage pour que les pou­voirs sur­na­tu­rels, déjà recon­nus par le groupe, soient confes­sés défi­ni­ti­ve­ment par leur inno­cent déten­teur. » Les deux récits – ceux de la dupli­ci­té sup­po­sée des Dorzé et de celle des cha­manes – sont repris par Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? La réfé­rence au « sor­cier de Lévi-Strauss » puise dans le texte cité plus haut, mais dans une autre his­toire, celle de Quesalid, un cha­mane aux trucs expo­sés et qui essaie d’y sur­vivre : « Tels les Dorzé qui estiment à la fois que le léo­pard jeûne et qu’il faut se gar­der de lui tous les jours, les Grecs croient et ne croient pas à leurs mythes ; ils y croient, mais ils s’en servent et ils cessent d’y croire là où ils n’y ont plus inté­rêt. (…) La coexis­tence en une même tête de véri­tés contra­dic­toires (est) un fait uni­ver­sel. Le sor­cier de Lévi-Strauss croit à sa magie et la mani­pule cyni­que­ment, le magi­cien selon Bergson ne recourt à la magie que là où il n’existe pas de recettes tech­niques assu­rées, les Grecs inter­rogent la Pythie et savent qu’il arrive à cette pro­phé­tesse de faire de la pro­pa­gande pour la Perse ou la Macédoine, les Romains truquent leur reli­gion d’État à des fins poli­tiques, jettent à l’eau les pou­lets sacrés s’ils ne pré­disent pas ce qu’il fau­drait, et tous les peuples donnent un coup de pouce à leurs oracles ou à leurs indices sta­tis­tiques pour se faire confir­mer ce qu’ils dési­rent croire. Aide-toi, le ciel t’aidera ; le Paradis, mais le plus tard pos­sible. Comment ne serait-on pas ten­té de par­ler ici d’idéologie ? (…) L’idéologie est un ter­tium quid à côté de la véri­té et des pannes inévi­tables et aléa­toires de la véri­té que sont les erreurs ; c’est une erreur constante et orien­tée. (…) La notion d’idéologie est une ten­ta­tive louable et man­quée pour parer à la légende d’une connais­sance dés­in­té­res­sée, aux termes de laquelle il exis­te­rait une lumière natu­relle qui serait une facul­té auto­nome, dif­fé­rente des inté­rêts de la vie pra­tique. Cette ten­ta­tive abou­tit mal­heu­reu­se­ment à une cote mal taillée : l’idéologie mêle deux concep­tions incon­ci­liables de la connais­sance, celle du reflet et celle de l’opération. Peu frap­pante à pre­mière vue, cette contra­dic­tion est rédhi­bi­toire, si l’on y réflé­chit un ins­tant : la connais­sance ne peut pas être tan­tôt cor­recte et tan­tôt biai­sée ; si des forces telles que l’intérêt de classe ou le pou­voir la dévient quand elle est fausse, alors les mêmes forces opèrent aus­si quand elle dit vrai : elle est le pro­duit de ces forces, elle n’est pas le reflet de son objet. Mieux vau­drait recon­naître que toute connais­sance est inté­res­sée et que véri­tés et inté­rêts sont deux mots dif­fé­rents pour une même chose, car la pra­tique pense ce qu’elle fait. »
Texte

Des kan­gou­rous vivent en auto­no­mie dans la forêt de Rambouillet depuis une qua­ran­taine d’an­nées, après que leurs ancêtres se sont échap­pés d’une réserve. Des amies sont allées à leur recherche. Les kan­gou­rous sont demeu­rés introu­vables mais toute dis­po­si­tion acci­den­telle dans la forêt a pu être inter­pré­tée comme leur trace. Ce texte a été écrit pour accom­pa­gner les tirages cya­no­types de ces pho­tos de kan­gou­rous absents.

La puis­sance végé­tale pré­sente, comme cha­cune des autres puis­sances, treize har­mo­nies. La pre­mière est céleste, ou soli-lunaire ; six sont phy­siques, et six sont morales. Dans les six phy­siques, trois sont élé­men­taires, l’aérienne, l’aquatique, la ter­restre ; trois sont orga­ni­sées, la végé­tale, l’animale et l’humaine. Dans les morales, il y en a pareille­ment trois élé­men­taires, la fra­ter­nelle, la conju­gale, la mater­nelle ; et trois orga­ni­sées ou sociales, la spé­ci­fiante, la géné­rique et la sphé­rique.1

Il n’y a per­sonne à orga­ni­ser. Nous sommes ce maté­riau qui gran­dit de l’intérieur, s’organise et se déve­loppe.2

Tout ani­mal est dans le monde comme de l’eau à l’in­té­rieur de l’eau.3

Tout s’engendre aux inter­sec­tions. Tout se génère à l’abri de son genre. Tout est à la fois satu­ré de géné­ri­ci­té et pro­fon­dé­ment iso­lé. Tout finit par s’échapper de la bau­druche mais pour cela y est entré. Tout arrive rond. Rien ne fait excep­tion.

De tous temps et dans toutes les classes, l’Homme qui rôde autour de nous jusqu’à nous fixer en pro­noms, de tous temps l’Homme fixeur qui nous tient en res­pect dans des per­son­nels (de per­sonne) ou des toniques (d’appui) et qu’il convient d’appeler notre Homme, notre Homme entre­tient le désir de s’échapper sans dis­pa­raître, désir ardent de nature à nour­rir notre Homme mais à la fois le consu­mer.

Cette his­toire s’appelle aven­ture. C’est une Histoire de la Nature. Rien n’y fait défec­tion.

Continuer

  1. Bernardin de Saint-Pierre, Tableau des har­mo­nies de la nature
  2. Comité Invisible, À nos amis
  3. Georges Bataille, Théorie de la reli­gion
Texte

Ce texte a été refu­sé par la revue Espace(s) qui l’a­vait com­man­dé. Cliquer là pour lire pour­quoi.

I. GAMBERGE SUR LES INTENTIONS

Qu’est-ce que la vie des humains une image de la déi­té
Évoluant sous le ciel, tous les ter­riens
voient celui-ci. Mais lisant pour ain­si dire, comme
Dans une écri­ture, les humains ils imitent
l’infini et le pro­fus.

Friedrich Hölderlin7

1 Le texte qu’on me pro­pose d’écrire pour la revue Espace(s) doit inté­grer deux contraintes : celle, thé­ma­tique, qui gou­verne à ce numé­ro (« Espace : lieu d’utopies ») ; celle, lexi­cale, qui place chaque auteur sous la tutelle d’un vocable.

2 La contrainte thé­ma­tique est sus­ci­tée par la pers­pec­tive, à (très) moyen terme, de l’établissement de colo­nies extra­ter­riennes, en tant que cette pers­pec­tive retrempe le carac­tère uto­pique des rap­ports à l’Espace.

2.1 L’Espace, au sens méri­tant capi­tale, s’entend comme ensemble des espaces situés au-delà du ciel des humains.

3 La contrainte lexi­cale est sus­ci­tée par le par­te­na­riat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont le but est de “garan­tir à nos conci­toyens un droit au fran­çais”.

La délé­ga­tion géné­rale coor­donne un dis­po­si­tif de dix-huit com­mis­sions spé­cia­li­sées de ter­mi­no­lo­gie, char­gées de pro­po­ser des termes fran­çais pour dési­gner les réa­li­tés du monde contem­po­rain et contri­buer ain­si au main­tien de la fonc­tion­na­li­té de notre langue. (site de la DGLFLF, rubrique “Nos prio­ri­tés”)

4 Tous j’imagine son­geons fixant le ciel aux espaces qui le dépas­sant nous dépassent ; tous par­ta­geons cha­cun sa jargue l’aspiration de la langue fran­çaise sous sa tutelle répu­bli­caine : un main­tien de fonc­tion­na­li­té dans
le monde contem­po­rain

4.1 Je nous crois tous concer­nés à tous termes par ce qui nous dépas­sant nous attire et par ce qui nous peu­plant nous main­tient.

4.2 J’ai moi-même pour le ciel au-des­sus de moi et la langue en moi un sou­ci qui va de la consi­dé­ra­tion à la sidé­ra­tion.

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  1. Paul Veyne, Comment on écrit l’his­toire, Paris : Le Seuil, 1971, p. 271
  2. Mon inter­mé­diaire s’ap­pelle David Christoffel.
  3. « Déjà le titre est insup­por­ta­ble­ment cré­tin. Sa cré­ti­ne­rie est un chan­tage, parce qu’elle implique une sorte de com­pli­ci­té dans le mau­vais goût, et parce qu’elle est impo­sée au nom d’un confor­misme que la plus grande majo­ri­té accepte. » (P. P. Pasolini, « Déjà le titre est cré­tin », Contre la télé­vi­sion)
  4. J’emprunte cette expres­sion à LL de Mars, dans son Dialogue de morts à pro­pos de musique
  5. Pas que cette poro­si­té ne puisse pas être féconde, mais elle est sou­vent gad­gé­tique parce qu’incantatoire, ça jusque par chez les Amis : “Le monde ne nous envi­ronne pas, il nous tra­verse. Ce que nous habi­tons nous habite.”
  6. Le trope de l’habitation, en poé­sie, pro­cède essen­tiel­le­ment d’une lec­ture hei­deg­ge­rienne de deux vers de Hölderlin :
    Voll Verdienst, doch dich­te­risch,
    woh­net der Mensch auf die­ser Erde
    (Plein de mérite, pour­tant poé­ti­que­ment,
    l’humain habite sur cette Terre)
    Les ver­sions fran­çaises, en géné­ral, tra­duisent woh­net par l’usage tran­si­tif direct du verbe habi­ter, et Erde (Terre) par monde. Le trope se dit ain­si en géné­ral : habi­ter poé­ti­que­ment le monde ou habi­ter le monde en poète. La lec­ture de Heidegger, repré­sen­ta­tive à cet égard de tout un pan de sa pen­sée, flatte la poro­si­té dia­thé­tique du verbe habi­ter dans son usage tran­si­tif direct en fran­çais : j’habite une mai­son (actif) / le doute m’ha­bite ou je suis habi­té par un sen­ti­ment (pas­sif). Pourtant en alle­mand ce double-sens est absent : être habi­té par le doute se tra­duit avec le verbe beherr­schen : je suis diri­gé, régi, contrô­lé, par le doute (c’est d’ailleurs un des sens pos­sibles de l’étymon latin habeo qui donne habi­ter). Mais Heidegger abuse autre­ment des res­sources propres de la langue alle­mande, dans un texte qui la consacre comme seule langue – après le Grec Ancien – de la phi­lo­so­phie. Pour résu­mer : le degré de l’écoute, dans sa cor­res­pon­dance avec le verbe poé­tique, seul verbe authen­tique, est fonc­tion de la qua­li­té de l’habitation. Cette équa­tion n’est vrai­ment lisible que dans la ver­sion ori­gi­nale, où la den­si­té de jeux de mots de vieil oncle est excep­tion­nelle : spre­chen / zus­pre­chen / ents­pre­chen (par­ler / attri­buer / répondre-cor­res­pondre), hören (auf) / zuhö­ren / gehö­ren (entendre / écou­ter (obéir) / appar­te­nir). Jusqu’au fameux : Eigentlich spricht die Sprache. Der Mensch spricht erst und nur, inso­fern er der Sprache ents­pricht, indem er auf ihren Zuspruch hört. (“En réa­li­té c’est la langue qui parle. L’homme ne parle que dans la mesure où il répond à (ents­pre­chen : répondre à une norme, être à la mesure, se mettre à l’échelle de la langue), en ce qu’il obéit à son assi­gna­tion (Zuspruch, aus­si : attri­bu­tion))”. (Sur les jeux d’étymons chez Heidegger, cf. G.-A. Goldschmidt, Heidegger et la langue alle­mande). Le trope de l’habitation poé­tique est plus lar­ge­ment sus­pect, après l’hermétisme ger­main de Heidegger, d’une recon­duc­tion de ses par­ti­tions : poé­ti­que/­non-poé­tique est lar­ge­ment super­po­sable à la divi­sion de Sein und Zeit entre authen­tique et inau­then­tique. Habiter poé­ti­que­ment revient en fin de compte pour Heidegger à être vrai­ment, de plain pied (retour à un bauen (“bâtir”) anhis­to­rique, éty­mo­lo­gi­que­ment for­mé à par­tir du bin de ich bin (je suis) qui s’entend dans l’articulation “bâtir, habi­ter, pen­ser”). Au jeu de l’étymologisme, on pour­rait tout aus­si bien, côté latin, fon­der une onto­lo­gie modale, une éthique radi­cale à par­tir du verbe latin habi­tare, fré­quen­ta­tif d’habeo (signi­fiant donc “avoir sou­vent”).
  7. Was ist der Menschen Leben…, début
Explication



TapTapSee est une appli­ca­tion pour aveugles qui décrit les pho­tos prises par un télé­phone dans le but d’en iden­ti­fier les objets. Instrument d’en­quête foren­sique, TapTapSee, peut-être parce que ses énon­cés semblent mal tra­duits de l’an­glais, a une pré­di­lec­tion pour l’ar­ticle défi­ni par lequel les objets sont pris sous le joug du régime de la preuve. Et pour cause : un feu de joie est volon­tiers appré­hen­dé dans les termes du trai­te­ment média­tique de la catas­trophe (l’homme et la femme sur le lieu d’in­cen­die) – et quand ça n’est pas le cas, la tra­duc­tion lit­té­rale de l’an­glais est pro­pre­ment catas­tro­phique (les per­sonnes ayant feu pen­dant la nuit).

La sus­pi­cion s’é­tend aux sujets de ces pho­tos ; TapTapSee les appelle « per­sonne » (per­sonne déte­nant ins­tru­ment à cordes poin­tage sur autre per­sonne à proxi­mi­té lave-linge), terme d’as­pect plus neutre que l’indi­vi­du des rap­ports poli­ciers, mais terme his­to­rique de la pro­cé­dure judi­ciaire consti­tuant l’u­ni­té du comp­table (du recen­sable et du res­pon­sable à la fois) et jus­ti­fiant – moins sur le modèle hypo­sta­tique que sur celui d’un sujet super­hub, plate-forme d’at­tri­bu­tions diverses – le dis­cret admi­nis­tra­tif et pénal à l’âge du libre-arbitre1.
Continuer

  1. Sur la « per­son­ni­fi­ca­tion du sujet », la théo­rie lockéenne de la per­sonne et ce que l’au­teur appelle « attri­bu­ti­visme* », cf. Alain De Libera, Archéologie Du Sujet, vol. II, par­ti­cu­liè­re­ment le cha­pitre 5 : « Identité judi­ciaire et sub­jec­ti­va­tion ».

– Tu serais d’ac­cord pour inter­ve­nir depuis le public avec ta source-propre ?
– Oui mais ampli­fié quand même ?
– Tout à fait : source-propre.

Nous avons pen­sé que tu pour­rais inter­ve­nir, pen­dant le concert, depuis ta source-propre, comme com­mu­ta­teur ou mem­brane vibra­tile entre l’élé­ment concer­tant de l’événement et son élé­ment célé­brant, mais non concer­tant.

Ni plein l’un des deux ni béant d’au­cun, pas non plus zélé poso­logue (sty­liste, bar­ten­der)
tu n’in­cites ni n’empêches, ne mobi­lises ni n’exo­nères, assumes une fonc­tion mais
pas spé­cia­le­ment, veux-neux
déci­dé mais sans sous­crip­tion
ni au motif
de la red­di­tion dans la fête,
ni au prin­cipe exclu­sif du “nous” de l’Amicale
(te vois sous­trait aux guerres d’égards qui sculptent les com­mu­nau­tés d’events).

Idéalement démi­né donc
et depuis cette tran­chée dia­thé­tique où rien pas
même la désin­vol­ture n’est select, tu inter­viens
inter­mit­tem­ment sous ta source-propre, chaque fois là
cres­ta­tion sponte sua d’un truc
rond
de ses récal­ci­trances
qui res­pire par imbi­bi­tion < > des­sic­ca­tion
(et de ces mou­ve­ments pas sûr de
duquel l’aug­mente).

Après c’est tout un jeu d’u­sages avec ta source-propre (silence, satu­ra­tion,
degré de théâ­tra­li­té, de gêne, de facé­tie,
bou­din de porte ou vent cou­lis,
croûte ou mie de la for­ma­tion,
pen­dule de ses ten­dances au bart­le­bien
et à l’in­dus­trieux).

Imaginons-toi bou­lé dans un coin, sous l’orgue par exemple,
armé de ta seule source-propre,
et comme poi­gnant entre ou dans les chna­sons pour dire ou rien dire, idéa­le­ment
à ce degré d’empirisme atteint par les grands singes dans l’ef­fort au treat
ou les démê­lants d’é­cou­teurs
stress­tests cog­ni­tifs déréels, très zie­lo­rien­tiert
moments de dému­ni­tion où la source occupe à ce point
que son propre n’est plus tant dans fluer
que dans un ins­tress hyper­dense, pres­sion­nant son objet par tout ce qui chez lui fait
pore, prise, ter­mi­nal synap­tique –
une sel­va­tion par absorp­tion.

giphyBien qu’il faille gar­der à l’esprit que ce que nous appe­lons source-propre aujourd’­hui n’a guère à voir avec ce qui s’est appe­lé source-propre pen­dant des mil­lé­naires, nous avons pen­sé à toi pour une inter­ven­tion depuis source-propre, car tu nous as sem­blé le plus moderne inter­prète de ta source-propre.

Bien sûr, tu n’es pas le mieux pla­cé pour juger de la puis­sance ou de l’im­puis­sance de ta source-propre, mais que ça ne t’empêche pas
D’INTERVENIR car crois-nous-toi on y gagne tou­jours ; une inter­ven­tion entre nous est un jeu où tous sont en che­ville, au lieu qu’en boule cha­cuns sont en che­ville avec soi-mêmes et c’est tout de même plus drôle, plus mar­rant, mieux – entre amis entre célé­brants entre concer­tants – d’être tous en che­ville en même temps plu­tôt que cha­cuns iso­lés rata­ti­nés en soi.

Interviens quand tu veux, mais tou­jours de ta source-propre. Prends cette fidé­li­té absurde comme un exer­cice de mys­tique inverse : fan­tôme astreint, à force de vau­trades, à se consi­dé­rer de plus en plus pro­bable.

Explication

En août 2016, chez des ami·es ayant invi­té des ami·es qui m’é­taient soit ami·es soit ami·es d’ami·es for­mant au mieux com­mu­nau­té au moins inter­gens dense, j’ai ten­du un fil entre deux arbo­lustes, auquel j’ai lais­sé pen­douiller d’autres fils. Les deux arbo­lustes étaient de robus­tesse moyenne étant moyens en taille selon les stan­dards nature mais faits de ce bois d’arbre carac­té­ris­tique du règne arbo­lant. L’objet mul­ti­fi­laire s’appelle qui­pou par conven­tion d’Incas. Il a pré­ten­du à cette ordi­na­ri­té du bois d’arbre. Il a assu­mé pour la com­mu­nau­té ou l’intergens une dose de géné­ri­ci­té qui devait l’en sou­la­ger, la sou­la­ger (la com­mu­nau­té) d’avoir à s’y (dans la com­mu­nau­té) recon­naître en dehors de ce qu’en (de la com­mu­nau­té) figu­re­rait le qui­pou.

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Un qui­pou est un ensemble de cor­de­lettes de cou­leurs variées, dont la réunion, l’a­gen­ce­ment, la com­bi­nai­son des fils étaient uti­li­sés par des Incas pour se rap­pe­ler les dates et faites et inten­si­tés impor­tantes dans la com­mu­nau­té.

 

Lecteur audio

 

Les noeuds sont à la fois des rap­ports de cour des comptes et des poèmes épiques, mais en tout cas pas déve­lop­pés. En ce sens le qui­pou est à la fois un registre admi­nis­tra­tif – s’y indiquent les tri­viaux de tout groupe qui sont sou­vent aus­si ses vitaux – et un légen­dier com­mu­nau­taire qui noue du déci­sif sur la corde de chaque moment, fait de tout pipi, de toute baise, tout hoquet, tout scan­dale, tout état d’ur­gence sen­ti­men­tal, toute bles­sure contrac­tée lors des débrous­saillages un moment clé du récit épique. Le qui­pou épi­cise à l’a­ve­nant. Le qui­pou mani­feste une confiance pro­pi­tia­toire dans l’in­ter­gens.
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C’est pen­dant le béchage que le jeune reçoit sa pre­mière édu­ca­tion, car dès ce moment la mère et ses oisillons conversent et l’on dit alors des jeunes qu’ils chantent en coquilles. Le jeune sort tout mouillé de sa coquille et pen­dant vingt-quatre heures reste sous la mère pour se sécher. C’est la période du séchage. Le jeune non encore adulte s’ap­pelle aus­si pouillard.

La per­drix piète quand elle fuit à pied sans voler, mais si elle vole au ras du sol, on dit qu’elle rase.
Lorsqu’une poule per­drix qui a pon­du voit ses œufs détruits ou dis­pa­rus par un fait quel­conque, elle recom­mence une autre ponte et cela s’ap­pelle un reco­que­tage. Quand les per­dreaux suivent leurs parents sans pou­voir encore voler, ils sont à la traîne. Si la per­drix se cache der­rière une motte de terre, cette action s’ap­pelle s’a­mot­ter.

La femelle appelle le mâle par son chant spé­cial et on lui donne à ce moment le nom de chan­te­relle, en disant d’elle qu’elle rap­pelle. D’une per­drix accou­plée, on dit qu’elle est adouée.

(Cynégétique de la per­drix par un expert en agri­cul­ture (chasse, gibier) près les tri­bu­naux.)

Savoir par qui on est chas­sé, et com­ment, passe peut-être par débus­quer dans la langue des assi­gna­tions poli­tiques ces indi­ca­tifs cyné­gé­tiques qui natu­ra­lisent les formes de vie, en déter­minent les rythmes, en scandent l’exis­tence par la dis­cré­ti­sa­tion des actions et des atti­tudes, n’en consi­dèrent que ce qui a trait à la crois­sance ou la repro­duc­tion : on dit de lui qu’il chante en coquille, on dit d’elle qu’elle est à la traîne ; c’est la période du séchage ; on dira d’eux qu’ils ont adoués ; on fera remar­quer que celui-ci rase tan­dis que celle-là reco­quette.

L’opération par laquelle un lexique emprun­té aux patois se conserve intact et s’entretient comme langue de cour (à la fois d’expertise et de conni­vence) est à mettre en regard de celle par laquelle la langue tri­bu­nale, inepte à dia­lec­ti­ser, trouve à s’affermir mira­cu­leu­se­ment dans l’égrènement des faits et le sen­ten­cieux des sen­tences.

Le mono­pole du feu seul offre aux chas­seurs une vue flat­teuse sur un monde ran­gé comme un dio­ra­ma, tenu en res­pect dans ce genre de léga­li­té orga­nique qui fait les his­toires natu­relles, avec leurs misé­rables taxons : « agri­cul­ture (chasse, gibier) ».

Quand les petits s’é­co­quillent seuls, on dit qu’ils cassent. Quand ils cessent de se cacher pour sur­gir en nombre des mottes, ce mou­ve­ment s’ap­pelle l’é­motte.

 

vignette parue dans la revue Hex et dif­fu­sée sous forme de tract