La thèse abrégée de Lalande, publiée initialement en 1892, a pour objet de réfuter les arguments évolutionnistes devenus, selon le philosophe, le langage commun des sciences physiques et morales de son temps. L’analyse de Lalande porte d’abord sur la polysémie du mot évolution qui enf ait ainsi plutôt une notion qu’un concept. Ce mot détient, en particulier, l’étonnant pouvoir de « tout interpréter au moyen d’un seul et même principe ». L’évolution est un principe directeur qui engendre indéfiniment des explications sur desbases fragiles. Il suffit pour cela de prendre une question, par exemple l’explication causale, de trouver deux termes à l’extrémité d’un spectre de théories, en l’occurrence la magie et la science, pour être en mesure artificiellement de reconstruire une évolution historique et nécessaire amenant l’homme à se libérer de fausses représentations. Le principe évolutionniste délivre, dans ce cas présent, une explication douteuse en ce qu’elle postule d’abord que la magie et la science se réduisent toutes les deux à l’application du principe de causalité, et en ce qu’elle présuppose ensuite que ce principe embrasse une seule signification, tant pour la amgique que pour la science. De ce fait, la ligne continue quirelie les points d’une courbe propose une vision purement métaphysique et non scientifique d’un problème. André Lalande voit dans le principe d’évolution une réactualisation de cette tendance au monisme profondément chevillée au discours philosophique : « La loi qui l’exprime est donc bien la loi de l’univers, l’axiome secret qui domine les choses, les engendre, et dont la possession nous donne la clé des phénomènes. » L’architecture de ces propositions évolutionnistes prétendument scientifiques n’est pas, en fait, radicalement différentes des constructions de Hegel, ou de Schelling. Appliquées aux sciences sociales, les thèses évolutionnistes dévoilent plus encore leur fragilité. L’idée selon laquelle l’observation des primitifs donnerait accèsà une compréhension des formes premières de la vie sociale ou des représentations collectives semble particulièrement hasardeuse et indémontrable. L’article « Primitif », intégré au Vocabulaire technique et critique de la philosophie, relève toutes les ambiguïtés de ce terme « très usuel en sociologie ». Peut-on assimiler, demande André Lalande, les sociétés inférieures actuelles aux sociétés archaïques, aux sociétés qui nous ont chronologiquement précédés ? Commentétablir la preuve que l’analyse d’une institution archaïque constitue un accès à la compréhension de cette institution dans des sociétés supposéesplus avancées du point de vue de l’évolution ? Est-on certain que l’évolution historique va du simple ou complexe, « de l’homogène à l’hétérogène, d’une exubérance des formes non systématiques à une sélection logique » ?
Lu
Il faut le redire : avant de le céder à la grâce de l’hexamètre et au tonnerre de la Parole, le Moyen Age intellectuel a d’abord été vaincu par la raillerie.[…] Un Rabelais, un Jean Luis Vivès, un Coluccio Salutati, un Luther ont, avec leurs intérêts propres, dit et fait la même chose. Le Moyen Age est stérile. Il est donc mort de rire et de colère, du rire des humanistes, de la colère des réformateurs, avant de nous faire périr d’ennui.
Tout bonnement ahurissante est l’erreur ridicule des gens qui se figurent parler pour les choses elles-mêmes. Mais le propre du langage, à savoir qu’il n’est tout uniment occupe que de soi-même, tous l’ignorent. C’est pourquoi le langage est un si merveilleux mystère et si fécond : que quelqu’un parle tout simplement pour parler, c’est justement alors qu’il exprime les plus magnifiques vérités. Mais qu’il veuille au contraire parler de quelque chose de précis, voilà tout aussitôt la langue malicieuse qui lui fait dire les pires absurdités, les bourdes les plus grotesques. Aussi est-ce bien de là que vient la haine que tant de gens sérieux ont du langage. Sa pétulance et son espièglerie, ils la remarquent ; mais ce qu’ils ne remarquent pas, c’est que le bavardage à bâtons rompus et son laisser-aller si dédaigné sont justement le côté infiniment sérieux de la langue.
Der lächerliche Irrthum ist nur zu bewundern, daß die Leute meinen — sie sprächen um der Dinge willen. Gerade das Eigenthümliche der Sprache, daß sie sich blos um sich selbst bekümmert, weiß keiner. Darum ist sie ein so wunderbares und fruchtbares Geheimniß, — daß wenn einer blos spricht, um zu sprechen, er gerade die herrlichsten, originellsten Wahrheiten ausspricht. Will er aber von etwas Bestimmten sprechen, so läßt ihn die launige Sprache das lächerlichste und verkehrteste Zeug sagen. 10 Daraus entsteht auch der Haß, den so manche ernsthafte Leute gegen die Sprache haben. Sie merken ihren Muthwillen, merken aber nicht, daß das verächtliche Schwatzen die unendlich ernsthafte Seite der Sprache ist.
L’essentiel est que l’activité d’éclaircissement soit menée avec courage : si celui-ci manque, elle n’est plus qu’un jeu de l’intelligence.
Je crois avoir bien saisi dans son ensemble ma proposition à l’égard de la philosophie, quand j’ai dit : La philosophie, on ne devrait l’écrire qu’en poème.
L’exigence platonicienne d’un gouvernement par les philosophes ne signifie pas que les gouvernants doivent être choisis parmi les auteurs de manuels de logique. Dans les affaires, l’esprit de spécialité [Fachgeist] ne connaît que le profit, dans le domaine militaire le pouvoir, et même en science, le succès seulement dans une discipline particulière [Spezialdisziplin]. Si cet esprit n’est pas contrôlé, il caractérise un état anarchique de la société. Pour Platon, la philosophie allait de paire avec l’effort pour unir et maintenir les différentes capacités [Vermögen] et branches de la connaissance [Arten der Erkenntnis] dans une cohérence qui rende productifs ces éléments isolément destructeurs [partiell destruktiv]. Voilà ce que signifiait exiger que les philosophes gouvernent.
Original :« Platons Forderung, der Staat solle von Philosophen regiert werden, meint nicht, daß diese Regierenden unter den Verfassern von Lehrbüchern und der Logik ausgewählt werden sollten. Der Fachgeist kennt im Geschäftsleben nur den Profit, im militärischen Bereich nur die Macht und selbst in der Wissenschaft nur den Erfolg innerhalb einer Spezialdisziplin. Wird dieser Geist nicht kontrolliert, so verkörpert er einen anarchischen Zustand der Gesellschaft. Für Platon war Philosophie gleichbedeutend mit dem Bestreben, die verschiedenen Vermögen und Arten der Erkenntnis so zu vereinigen und zusammenzuhalten, daß diese partiell destruktiven Elemente im wahren Sinn zu produktiven würden. Darauf zielte seine Forderung, die Philosophen sollten regieren. »
La véritable fonction sociale de la philosophie est la critique de l’existant [du subsistant : de ce qui apparaît comme ontologiquement continu, historiquement constant, essentiellement invariable ; des Bestehenden]. Ça implique de ne pas ergoter superficiellement sur des idées ou des états [situations, Zustände] isolés, comme si un philosophe était un drôle de zouave [ein komischer Kauz ; un olibrius, un drôle de loustic]. Ça n’implique pas non plus que le philosophe déplore telle ou telle circonstance prise isolément et trouve un remède à cela. Le seul but d’une telle critique est d’éviter que les Hommes se perdent dans les idées et les comportements que la société, dans son organisation actuelle [présent ; jetzig], leur dicte.
Die wahre gesellschaftliche Funktion der Philosophie liegt in der Kritik des Bestehenden. Das bedeutet keine oberflächliche Nörgelei über einzelne Ideen oder Zustände, so als ob ein Philosoph ein komischer Kauz wäre. Es bedeutet auch nicht, daß der Philosoph diesen oder jenen isoliert genommenen Umstand beklagt und Abhilfe empfiehlt. Das eigentliche Ziel einer derartigen Kritik ist es zu verhindern, daß die Menschen sich an jene Ideen und Verhaltensweisen verlieren, welche die Gesellschaft in ihrer jetzigen Organisation ihnen eingibt. Die Menschen sollen den Zusammenhang zwischen ihren individuellen Tätigkeiten und dem, was durch diese erreicht wird, einsehen lernen, zwischen ihrer besonderen Existenz und dem allgemeinen Leben der Gesellschaft, zwischen ihren täglichen Projekten und den großen Ideen, die sie anerkennen.
« […] l’accord fut que je porterai mes efforts en direction des personnes et caractères surnaturels ou du moins romantiques ; le but étant de puiser au fond de notre nature intime une humanité aussi bien qu’une vraisemblance que nous transférerions à ces créatures de l’imagination, de qualité suffisante pour frapper de suspension, ponctuellement et délibérément, l’incrédulité, ce qui est le propre de la foi poétique. »
Au tout début du XVIIe siècle, un philosophe scholastique du nom de Edmond Pourchot systématise, de façon encore aristotélicienne, les quatre sens selon lesquels le terme de sujet peut se dire. Un sujet est d’inhésion (sujet d’inhérence pour des accidents), de dénomination (ce qui est dénommé par une forme, une perfection, une privation, une action ou une affection), d’information (ce en quoi est reçue une forme essentielle qui l’informe pour constituer un tout individuel physique), d’attribution (la matière sujet d’une discipline de connaissance).
Dans un tel cadre philosophique, la réalité commune n’est pas encore définie à partir du rapport particulier de la personne humaine au monde environnant, y compris posé comme universalité rationnelle, donc en tant que résultant de nos perceptions, conceptions et volitions. Elle est définie au contraire à partir des existences distinctes et de leurs modalités en tant que réelles, c’est-à-dire indépendantes du substrat humain. Au milieu de celles-ci, le sujet humain, dont l’âme, la forme intelligible propre, est celle d’un vivant rationnel, n’est qu’une existence substantielle parmi les autres. Une telle différence se retrouve dans l’opposition de la notion d’objet à celle de sujet. Dans le monde médiéval, le sujetest le récepteur de propriétés essentielles ou accidentelles qui le font être ce qu’il est. Un réel substantiel. L’objet est le contenu de définition que la pensée se donne relativement aux qualités et propriétés d’un existant, c’est-à-dire d’un sujet. Un réel in-essentiel. Une telle distinction, si elle est restée dans les formes syntaxiques de la langue française a disparu de la conceptualité. Le monde moderne pense très exactement à l’inverse de cela. Le sujet est l’agent unique de la pensée et de la connaissance et l’objet, la part de réel externe auquel il rapporte ses pensées. En ce sens, le monde objectif est la réalité indépendante de l’homme auquel se rapportent nos contenus subjectifs de pensée. Ce faisant, le monde objectif prend la valeur d’un être connu selon les dispositions propres à la personne humaine pensante et à son expérience perceptive. Depuis Descartes, en passant par l’opposition de Locke à Leibniz, puis, de Hume à Kant, il cesse donc d’être réel, substantiel, pour tendre à n’être que conditionnel, représentation, imagination, construction.
« si la phronesis (prudence ou sagacité), contrairement à la sagesse, est liée à la partie irrationnelle de l’âme, et donc intimement liée à la morale, elle est comme la sagesse une vertu intellectuelle » / « de même que la sagesse suppose un double état, scientifique et rationnel qui permet de démontrer à partir de principe premier, et celui intellectif qui permet de saisir les premiers principes de toute démonstration ; la sagacité ou prudence suppose un double état : délibératif et proprement rationnel (permet de trouver les moyens en vue d’une fin) et celui intellectif qui permet de saisir les fins ultimes de toute opération »