Disons, très schématiquement, que le rhéteur est, ou en tout cas peut parfaitement être un menteur efficace qui contraint les autres. Le parrèsiaste, au contraire, sera le diseur courageux d’une vérité où il risque lui-même et sa relation avec l’autre. (…) La parrêsia est tout de même autre chose qu’une technique ou un métier, (…) c’est une attitude, une manière d’être qui s’apparente à la vertu, une manière de faire. »
Lu
La pratique de la parrêsia s’oppose terme à terme à ce qui est en somme l’art de la rhétorique. (…) Le bon rhétoricien, le bon rhéteur est l’homme qui peut parfaitement et est capable de dire tout autre chose que ce qu’il sait, tout autre chose que ce qu’il croit, tout autre chose que ce qu’il pense, mais de le dire de telle manière que, au bout du compte, ce qu’il aura dit, et qui n’est ni ce qu’il croit ni ce qu’il pense ni ce qu’il sait, sera, deviendra ce que pensent, ce que croient et ce que croient savoir ceux auxquels il l’a adressé. Dans la rhétorique, le lien est dénoué entre celui qui parle et ce qu’il dit, mais la rhétorique a pour effet d’établir un lien contraignant entre la chose dite et celui ou ceux auxquels elle est adressée. Vous voyez que, de ce point de vue-là, la rhétorique est exactement à l’opposé de la parrêsia, [qui implique au contraire une] instauration forte, manifeste, évidente entre celui qui parle et ce qu’il dit.
On ne dira pas que le géomètre ou le grammairien, enseignant ces vérités auxquelles ils croient, sont des parrèsiastes. Pour qu’il y ait parrêsia (…) il faut que le sujet, [en disant] cette vérité qu’il marque comme étant son opinion, sa pensée, sa croyance, prenne un certain risque, risque qui concerne la relation même qu’il a avec celui auquel il s’adresse. Il faut pour qu’il y ait parrêsia que, en disant la vérité, on ouvre, on instaure et on affronte le risque de blesser l’autre, de l’irriter, de le mettre en colère et de susciter de sa part un certain nombre de conduites qui peuvent aller jusqu’à la plus extrême violence. C’est donc la vérité, dans le risque de la violence.
[…]
La parrêsia risque donc non seulement la relation établie entre celui qui parle et celui à qui est adressée la vérité, mais, à la limite, elle risque l’existence même de celui qui parle, si du moins son interlocuteur a un pouvoir sur lui et s’il ne peut supporter la vérité qu’on lui dit. Ce lien entre la parrêsia et le courage est fort bien indiqué par Aristote lorsque, dans l’Éthique à Nicomaque, il lie ce qu’il appelle la megalopsukhia (la grandeur d’âme) à la pratique de la parrêsia.
Cette année, je voudrais continuer l’étude du franc-parler, de la parrêsia comme modalité du dire-vrai. (…) L’alèthurgie serait, étymologiquement, la production de la vérité, l’acte par lequel la vérité se manifeste. Donc laissons de côté les analyses de type « structure épistémologique » et analysons un peu les « formes alèthurgiques ».
Foucault, les quatre modalités alèthurgiques : prophétique (destinal), saptientiel (ontologique), pédagogique (technique), parrêsiastique (éthique).
Il me semble – c’est tout cas ce que j’ai essayé de vous montrer, même schématiquement – que, dans la culture grecque, à la fin du Ve siècle-début du IVe siècle, on peut repérer bien répartis en une sorte de rectangle, ces quatre grands modes de véridiction :
– celui du prophète et du destin,
– celui de la sagesse et de l’être,
– celui de l’enseignement et de la tekhnê,
– et celui de la parrêsia avec l’êthos.
Mais si ces quatre modalités sont ainsi assez bien déchiffrables séparables et séparées les unes des autres à cette époque, un des traits de l’histoire de la philosophie antique (sans doute de la culture antique en général), c’est entre le mode de dire-vrai caractéristique de la sagesse et le mode de dire-vrai caractéristiques de la parrêsia, une tendance à se rejoindre, à se joindre, à se lier l’un à l’autre en une sorte de modalité philosophique du dire-vrai, un dire-vrai très différent du dire-vrai prophétique, différent aussi de cet enseignement des tekhnai dont la rhétorique sera un des exemples. On verra s’isoler, se former en tout cas un dire-vrai philosophique qui prétendra, avec de plus en plus d’insistance, dire l’être ou la nature des choses dans la mesure seulement ou ce dire-vrai pourra concerner, pourra être pertinent, pourra articuler et fonder un dire vrai sur l’êthos dans la forme de la parrêsia. Et dans cette mesure-là, on peut dire que sagesse et parrêsia vont jusqu’à un certain point bien sûr, se confondre. En tout cas, elles vont être comme attirées l’une vers l’autre, il va y avoir comme un phénomène de gravitation de la sagesse et de la parrêsia, gravitation qui se manifestera dans ces fameux personnages de philosophes disant la vérité des choses, mais disant surtout leur vérité aux hommes, tout au long de la culture hellénistique et romaine, ou gréco-romaine.
Foucault, Le courage de la vérité, cité par De Libera (dernier cours 2018 ; le schéma est de De Libera), pp 27–28
Fiche De libera (cours du 26 03 2018) :
Foucault sur le Moyen Âge (Courage de la vérité, p. 28- 29): regroupements alèthurgiques
1) Regroupement de la modalité prophétique et de la modalité parrèsiastique*. – c’est le rôle que Foucault attribue aux grands prédicateurs ; ils jouent dans la société médiévale le rôle du prophète et celui du parrèsiaste ; le rôle de celui qui dit l’imminence menaçante du demain, du Jugement dernier, de la mort qui approche, de celui qui dit franchement aux hommes » en toute parrêsia, quels sont leurs fautes, leurs crimes en quoi et comment ils doivent changer leur mode d’être.
2) Regroupement de la modalité de la sagesse et de la modalité de l’enseignement**: CV : 29 « … en face de cela, il me semble que cette même société médiévale, cette même civilisation médiévale a eu tendance à rapprocher les deux autres modes de véridiction : la modalité de la sagesse qui dit l’être des choses et leur nature, et puis la modalité de l’enseignement. Dire vrai sur l’être et dire vrai sur le savoir, cela a été la tâche d’une institution, aussi spécifique du Moyen Âge que l’avait été la Prédication : l’Université. La Prédication et l’Université me paraissent être des institutions propres au Moyen Âge, dans lesquelles on voit se regrouper, deux par deux, les fonctions dont je vous ai parlé, et qui définissent un régime de véridiction, un régime du dire-vrai très différent de celui qu’on pouvait trouver dans le mode hellénistique et gréco-romain, où parrêsia et sagesse étaient plutôt combinées ».
Je ne suis pas une intellectuelle engagée. Je suis poète. Je remarque tout ce qui sensiblement me heurte, me capte, m’arrête. Je remarque qu’on a passé une journée de procès à regarder des vidéos, c’est tout. Je n’ai pas de thèse à défendre. Je ne viens pas vérifier ce que je sais déjà, parce que je ne sais rien avant de l’avoir écrit. Je n’ai rien à apprendre à qui que ce soit, ni sur Jeanne d’Arc, ni sur les classes moyennes – sur lesquelles j’ai pourtant écrit deux petits livres parus chez P.O.L. Je crois simplement que ma place est du côté de celles et de ceux qui souffrent de ce qu’on leur impose plutôt que du côté de leurs juges.
Man vergleiche zum Beispiel das verliebte Treiben auf einer Wiese und in einem Auto, bei einem Spaziergang der sich Liebenden außerhalb der Stadtmauern oder auf einer Straße von Manhattan. In den erstgenannten Fällen hat die Umgebung teil an der libidinösen Besetzung, kommt ihr entgegen und tendiert dazu, erotisiert zu werden. Die Libido geht über die unmittelbar erogenen Zonen hinaus – ein Vorgang nichtrepressiver Sublimierung. Demgegenüber scheint eine mechanisierte Umgebung ein solches Selbstüberschreiten der Libido zu unterbinden. Bedrängt in ihrem Bestreben, den Bereich erotischen Genusses zu erweitern, wird die Libido weniger »polymorph«, weniger der Erotik jenseits lokalisierter Sexualität fähig, und diese wird gesteigert.
For example, compare love-making in a meadow and in an automobile, on a lovers’ walk outside the town walls and on a Manhattan street. In the former cases, the environment partakes of and invites libidinal cathexis and tends to be eroticized. Libido transcends beyond the immediate erotogenic zones—a process of nonrepressive sublimation. In contrast, a mechanized environment seems to block such self-transcendence of libido. Impelled in the striving to extend the field of erotic gratification, libido becomes less « polymorphous », less capable of eroticism beyond localized sexuality, and the latter is intensified.
Qu’en serait-il d’une question qui n’impliquerait pas de réponse ? Elle ne diviserait pas le monde en deux : la demande, la réponse ; elle se tiendrait d’emblée en leur milieu, éclatante de leur contradiction, et cependant fermée à la discontinuité que la contradiction engendre. Pareille question ne saurait pas ce qu’elle est, car niant sa nature et se niant elle-même, elle se contenterait justement d’être ce qu’elle est.
Il va donc falloir « jouer jusqu’à la mort », me donnant la comédie de ces mots qui ne sont pas ce qu’ils vont tout d’abord paraître — qui ne sont pas là pour manifester un savoir saisi, mais pour le dépenser, au fur et à mesure.
« Tous les chemins mènent à Rome », me disait-on, et encore : « Chacun pour soi et Dieu pour tous. » Ces principes proclamaient à l’évidence qu’on doit nécessairement aller quelque part. Autrement dit qu’il existe un lieu qui capitalise toutes les directions et un dieu en qui se capitalisent tous les actes. Ces deux figures coïncidaient d’ailleurs pour engendrer l’Unité en laquelle « tout se retrouve » car « rien n’est perdu ». Cette grande unité capitaliste permettait d’être seul, d’être moi, puisqu’elle garantissait la totalité pour plus tard. »
Écrivant, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, mais il y a imminence d’un savoir, et cette imminence entretient l’écriture tout en étant, elle-même, entretenue par la supplication de l’écriture, qui désire faire durer pour se faire durer. Et rien de plus. Rien au-delà.
Mais ne faut-il pas se battre continuellement à l’intérieur de ce même carré :
je -> me -> dérobe -> où -> je -> me -> connais
! !
je <- me <- connais <- où <- je <- me <-dérobe
bien qu’il soit tragiquement risible de tourner ainsi en rond !
La poésie, parfois, s’évade, mais il reste encore à s’évader de la poésie.
Il n’est pas possible qu’il y ait aucun intermédiaire entre les énoncés contradictoires : il faut nécessairement ou affirmer ou nier un seul prédicat, quel qu’il soit. » alt : « Nous en avons dit assez pour établir que le plus sûr de tous les principes, c’est que les affirmations opposées ne peuvent être vraies en même temps, et pour montrer les conséquences et les causes de l’opinion contraire. Et, puisqu’il est impossible que deux assertions contraires sur le même objet soient vraies en même temps, il est évident qu’il n’est pas possible non plus que les contraires se trouvent en même temps dans le même objet ; car l’un des contraires n’est pas autre chose que la privation, la privation de l’essence.
Ce cercle est si parfaitement un que son diamètre est sa circonférence. Mais un diamètre infini a un milieu infini. Or son milieu est son centre. On voit donc que centre, diamètre et circonférence sont la même chose. […] Tu vois comment le maximum parfait tout entier est à l’intérieur de tout, qu’il est simple et indivisible, puisqu’il est le centre infini ; et en dehors de tout, entourant toutes choses, puisque circonférence infinie ; et pénétrant tout, puisque diamètre infini ; principe de toutes choses, puisque centre ; fin de toutes choses, puisque circonférence ; milieu de tout, puisque diamètre. Cause efficiente, puisque centre ; formelle, puisque diamètre ; finale, puisque circonférence. […] Et ainsi de suite pour beaucoup de choses.