[Il faut entendre épis­té­mè] « comme le dis­po­si­tif stra­té­gique qui per­met de trier, par­mi tous les énon­cés pos­sibles, ceux qui vont pou­voir être accep­tables à l’intérieur, je ne dis pas d’une théo­rie scien­ti­fique, mais d’un champ de scien­ti­fi­ci­té, et dont on pour­ra dire : celui-ci est vrai ou faux. C’est le dis­po­si­tif qui per­met de sépa­rer, non pas le vrai du faux, mais l’inqualifiable scien­ti­fi­que­ment du qua­li­fiable.
Michel Foucault, entre­tien de 1977
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« Le jeu de Michel Foucault (entre­tien avec Dominique Colas, Alain Grosrichard, Guy Le Gaufey, Jocelyne Levi, Gerard Miller, Judith Miller, Jacques-Alain Miller, Catherine Millot, Gérard Wajeman) » Dits et écrits [Ornicar ?, Bulletin pério­dique du champ freu­dien, n° 10, juillet 1977]
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t. 3 : « 1976–1979 »
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p. 301

Ce que j’ai appe­lé dans Les mots et les choses « épis­té­mè » n’a rien à voir avec les caté­go­ries his­to­riques. J’entends tous les rap­ports qui ont exis­té à une cer­taine époque entre les dif­fé­rents domaines de la science […] Ce sont tous ces phé­no­mènes de rap­port entre les sciences ou entre les dif­fé­rents dis­cours dans les divers sec­teurs scien­ti­fiques qui consti­tuent ce que j’appelle « épis­té­mè d’une époque ».

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« Sur la jus­tice popu­laire, débat avec les maos » Dits et écrits [1972]
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t. 1
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p. 1239

Spécificité de l’é­non­cé apo­phan­tique et divi­sion interne
(17) L’énoncé apo­phan­tique est celui qui est mar­qué de véri­té et de faus­se­té. Il est de deux sortes, le simple et le com­po­sé. Le simple est ce qui est com­po­sé d’un pré­di­cat un et d’un sujet un, non d’un pré­di­cat plu­riel, ni d’un sujet plu­riel. Et cela couvre deux espèce, la pre­mière espèce, anté­rieure, l’af­fir­ma­tion, et la seconde espèce, pos­té­rieure, la néga­tion.
[…] (19) En tout énon­cé apo­phan­tique, il ne sau­rait man­quer de se trou­ver un verbe – je veux dire un fi’l – ou bien ce qui tient lieu du verbe dans la liai­son du pré­di­cat avec le sujet. C’est ain­si que, dans l’é­non­cé apo­phan­tique où le sujet est un nom et le pré­di­cat un nom, il ne sau­rait man­quer de se trou­ver un verbe, ou bien ce qui tient lieu du verbe, pour dési­gner la liai­son du pré­di­cat avec le sujet. Et cela, ou bien en acte et expli­ci­te­ment, ain­si que c’est le cas en dehors de la langue arabe, ou bien en puis­sance et impli­ci­te­ment, ain­si que c’est le cas dans la plu­part des cas en arabe.
Averroès, Commentaire moyen sur le « De inter­pre­ta­tione »
 
Introduction
Vrai et tenir-pour-vrai : véri­té et véri­di­ci­té
La ter­mi­no­lo­gie du vrai et du faux donne lieu, dans le texte d’Averroès, à une dis­tinc­tion claire entre trois couples de termes : un couple nomi­nal sidq / kadib (véri­té / faus­se­té), un couple ver­bal sud­di­qa / kud­di­ba (être tenu pour vrai / être tenu pour faux), et un couple à forme adjec­ti­vale sadiq / kadib (vrai / faux). Ces trois couples ne sont pas uti­li­sés indif­fé­rem­ment l’un pour l’autre. À l’examen, il appa­raît en effet que, lorsqu’il s’agit de dire la véri­té, le second couple entre en jeu, sinon, dans la pré­sen­ta­tion des règles du par­tage de la véri­té et de la faus­se­té ou bien dans celle des condi­tions pour que le vrai et le faux s’appliquent, ce sont les termes de « véri­té » et de « faus­se­té » ou de « vrai » et de « faux » qui sont uti­li­sés.
Ainsi, l’énoncé apo­phan­tique, en tant qu’il sup­pose un sujet d’énonciation, est ce qui est tenu pour vrai ou tenu pour faux (§20), c’est à lui que va ou non notre assen­ti­ment. En revanche, les par­ties de l’énoncé que sont les noms et les verbes ne sont en eux-mêmes ni vrais ni faux ; pas plus que les notions qu’ils dési­gnent ne peuvent être les formes intel­li­gibles, les formes sen­sibles ou les formes ima­gi­na­tives, ces termes et ces formes pris indi­vi­duel­le­ment ne donnent lieu à un énon­cé et, si nous vou­lons men­tion­ner que la véri­té et la faus­se­té ne s’appliquent pas à eux, nous n’avons pas à employer le couple ver­bal de l’assentiment, mais plu­tôt le couple nomi­nal de véri­té et de faus­se­té (sidq / kadib). Pour toutes ces formes, seule une concep­tion (tasaw­wur), dont l’analyse est sug­gé­rée au début du trai­tée et ren­voyée au trai­té De l’âme aus­si bien par Aristote que par son com­men­ta­teur (16a9 et §2), est enga­gée de notre part. Notre assen­ti­ment n’est pas enga­gé, et Averroès n’emploie donc jamais ces termes et ces notions avec le couple yusad­daq / yukad­dab (forme pas­sive au pré­sente) ou sud­di­qa / kud­di­ba (forme pas­sive au pas­sé).
En revanche, quand il s’agit de don­ner des règles comme celle du par­tage du vrai et du faux pour les pro­po­si­tions sin­gu­lières et les pro­po­si­tions contra­dic­toires (§24, §28), ou les condi­tions géné­rales de véri­té et de faus­se­té (§3), ou encore la spé­ci­fi­ci­té des énon­cés apo­phan­tiques (§17), seuls sus­cep­tibles d’être qua­li­fiés par la véri­té et la faus­se­té, Averroès a recours au couple nomi­nal sidq / kadib.
[…] Pour les énon­cés apo­phan­tiques, il y a deux ver­sants : d’une part, en tant qu’énoncés com­plets, caté­go­riques, ils ont la pro­prié­té d’être sup­ports d’assertions ; ils sont par nature propres à rece­voir la véri­té ou la faus­se­té. D’autre part, en tant qu’ils sont énon­cés et pré­sen­tée à l’assertion, ils sup­posent un assen­ti­ment et par là peuvent être tenus pour vrais ou pour faux.
Les pro­po­si­tions méta­thé­tiques donnent lieu chez Averroès à un jeu croi­sé des deux couples véri­té / faus­se­té et tenu pour vrai / tenu pour faux. On voit alors à l’oeuvre la dis­tinc­tion et son enjeu : quand il s’agit de don­ner une véri­té géné­rale, c’est le pre­mier couple qui est mobi­li­sé. C’est ain­si que, pour tra­duire la thèse selon laquelle « l’existence du par­ti­cu­lier implique l’existence du géné­ral », Averroès uti­li­se­ra le couple véri­té / faus­se­té, ain­si l’affirmative simple impique-t-elle la néga­tive méta­thé­tique parce que celle-ci est une d’une « véri­té plus géné­rale » (§43). Mais, pour jus­ti­fier cette véri­té géné­rale, on aura recours à des cas qui peuvent se pré­sen­ter à nous et qui imman­qua­ble­ment demandent à être inter­pré­tés selon le second couple. Dans le pas­sage que nous venons de citer, le jeu entre les deux couples est mani­feste :
« La néga­tive méta­thé­tique a une véri­té plus géné­rale que l’affirmation simple, parce qu’elle est tenue pour vraie de trois cas, alors que l’affirmative simple ne l’est que d’un seul. »
Le dénom­bre­ment des trois cas en ques­tion sup­pose à chaque fois la prise en compte de l’assentiment, il sup­pose en quelque sorte une véri­fi­ca­tion cas par cas qui engage moins la véri­té et la faus­se­té que notre propre capa­ci­té à recon­naître ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

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trad.  Ali Benmakhlouf & Stéphane Diebler
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Totalitas est un terme tar­dif de la langue latine, datant pro­ba­ble­ment du XIIe siècle, qui ne tra­duit ni l’idée de « toutes les choses » (« ta pan­ta » des Grecs – tra­duit par « omnia »), ni son « ensemble » (« to pan – uni­ver­si­tas rerum »), ni le « tout struc­tu­ré » (« to holon – totum »).

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« Totalitas. Aux ori­gines d’un concept. » Cahiers Philo. Universite Caen
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t. 53
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3. “ Tout ” se dit par rap­port à des par­ties. Or il y a deux sortes de par­ties : les par­ties de l’essence : ain­si la matière et la forme, qui sont dites les par­ties du com­po­sé ; le genre et la dif­fé­rence, par­ties de l’espèce ; les par­ties de la quan­ti­té, en les­quelles se divise une quan­ti­té don­née. Qu’un tout selon la tota­li­té de la quan­ti­té soit dans un lieu, il ne peut pas être en même temps en dehors de ce lieu, car la quan­ti­té du loca­li­sé est exac­te­ment mesu­rée par la quan­ti­té du lieu qu’il occupe ; de sorte qu’il n’y a pas tota­li­té de la quan­ti­té s’il n’y a pas tota­li­té du lieu. Mais la tota­li­té de l’essence n’est pas ain­si mesu­rée par la tota­li­té du lieu. Il n’est donc pas néces­saire que si un tout selon la tota­li­té de l’essence est dans un lieu, il ne soit d’aucune manière en dehors de ce lieu. C’est ce qui appa­raît même dans les formes acci­den­telles, qui sont acci­den­tel­le­ment douées de quan­ti­té. Ainsi la blan­cheur est tout entière en chaque par­tie de sa sur­face, si on l’entend de la tota­li­té de son essence, car on la trouve en chaque par­tie avec toute sa per­fec­tion spé­ci­fique. Mais si la tota­li­té dont on parle est celle de l’étendue qui lui est acci­den­telle, alors la blan­cheur n’est pas tout entière en chaque par­tie de la sur­face blanche. Or, dans les êtres incor­po­rels, il n’y a pas de tota­li­té, aus­si bien par soi que par acci­dent, sinon celle de leur per­fec­tion spé­ci­fique. Et ain­si, de même que l’âme est tout entière dans chaque par­tie du corps, Dieu est tout entier dans tous les êtres et dans cha­cun.

Un tout, c’est ce qui est divi­sible en par­ties. Il y aura donc trois sortes de tota­li­té, selon les trois sortes de divi­sion : 1. Un tout peut être divi­sible en par­ties quan­ti­ta­tives, comme le tout d’une ligne, d’un corps. 2. Un tout peut être divi­sé logi­que­ment ou réel­le­ment en par­ties de l’essence : par exemple, l’objet défi­ni se divise selon les par­ties de la défi­ni­tion, le com­po­sé se résout en matière et en forme. 3. Il y a encore le tout poten­tiel, qui est divi­sible du point de vue de l’étendue de sa ver­tu en puis­sance d’action.
Le pre­mier mode de tota­li­té ne peut conve­nir aux formes que d’une manière indi­recte, et encore aux formes qui peuvent être indif­fé­rem­ment dans un tout quan­ti­ta­tif ou dans ses par­ties. Ainsi la cou­leur blanche, qu’elle se trouve sur la sur­face totale ou sur l’un des seg­ments de cette sur­face, est essen­tiel­le­ment la même. Elle est alors divi­sée d’une manière indi­recte, lorsque la sur­face est divi­sée. Mais une forme qui requiert des par­ties diver­se­ment consti­tuées, telle que l’âme, sur­tout dans les ani­maux par­faits, n’est pas dans le même rap­port avec le tout et avec les par­ties. Ainsi n’est-elle pas divi­sible, même indi­rec­te­ment, c’est-à-dire par divi­sion quan­ti­ta­tive. Le pre­mier mode de tota­li­té ne peut donc être attri­bué à l’âme, ni essen­tiel­le­ment ni d’une manière indi­recte. Au contraire, le second mode de tota­li­té, celui de la défi­ni­tion et de l’essence, convient en propre et essen­tiel­le­ment aux formes. Il en est de même pour le tout poten­tiel puisque la forme est prin­cipe des acti­vi­tés.
On pour­rait donc se deman­der si la cou­leur blanche est tout entière sur la sur­face totale et sur cha­cune de ses par­ties. Il fau­drait alors dis­tin­guer plu­sieurs cas : si l’on parle de la tota­li­té d’étendue que la cou­leur blanche pos­sède indi­rec­te­ment, elle ne se trou­ve­ra pas tout entière en chaque par­tie de la sur­face. On devrait affir­mer la même chose à pro­pos du tout poten­tiel, car la blan­cheur qui recouvre toute la sur­face fait une impres­sion plus vive sur la vue que celle qui n’en recouvre qu’une par­tie. Mais s’il s’agit du tout de l’espèce et de l’essence, la cou­leur blanche se trouve tout entière en une par­tie quel­conque de la sur­face.
Or, l’âme ne pos­sède, ni par soi ni indi­rec­te­ment, de tota­li­té quan­ti­ta­tive. Il suf­fit donc d’admettre qu’elle est tout entière dans une par­tie quel­conque du corps, sous le rap­port de la tota­li­té d’essence et de per­fec­tion ; mais non pas selon la tota­li­té de sa ver­tu. Car elle n’est pas selon toute sa puis­sance dans chaque par­tie du corps ; au contraire, la facul­té de voir est dans l’œil, celle d’entendre, dans l’oreille, etc.

Comparez encore ber­ger, com­plè­te­ment immo­ti­vé, et vacher, rela­ti­ve­ment moti­vé ; de même les couples geôle et cachot, hache et cou­pe­ret, concierge et por­tier, jadis et autre­fois, sou­vent et fré­quem­ment, aveugle et boi­teux, sourd et bos­su, second et deuxième, all. Laub et fr. feuillage, fr. métier et all. Handwerk. Le plu­riel anglais ships « navires » rap­pelle par sa for­ma­tion toute la série flags, birds, books, etc., tan­dis que men « hommes », sheep « mou­tons » ne rap­pellent rien. En grec dṓsō « je don­ne­rai » exprime l’idée de futur par un signe qui éveille l’association de lū́sō, stḗsō, túpsō, etc., tan­dis que eími « j’irai » est tout à fait iso­lé.

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« Arbitraire abso­lu et arbi­traire rela­tif » Cours de lin­guis­tique géné­rale [1916]
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p. 182

Tout phé­no­mène psy­chique est carac­té­ri­sé par ce que les sco­las­tiques du Moyen Âge ont appe­lé l’inexistence inten­tion­nelle (ou encore men­tale) d’un objet, et ce que nous pour­rions appe­ler, bien qu’avec des expres­sions quelque peu équi­voques, la rela­tion à un conte­nu, l’orientation vers un objet (par quoi il ne faut pas entendre une réa­li­té) ou l’objectivité imma­nente. Tout phé­no­mène psy­chique contient en lui-même quelque chose comme objet, bien que cha­cun le contienne à sa façon. Dans la repré­sen­ta­tion c’est quelque chose qui est repré­sen­té, dans le juge­ment quelque chose qui est admis ou reje­té, dans l’amour quelque chose qui est aimé, dans la haine quelque chose qui est haï, dans le désir quelque chose qui est dési­ré, et ain­si de suite.

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Psychologie du point de vue empi­rique [édi­tion revue par Jean-François Courtine]
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trad.  Maurice de Gandillac
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p. 101–102

[Doctrine dite de la « créa­tion conti­nuée »]

En effet c’est une chose bien claire et bien évi­dente (à tous ceux qui consi­dé­re­ront avec atten­tion la nature du temps), qu’une sub­stance, pour être conser­vée dans tous les moments qu’elle dure, a besoin du même pou­voir et de la même action, qui serait néces­saire pour la pro­duire et la créer tout de nou­veau, si elle n’était point encore ; en sorte que c’est une chose que la lumière natu­relle nous fait voir clai­re­ment, que la conser­va­tion et la créa­tion ne dif­fèrent qu’au regard de notre pen­sée, et non point en effet.

Un dis­cours s’engendre dont nous pour­rions aisé­ment sup­pri­mer les noms. Nous dési­rons l’impliquer dans ces cahiers pour le dépliage pro­duc­tif d’une lec­ture durant le temps du regard. Car, ce qui se donne en der­nier recours, hors l’incidence des auteurs, c’est la par­tu­ri­tion et la par­ti­tion de l’écriture « dif­fé­rente » de laquelle il faut prendre acte. Les textes ici pré­sen­tés ne sont donc sépa­rés qu’illusoirement. Ils forment en effet une com­po­si­tion lexi­cale qui leur échappe. L’ouverture où de tels pro­duits appa­raissent (en leur genèse) réta­blit l’insignifié et l’illisibilité, sup­prime le lec­teur béné­fi­ciaire, oriente vers un uni­vers double et non-contra­dic­toire.

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« Ordinateur »
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vol. 1
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TXT
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