3736. C’est la « com­po­si­tion » des ciels qui dit le temps. Les nuages ont la charge du temps. Le pay­sage au sol marque la per­ma­nence. Mais c’est une per­ma­nence caduque. Car simul­ta­né­ment le ciel per­pé­tuel­le­ment chan­geant a un large degré de per­ma­nence, puisque les « châ­teaux » de nuages, comme dit Shelley, sont sans cesse recons­truits. Et le pour­ris­se­ment végé­tal, les ruines des habi­ta­tions, etc., marquent au contraire l’irrémédiablement pas­sé dans le pay­sage au sol. Permanence et chan­ge­ment échangent leurs pro­prié­tés (c’est cela le rap­port pas­sé-pré­sent, temps-durée) ; et pour les faire sen­tir de la manière la plus effi­cace il faut que le ciel soit aus­si exact que le reste du pay­sage.

3737. Constable’s para­dox : the ever-present in per­pe­tual change : clouds (see Damascius selon Simplicius).

3738. Constable’s Sky Studies : Une conden­sa­tion du chan­ge­ment des nuages ; pas un ins­tant du ciel, en fait. Much dif­ferent from pho­to­gra­phy. Mémoire, et non sou­ve­nir.

3739. His pain­tings are his life (see Zuk).

3740. « The com­ple­men­ta­ry aspects of conven­tio­nal land­scape pain­ting which C. wan­ted to sup­press : one was the imi­ta­tion of land­scapes pain­ted by ear­lier artists, the other the tel­ling of a sto­ry, the alle­go­ri­zing or other­wise tar­ting up the land­scape. » But this in order to tell ano­ther sto­ry : the (natu­ral) his­to­ry of the wea­ther. The sto­ry of time through the changes in the forms of clouds. A com­po­si­tion in time.

4143. Dans l’infra­mince passe la langue.

4144. L’explosion du jeu de mots a sui­vi l’implosion de la rime.

4145. Projet d’art de mémoire : faire de tous les objets du monde des rm. Les titrer, les signer.

4146. Lascault : « qui parle de Duchamp ne doit jamais reje­ter un jeu de mots pos­sible. » Hum. Bien au contraire… ne devrait accueillir un jeu de mots qu’avec d’extrêmes pré­cau­tions.

4147. Thierry de Duve, défi­ni­tion du rea­dy-made : « c’est une œuvre d’art réduite à l’énoncé “ceci est de l’art” ». Non. C’est une œuvre d’art de poé­sie.

4148. (rem. 3825) D’où, en remon­tant, du poète pas­sion­né de machines par essence céli­ba­taires (pho­no­graphe, pho­to­gra­phie en cou­leur, méca­nisme pour la com­mu­ni­ca­tion avec les pla­nètes), Charles Cros.

205. Un poème devrait avoir un pro­jet for­mel, pas seule­ment une forme prise parce qu’elle se trou­vait là.

206. La poé­sie n’est pas une cita­tion de la langue mais son signal.

207. La poé­sie est (au début) une mime­sis aurale.

208. Le mot oreille contient aus­si le mot réel (mais cette fois « dans le désordre »).

209. Un poème réel est sa propre idée.

210. Un poème ne se dis­tingue pas de l’idée de lui-même.

211. Chaque poème est sin­gu­lier dans la suc­ces­sion.

212. Dans un poème tout peut arri­ver.

213. La tech­nique de la poé­sie est com­bi­na­toire.

214. Poésie : une pen­sée sans connais­sance.

215. Poésie : une pen­sée qui perd connais­sance.

216. Si vous n’avez pas (ou plus) de poèmes dans la tête, je vous plains.

194. La poé­sie est main­te­nant (un aspect de l’hypothèse) : le poème n’existe que dans le moment de sa pro­fé­ra­tion ou appré­hen­sion (œil-oreille).

195. Les poèmes ne sont que dans un pré­sent non dis­cré­ti­sé, plein, conti­nu, éten­du.

196. Du point de vue de la poé­sie, les tau­to­lo­gies jouent le même rôle que les para­doxes.

197. La poé­sie disant ce qu’elle dit en le disant ne dit pas quelque chose. Elle ne dit pas quelque chose qui serait hors d’elle, ceci ou cela. D’où on conclu­ra aisé­ment (selon l’opinion), qu’elle ne dit rien.

198. La poé­sie est comme le mètre éta­lon. Une langue s’y mesure, qui sans elle serait sans mesures. Mais elle ne se mesure pas elle-même.

199. La tra­duc­tion est une mesure indi­recte de la poé­sie.

178. Sens des arts de la mémoire : inté­rio­ri­sa­tion de la mémoire externe.
179. Lutte de la mémoire interne contre la mémoire externe, plu­tôt que lutte de l’oral contre l’écrit, à tra­vers une lutte de l’« aural » contre le visuel (anti-Ong). Contre le « par­tage des tâches » scien­ti­fiques entre lan­gage, écri­ture et rai­son­ne­ment (pour lequel, selon Platon et Aristote, le lan­gage inter­na­li­sé, la logique, suf­fit).
180. La pen­sée dite « occi­den­tale » nie la mémoire, nie le rôle pre­mier de la mémoire dans toute pen­sée. Elle tend à l’exclusion ou infé­rio­ri­sa­tion de tout autre savoir (mémoire manuelle, ges­tuelle : outils, arts du geste ; mémoire lan­ga­gière : poé­sie).
181. La concep­tion du poète « fab­bro » ou « fac­teur » insiste sur cette paren­té des savoirs déniés.
182. À la mémoire aus­si appar­tient le savoir du conte.
183. Le conte dit « folk­lo­rique » semble exclu de la dis­cus­sion sur l’oralité : Coyote ne cir­cule pas moins ora­le­ment qu’Homère.
184. Pour Simonide la mémoire est demi-divine : mi-âne mi-cavale.

168. C’est la diglos­sia asso­ciée à la dicho­to­mie écrit-oral qui condi­tionne la créa­tion de la poé­sie au sens moderne par les Troubadours. Elle occupe le ter­rain sans oppo­si­tion, à la dif­fé­rence de la poé­sie des Anciens qui est mar­quée néces­sai­re­ment comme intel­lec­tuel­le­ment infé­rieure.

169. L’importance de la poé­sie des Troubadours (et de la prose ver­na­cu­laire qui en dépend) appa­raît mieux. En outre le tro­bar a inven­té le concept fon­da­men­tal de toute poé­sie : l’amour, insé­pa­rable de l’amour de la langue.

170. La poé­sie est mémoire de la langue par amour, par l’amour.

171. L’oralité poé­tique contem­po­raine est une non-non ora­li­té.

172. Le dis­soi logoi recom­mande l’association de noms com­muns pour la mné­mo­nique des noms propres, et réci­pro­que­ment. La poé­sie (Gertrude) traite les noms com­muns comme les noms propres des choses.

173. Le poète « fab­bro » pra­tique une « mime­sis » par­ti­cu­lière : l’imitation de la poé­sie par la poé­sie. C’est le pen­dant du tra­vail d’invention de la mémoire.

174. Le « big shop­per » est mon ins­tru­ment d’aède.

175. Que la poé­sie ne dit pas « quelque chose ». Parce que ce qu’elle dit n’est pas sépa­rable d’elle ; du moins dans les poèmes.

176. Car la poé­sie qui est l’absente de tout poème, dit la langue, est sa mémoire.

146. L’invention des arts de la mémoire consti­tue une ten­ta­tive de sau­ve­tage de la concep­tion ancienne de la poé­sie, des arts de la parole et de l’ouïe plus géné­ra­le­ment (aus­si le conte) per­met­tant une tra­duc­tion visuelle interne.

147. Tel est le sens du « ut pic­tu­ra poe­sis ».

148. Il faut réap­prendre à mar­cher dans sa tête.

149. Ce n’est pas seule­ment une réfé­rence com­mune dans la langue qui a été per­due avec la chute de la poé­sie, parce qu’on ne l’apprend plus, c’est toute vraie réfé­rence indi­vi­duelle à la poé­sie.

150. Un poème doit être mémo­rable, pour être mémo­ri­sé, ou au moins revi­si­té inté­rieu­re­ment.

151. La posi­tion « simo­ni­dienne » serait : il n’y a pas que la poé­sie qui est mémo­ri­sable. Tout l’est, grâce aux « arts ». On peut « tra­duire » l’oral en visuel. Et on peut le faire cha­cun pour soi.

(…)

154. Le jeu de la poé­sie orale est un jeu entre répé­ti­tion et inven­tion, entre le plai­sir de la sur­prise et celui de la recon­nais­sance (see Henry James). Il importe donc d’étudier le contraste entre le for­mu­laïque et le reste. Et ceci montre encore le lien avec les stra­té­gies mné­mo­niques (see la « bro­ken for­mu­la » de Bacon et la maxime à la Rochefoucauld ; see le par­ti­men).

(…)

157. La concep­tion orale, « mimé­tique » de la poé­sie inter­dit l’identification de la poé­sie avec un indi­vi­du sépa­ré, pour­vu d’une âme indi­vi­duelle. C’est ce carac­tère qu’a conser­vé la poé­sie, d’où la lutte indis­pen­sable contre le « bio­gra­phique ».

3497. Entre poé­sie et prose, un cri­tère de par­ti­tion : le mémo­rable. Ce n’est pas qu’un cri­tère prag­ma­tique.

3498. Il y a vingt-cinq ans Denis Roche disait : « la poé­sie est inad­mis­sible ; d’ailleurs elle n’existe pas. » Aujourd’hui, Emmanuel Hocquard dit à peu près : « la poé­sie est trop admis­sible ; et elle existe trop. »

3499. Qui ne connaît qu’un poète ne connaît rien à la poé­sie.

3500. Qui ne lit qu’un poète n’en lit aucun.

3501. Qui n’a rete­nu qu’une seule ligne de poé­sie n’en connaît aucune.

3502. Chaque uni­té poé­tique posée (en mémoire externe), que ce soit un poème ou un vers ou autre chose, n’est qu’une his­toire figée de cette même uni­té.