133. La déduc­tion mémo­rielle est à la fois natu­relle, uni­ver­selle (« prou­vée » par Cherechevski) et condi­tion de la logique, de la syn­taxe, de la métrique (du rythme dans la langue). Telle est la thèse que je pro­po­se­rai, en toute irres­pon­sa­bi­li­té.

31. Peut-on appli­quer la théo­rie de l’a­na­mnèse au sou­ve­nir ? l’o­pi­nion (vraie) du sou­ve­nir, c’est ce dont on se sou­vient. Mais il y a un autre sou­ve­nir, un sou­ve­nir-savoir qui serait l’inge­gno de Vico ?

Au regard de l’u­na­ni­mi­té tota­li­taire qui, à la criée, est prête à faire pas­ser l’i­dée que le sens de l’in­di­vi­du est dans l’é­li­mi­na­tion immé­diate de sa dif­fé­rence, il est même per­mis de pen­ser que quelque chose des pos­si­bi­li­tés libé­ra­trices de la socié­té a reflué pour un temps dans la sphère de l’in­di­vi­duel.

, ,
trad.  Eliane Kaufholz & Jean-René Ladmiral
, ,

Il ne suf­fit pas de dire que, dans la socié­té indi­vi­dua­liste, l’u­ni­ver­sel se réa­lise à tra­vers l’in­te­rac­tion des indi­vi­dus (die Einzelnen), il faut bien voir ain­si que c’est la socié­té qui fait essen­tiel­le­ment la sub­stance de l’in­di­vi­du (das Individuum).

, ,
trad.  Éliane Kaufholz trad.  Jean-René Ladmiral
, ,

Il y a quelque chose de sen­ti­men­tal et d’a­na­chro­nique dans la réflexion sub­jec­tive, quand bien même elle retourne sa propre cri­tique contre elle-même : quelque chose qui est de l’ordre d’une lamen­ta­tion sur la marche du monde, et cette lamen­ta­tion n’a pas lieu d’être récu­sée au nom de la bon­té du monde mais parce que le sujet risque ain­si de se figer dans l’é­tat où il se trouve (Sosein) et d’en venir à confir­mer lui-même cette loi du monde.

, ,
trad.  Éliane Kaufholz trad.  Jean-René Ladmiral
, ,

Je ne l’ai jamais vu que la nuit. Une fois dans une sorte de b… ; sou­vent au théâtre. On m’a dit qu’il vivait de médiocres opé­ra­tions heb­do­ma­daires à la Bourse. Il pre­nait ses repas dans un petit res­tau­rant de la rue Vivienne. Là, il man­geait comme on se purge, avec le même entrain. Parfois, il s’ac­cor­dait ailleurs un repas fin et lent.

M. Teste avait peut-être qua­rante ans. Sa parole était extra­or­di­nai­re­ment rapide, et sa voix sourde. Tout s’ef­fa­çait en lui, les yeux, les mains. Il avait pour­tant les épaules mili­taires, et le pas d’une régu­la­ri­té qui éton­nait. Quand il par­lait, il ne levait jamais un bras ni un doigt : il avait tué la marion­nette. Il ne sou­riait pas, ne disait ni bon­jour ni bon­soir ; il sem­blait ne pas entendre le « Comment allez-vous ? »

[…]

À force d’y pen­ser, j’ai fini par croire que M. Teste était arri­vé à décou­vrir des lois de l’es­prit que nous igno­rons. Sûrement, il avait dû consa­crer des années à cette recherche : plus sûre­ment, des années encore, et beau­coup d’autres années avaient été dis­po­sées pour mûrir ses inven­tions et pour en faire des ins­tincts. Trouver n’est rien. Le dif­fi­cile est de s’a­jou­ter ce qu’on trouve.

If you were going to get a pet
what kind of ani­mal would you get.

A soft-bodied dog, a hen
Feathers and fur to begin it again.

At the end of the day, when it gets dark,
I saw an ani­mal in the park.

Bring it home to give to you
I have seen ani­mals break in two.

You were hoping for some­thing soft
and loyal and clean and won­drous­ly care­ful.

A form of other­wise vicious habit
Can have long ears and be cal­led a rab­bit.

Dead, died, will die, want,
Morning, mid­night, I asked you

If you were going to get a pet
What kind of ani­mal would you get.

,
« If you »

Entre le pou­voir et la connais­sance, il n’y a pas seule­ment un rap­port de sujé­tion, il y a aus­si un rap­port de véri­té. Nombreuses sont les connais­sances qui, hors de pro­por­tions avec le rap­port des forces, res­tent sans aucune valeur, pour exactes qu’elles puissent être for­mel­le­ment. Quand un méde­cin expa­trié d’Allemagne vient nous dire : « Pour moi, Adolf Hitler est un cas patho­lo­gique », il est pos­sible qu’en fin de compte les résul­tats de l’exa­men cli­nique lui donnent rai­son ; mais il y a une telle dis­pro­por­tion entre cette phrase et le désastre objec­tif qui s’é­tend sur le monde au nom dudit para­noïaque que ce diag­nos­tic en devient déri­soire et que ce n’est pour celui qui le for­mule qu’une façon de plas­tron­ner.

, ,
trad.  Éliane Kaufholz trad.  Jean-René Ladmiral
, ,

Ce qui manque aux pay­sages amé­ri­cains, [… c’est] le fait que sur eux la main de l’homme n’a pas lais­sé de traces. Ce n’est pas seule­ment qu’il n’y a guère de champs labou­rés et que les bois n’y sont sou­vent que des taillis non défri­chés ; ce sont sur­tout les routes qui donnent cette impres­sion. Elles coupent le pay­sage sans jamais aucune tran­si­tion. Plus on les a tra­cées larges et plates – moins leur chaus­sée lui­sante semble à sa place dans cet envi­ron­ne­ment d’une végé­ta­tion trop sau­vage et plus elle semble lui faire vio­lence. Ces routes n’ont pas d’expression. On n’y voie nulle trace de pas ni de roues, entre elles et la végé­ta­tion il manque la tran­si­tion d’un che­min de terre meuble qui les longe et il n’y a pas non plus de sen­tiers par­tant laté­ra­le­ment vers le fond de la val­lée : il leur manque ain­si cette dou­ceur apai­sante et ce poli qu’ont les choses où la main et les outils qui la pro­longent direc­te­ment ont fait leur œuvre. De ces pay­sages, on serait ten­té de dire que per­sonne ne leur a pas­sé la main dans les che­veux. Ils sont incon­so­lés et déso­lants.

, ,
trad.  Eliane Kaufholz & Jean-René Ladmiral
, , ,
p. 45–46