Un jour, j’a­vais dix ans, j’ai été enfer­mé dans la morgue de Sophiahemmet. Le gar­dien de l’hô­pi­tal s’ap­pe­lait Algit. C’était un grand pataud avec des che­veux blonds presque blancs cou­pés ras et des petits yeux bleus per­çants sous des sour­cils blancs, des mains grasses et vio­la­cées. Algot trans­por­tait les cadavres et il par­lait volon­tiers de la mort, des morts, des ago­nies, des morts qui n’é­taient morts qu’en appa­rence.
La morgue se com­po­sait de deux pièces, il y avait, devant, une cha­pelle où les parents pre­naient une der­nière fois congé des leurs et, der­rière, une pièce où l’on arran­geait les cadavres après une autos­pie.
Un jour de grand soleil, à la fin de l’hi­ver, Algot m’a atti­ré dans la pièce de der­rière et il a sou­le­vé le drap qui recou­vrait un cadavre qu’on venait de livrer. Une jeune femme aux longs che­veux noirs, des lèvres pleines, un men­ton rond. Je l’ai lon­gue­ment regar­dée tan­dis qu’Algot s’oc­cu­pait d’autre chose. Tout à coup, j’ai enten­du un grand bruit. La porte d’en­trée venait de se refer­mer et je res­tai seul avec la morte, cette belle jeune femme, et cinq ou six autres cadavres entas­sés sur des draps tachés de jaune. Je frap­pai à la porte et j’ap­pe­lai Algot, en vain. J’étais seuls avec les morts ou ces sem­blants de morts, à tout ins­tant l’un ou l’autre pou­vait se lever et venir s’a­grip­per à moi. Le soleil brillait à tra­vers les vitres d’un blanc lai­teuxs, le silence s’ac­cu­mu­lait au-des­sus de ma tête, une chape de silence qui mon­tait jus­qu’au ciel. Mon coeur bat­tait dans mes oreilles, je res­pi­rais avec dif­fi­cul­té, j’a­vais froid au creux de l’es­to­mac et je fris­son­nais.
Je suis allé m’as­seoir sur un tabou­ret dans la cha­pelle et j’ai fer­mé les yeux. C’était affreux, il fal­lait que je contrôle tout ce qui pou­vait se pas­ser exac­te­ment der­rière moi ou bien là où je ne regar­dais pas. Le silence fut rom­pu par un sourd gro­gne­ment. Je savais ce que c’é­tait. Algot m’a­vait racon­té que les morts pétaient dia­ble­ment fort, le bruit ne me fai­sait pas direc­te­ment peur. Quelques sil­houettes pas­sèrent devant la cha­pelle, j’en­ten­dais leurs voix, je les entre­voyais à tra­vers les vitres dépo­lis. A mon propre éton­ne­ment, je n’ai pas crié, je suis res­té immo­bile, je me suis tu. Les sil­houettes dis­pa­rurent, les voix s’é­loi­gnèrent.
Je venais d’être sai­si par un désir violent qui me brû­lait, me déman­geait. Je me suis levé et je me suis sen­ti pous­ser vers l’autre pièce avec les morts. La jeune femme qu’on venait de trai­ter était cou­chée sur une table en bois au milieu de la pièce. J’ai reti­ré le drap, et j’ai dénu­dé la femme. Elle était entiè­re­ment nue si l’on excepte un pan­se­ment qui allait de sa gorge au pubis. J’ai levé la main et je lui ai tou­ché l’é­paule. J’avais enten­du par­ler du froid de la mort, mais la peau de la fille n’é­tait pas froide, elle me brû­lait. J’ai fait mon­ter ma main jus­qu’à son sein, un petit sein flasque avec une mame­lon noir dres­sé. Un duvet noir pous­sait sur son ventre, elle res­pi­rait, non, elle ne res­pi­rait pas, mais sa bouche ne s’é­tait-elle pas ouverte ? Je voyais ses dents blanches sous l’ar­ron­di de ses lèvres. Je me dépla­çai de façon à voir son sexe que j’au­rais vou­lu tou­cher, seule­ment je n’o­sais pas.
Maintenant je voyais bien que sous ses pau­pières à moi­tié fer­mées, elle me regar­dait. Tout n’é­tait plus que confu­sion, le temps s’ar­rê­ta et la forte lumière devint encore plus forte. Algot m’a­vait racon­té l’his­toire d’un de ses col­lègues qui avait vou­lu faire une plai­san­te­rie à une jeune infir­mière. Après une ampu­ta­tion, il avait pla­cé une main sous la cou­ver­ture de son lit. Comme l’in­fir­mière n’ar­ri­vait pas à la prière du matin, on était allé la cher­cher dans sa chambre. Elle était assise, nue, en train de mâchon­ner la main, elle avait arra­ché le pouce et elle l’a­vait intro­duit dans son vagin. Et moi, j’al­lais main­te­nant deve­nir fou comme elle. Je me suis jeté sur la porte qui s’est ouverte toute seule. La jeune femme me lais­sait filer.

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trad.  Lucie Albertini
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En cas que vous…
J’espère vive­ment que ma venue à Paris va appro­cher le jour où nous allons faire connais­sance
J’espère, Monsieur, d’a­voir bien­tôt de vos nou­velles.
Peut-être vous savez dès à pré­sent vers quel temps vous serez à Paris ?
Pas plus tard qu’à Cannes j’ai deman­dé dans une phar­ma­cie « l’aé­ro­pha­gyl » qui, d’un coup, a mis fin à mon état détes­table. Mille fois mer­ci !
Il me parais­sait quel­que­fois que l’es­prit capri­cieux et tour­men­té du conteur allait trop en avant des évé­ne­ments dont le charme bizarre et lugubre aurait, par-ci, par-là, un relief plus puis­sant encore en se déta­chant d’un fond plus prosaïque.s

Quant à mon hon­neur, j’en­tends bien que per­sonne ne s’en sou­cie plus que moi, main­te­nant qu’il est trop tard pour le faire. Si seule­ment mes parents s’en étaient sou­ciés quand ils m’ont don­née à vous ! S’ils ne l’ont pas fait alors, je n’en­tends pas me pré­oc­cu­per du leur à pré­sent. Si je vis en état de péché mor­tier, j’y res­te­rai, aujourd’­hui et demain, bien bêchée par ce pilon : n’en soyez pas plus sou­cieux que moi ! Et puis, je vous le déclare : ici, j’ai l’im­pres­sion d’être l’é­pouse de Paganino, tan­dis qu’à Pise, j’a­vais l’im­pres­sion d’être votre putain, quand je songe que la conjonc­tion de nos pla­nètes était fonc­tion des posi­tions de la lune et des qua­dra­tures, alors qu’i­ci, Paganino me tient dans ses bras toute la nuit, et il me presse, et il me mord ! Quant à la façon dont il m’ar­range, Dieu seul peut vous le dire à ma place. Vous ferez des efforts, dites-vous : mais pour quoi ? Pour faire par­tie nulle et pour lever la canne ? Je sais que vous êtes deve­nu bon che­vau­cheur depuis que je ne vous ai vu ! Allez-vous-en, et effor­cez-vous de vivre, car j’ai plu­tôt l’im­pres­sion que vous êtes en loca­tion en ce monde, tant vous m’a­vez l’air poi­tri­naire et grin­ga­let.

L’amour de la nature est d’ailleurs si sus­cep­tible d’ac­cord avec le pri­mat de l’u­tile, c’est-à-dire du len­de­main, qu’il a été le mode de com­pen­sa­tion le plus répan­du – le plus ano­din – des socié­tés uti­li­sa­trices : rien évi­dem­ment de moins dan­ge­reux, de moins sub­ver­sif, à la fin de moins sau­vage, que la sau­va­ge­rie des rochers.

Je ne suis et tu n’es, dans les vastes flux des choses, qu’un point d’arrêt favo­rable au rejaillis­se­ment. Ne tarde pas à prendre une exacte conscience de cette posi­tion angois­sante : s’il t’arrivait de t’attacher à des buts enfer­més dans ces limites où per­sonne n’est en jeu que toi, ta vie serait celle du grand nombre, elle serait pri­vée de mer­veilleux. Un court moment d’arrêt : le com­plexe, le doux, le violent mou­ve­ment des mondes se fera de ta mort une écume écla­bous­sante. Les gloires, la mer­veille de ta vie tiennent à ce rejaillis­se­ment du flot qui ne nouait en toi dans l’immense bruit de cata­racte du ciel.

Les fra­giles parois de ton iso­le­ment où se com­po­saient les mul­tiples arrêts, les obs­tacles de la conscience, n’auront ser­vi qu’à réflé­chir un ins­tant l’éclat de ces uni­vers au sein des­quels tu ne ces­se­ras jamais d’être per­du.

S’il n’y avait que ces uni­vers mou­vants, qui ne ren­con­tre­raient jamais de remous cap­tant les cou­rants trop rapides d’une conscience indis­tincte, quand elle lie nous ne savons quel brillant inté­rieur, infi­ni­ment vague, aux plus aveugles mou­ve­ments de la nature, faute d’obstacles, ces mou­ve­ments seraient moins ver­ti­gi­neux. L’ordre sta­bi­li­sé des appa­rences iso­lées est néces­saire à la conscience angois­sée des crues tor­ren­tielles qui l’emportent. Mais s’il est pris pour ce qu’il paraît, s’il enferme dans un atta­che­ment peu­reux, il n’est plus que l’occasion d’une erreur risible, une exis­tence étio­lée de plus marque un point mort, un absurde petit tas­se­ment, oublié, pour peu de temps, au milieu de la bac­cha­nale céleste.
D’un bout à l’autre de cette vie humaine, qui est notre lot, la conscience du peu de sta­bi­li­té, même du pro­fond manque de toute véri­table sta­bi­li­té, libère les enchan­te­ments du rire. Comme si brus­que­ment cette vie pas­sait d’une soli­di­té vide et triste à l’heureuse conta­gion de la cha­leur et de la lumière, aux libres tumultes que se com­mu­niquent les eaux et les airs : les éclats et les rebon­dis­se­ments du rire suc­cèdent à la pre­mière ouver­ture, à la per­méa­bi­li­té d’aurore du sou­rire. Si un ensemble de per­sonnes rit d’une phrase déce­lant une absur­di­té ou d’un geste dis­trait, il passe en elles un cou­rant d’intense com­mu­ni­ca­tion. Chaque exis­tence iso­lée sort d’elle-même à la faveur de l’image tra­his­sant l’erreur de l’isolement figé. Elle sort d’elle-même en une sorte d’éclat facile, elle s’ouvre en même temps à la conta­gion d’un flot qui se réper­cute, car les rieurs deviennent ensemble comme les vagues de la mer, il n’existe plus entre eux de cloi­son tant que dure le rire, ils ne sont pas plus sépa­rés que deux vagues, mais leur uni­té est aus­si indé­fi­nie, aus­si pré­caire que celle de l’agitation des eaux.

Le rire com­mun sup­pose l’absence d’une véri­table angoisse, et pour­tant il n’a pas d’autre source que l’angoisse. Ce qui l’engendre jus­ti­fie ta peur. On ne peut conce­voir que chu, tu ne sais d’où, dans cette immen­si­té incon­nue, aban­don­né à l’énigmatique soli­tude, condam­né pour finir à som­brer dans la souf­france, tu ne sois pas sai­si d’angoisse. Mais de l’isolement où tu vieillis au sein d’univers voués à ta perte, il t’est loi­sible de tirer cette conscience ver­ti­gi­neuse de ce qui a lieu, conscience, ver­tige, aux­quels tu ne par­viens que noué par cette angoisse. Tu ne pour­rais deve­nir le miroir d’une réa­li­té déchi­rante si tu ne devais te bri­ser…

Dans la mesure où tu opposes un obs­tacles à des forces débor­dantes, tu es voué à la dou­leur, réduit à l’inquiétude. Mais il t’est loi­sible encore d’apercevoir le sens de cette angoisse en toi : de quelle façon l’obstacle que tu es doit se nier lui-même et se vou­loir détruit, du fait qu’il est par­tie des forces qui le brisent. Ce n’est pos­sible qu’à cette condi­tion : que ta déchi­rure n’empêche pas ta réflexion d’avoir lieu, ce qui demande qu’un glis­se­ment se pro­duise (que la déchi­rure soit seule­ment reflé­tée, et laisse pour un temps le miroir intact). Le rire com­mun, sup­po­sant l’angoisse écar­tée, quand il en tire au même ins­tant des rebon­dis­se­ments, est sans doute, de cette tri­che­rie, la forme cava­lière : ce n’est pas le rieur que le rire frappe, mais l’un de ses sem­blables – encore est-ce sans excès de cruau­té.

Les forces qui tra­vaillent à nous détruire trouvent en nous des com­pli­ci­tés si heu­reuses – et par­fois si vio­lentes – que nous ne pou­vons nous détour­ner d’elles sim­ple­ment comme l’intérêt qui nous y porte. Nous sommes conduits à faire la part du feu ». Rarement des hommes sont en état de se don­ner la mort – et non comme le déses­pé­ré mais l’Hindou, se jetant roya­le­ment sous un char de fête. Mais sans aller jusqu’à nous livrer, nous pou­vons livrer, de nous-mêmes, une part : nous sacri­fions des bien qui nous appar­tiennent ou – ce qui nous lie par tant de liens, dont nous dis­tin­guons mal : notre sem­blable. Assurément, ce mot, sacri­fice, signi­fie ceci : que des hommes, du fait de leur volon­té, font entrer quelques biens dans une région dan­ge­reuse, où sévissent des forces détrui­santes. Ainsi sacri­fions-nous celui dont nous rions, l’abandonnant sans nulle angoisse, à quelque déchéance qui nous semble légère (le rire sans doute n’a pas la gra­vi­té du sacri­fice).

Nous ne pou­vons décou­vrir qu’en autrui com­ment dis­pose de nous l’exubérance légère des choses. A peine sai­sis­sons-nous la vani­té de notre oppo­si­tion que nous sommes empor­tés par le mou­ve­ment ; il suf­fit que nous ces­sions de nous oppo­ser, nous com­mu­ni­quons avec le monde illi­mi­té des rieurs. Mais nous com­mu­ni­quons sans angoisse, pleins de joie, ima­gi­nant ne pas don­ner prise nous-mêmes au mou­ve­ment qui dis­po­se­ra pour­tant de nous, quelque jour, avec une rigueur défi­ni­tive.

Sans nul doute, le rieur est lui-même risible et, dans le sens pro­fond, plus que sa vic­time, mais il importe peu qu’une faible erreur – un glis­se­ment – déverse la joie au royaume du rire. Ce qui rejette les hommes de leur iso­le­ment vide et les mêle aux mou­ve­ments illi­mi­tés – par quoi ils com­mu­niquent entre eux, pré­ci­pi­tés avec bruit l’un vers l’autre comme les flots – ne pour­rait être que la mort si l’horreur de ce moi qui s’est replié sur lui-même était pous­sée à des consé­quences logiques. La conscience d’une réa­li­té exté­rieure – tumul­tueuse et déchi­rante – qui naît dans les replis de la conscience de soi – demande à l’homme d’apercevoir la vani­té de ces replis – de les savoir » dans un pres­sen­ti­ment, déjà détruits – mais elle demande aus­si qu’ils durent. L’écume qu’elle est au som­met de la vague demande ce glis­se­ment inces­sant : la conscience de la mort (et des libé­ra­tions qu’à l’immensité des êtres elle apporte) ne se for­me­rait pas si l’on n’approchait la mort, mais elle cesse d’être aus­si­tôt que la mort a fait son œuvre. Et c’est pour­quoi cette ago­nie, comme figée, de tout ce qui est, qu’est l’existence humaine au sein des cieux – sup­pose la mul­ti­tude spec­ta­trice de ceux qui sur­vivent un peu (la mul­ti­tude sur­vi­vante ampli­fie l’agonie, la réflé­chit sans les facettes infi­nies de consciences mul­tiples, où la len­teur figée coexiste avec une rapi­di­té de bac­cha­nale, où la foudre et la chute des morts sont contem­plées): il faut au sacri­fice non seule­ment des vic­times, mais des sacri­fiants ; le rire ne demande pas seule­ment les per­son­nages risibles que nous sommes, il veut la foule incon­sé­quente des rieurs…

…D’une par­ti­cule simple à l’autre, il n’y a pas de dif­fé­rence de nature, il n’y a pas non plus de dif­fé­rence entre celle-ci et celle-là. Il y a de ceci qui se pro­duit ici ou là, chaque fois sous forme d’unité, mais cette uni­té ne per­sé­vère pas en elle-même. Des ondes, des vagues, des par­ti­cules simples ne sont peut-être que les mul­tiples mou­ve­ments d’un élé­ment homo­gène ; elles ne pos­sèdent que l’unité fuyante et ne brisent pas l’homogénéité de l’ensemble.
Les groupes com­po­sés de nom­breuses par­ti­cules simples pos­sèdent seuls ce carac­tère hété­ro­gène qui me dif­fé­ren­cie de toi et isole nos dif­fé­rences dans le reste de l’univers. Ce qu’on appelle un être » n’est jamais simple, et s’il a seul l’unité durable, il ne la pos­sède qu’imparfaite : elle est tra­vaillée par sa pro­fonde divi­sion inté­rieure, elle demeure mal fer­mée et, en cer­tains points, atta­quable du dehors.
Il est vrai que cet être » iso­lé, étran­ger à ce qui n’est pas lui, est la forme sous laquelle te sont appa­rues d’abord l’existence et la véri­té. C’est à cette dif­fé­rence irré­duc­tible – que tu es – que tu dois rap­por­ter le sens de chaque objet. Pourtant l’unité qui est toi te fuit et s’échappe : cette uni­té ne serait qu’un som­meil sans rêves si le hasard en dis­po­sait selon ta volon­té la plus anxieuse.
Ce que tu es tient à l’activité qui lie les élé­ments sans nombre qui te com­posent, à l’intense com­mu­ni­ca­tion de ces élé­ments entre eux. Ce sont des conta­gions d’énergie, de mou­ve­ment, de cha­leur ou des trans­ferts d’éléments, qui consti­tuent inté­rieu­re­ment la vie de ton être orga­nique. La vie n’est jamais située en un point par­ti­cu­lier : elle passe rapi­de­ment d’un point à l’autre (ou de mul­tiples points à d’autres points), comme un cou­rant ou comme une sorte de ruis­sel­le­ment élec­trique. Ainsi, où tu vou­drais sai­sir ta sub­stance intem­po­relle, tu ne ren­contres qu’un glis­se­ment, que les jeux mal coor­don­nés de tes élé­ments péris­sables.
Plus loin, ta vie ne se borne pas à cet insai­sis­sable ruis­sel­le­ment inté­rieur ; elle ruis­selle aus­si au dehors et s’ouvre inces­sam­ment à ce qui s’écoule ou jaillit vers elle. Le tour­billon durable qui te com­pose se heurte à des tour­billons sem­blables avec les­quels il forme une vaste figure ani­mée d’une agi­ta­tion mesu­rée. Or vivre signi­fie pour toi non seule­ment les flux et les jeux fuyants de lumière qui s’unifient en toi, mais les pas­sages de cha­leur ou de lumière d’un être à l’autre, de toi à ton sem­blable ou de ton sem­blable à toi (même à l’instant où tu me lis la conta­gion de ma fièvre qui t’atteint): les paroles, les livres, les monu­ments, les sym­boles, les rires ne sont qu’autant de che­mins de cette conta­gion, de ces pas­sages. Les êtres par­ti­cu­liers comptent peu et ren­ferment d’inavouables points de vue, si l’on consi­dère ce qui s’anime, pas­sant de l’un à l’autre sans amour, dans de tra­giques spec­tacles, dans des mou­ve­ments de fer­veur. Ainsi nous ne sommes rien, ni toi ni moi, auprès des paroles brû­lantes qui pour­raient aller de moi vers toi, impri­mées sur un feuillet : car je n’aurai vécu que pour les écrire, et, s’il est vrai qu’elles s’adressent à toi, tu vivras d’avoir eu la force de les entendre.

L’angoisse, évi­dem­ment, ne s’ap­prend pas. On la pro­vo­que­rait ? C’est pos­sible : je n’y crois guère. On peut en agi­ter la lie… Si quel­qu’un avoue de l’an­goisse, il faut mon­trer le néant de ses rai­sons. Il ima­gine l’is­sue de ses tour­ments : s’il avait plus d’argent, une femme, une autre vie… La niai­se­rie de l’an­goisse est infi­nie. Au lieu d’al­ler à la pro­fon­deur de son angoisse, l’an­xieux babille, se dégrade et fuit. Pourtant l’an­goisse était sa chance : il fut choi­si dans la mesure de ses pres­sen­ti­ments. Mais quel gâchis s’il élude : il souffre autant et s’hu­mi­lie, il devient bête, faux, super­fi­ciel. L’angoisse élu­dée fait d’un homme un jésuite agi­té, mais à vide.

Faut-il donc être comme tout le monde parce que la majo­ri­té détient réel­le­ment le bon­heur, ou sim­ple­ment parce qu’elle règne avec une telle féro­ci­té que, hors d’elle, on souffre encore plus que dedans ? Les péda­gogues ne répondent pas. Mais ils emploient les mots éga­li­té, san­té, jus­tice, liber­té, sagesse ; ils disent de quel côté toutes ces ver­tus existent ; ils disent que ce côté-là a la par­ti­cu­la­ri­té inat­ten­due d’être impla­cable avec les autres côtés ; ils ne disent pas que la clef du bon­heur humain, dans quelque socié­té qu’on se trouve, est d’ap­par­te­nir aux plus imbé­ciles, d’a­boyer avec les plus méchants et de secon­der les plus forts : mais, s’ils n’osent pas encore l’é­crire en toutes lettres, leurs élèves com­prennent très bien à demi-mot.
D’ailleurs, la féro­ci­té de cette majo­ri­té heu­reuse n’est sans doute qu’une pro­tec­tion légi­time de son bon­heur contre le petit nombre d’en­ra­gés qui essaient de lui nuire. Nos souf­frances viennent d’un défaut d’u­na­ni­mi­té dans les goûts, les com­por­te­ments, les aspects, les âges, les états : et donc tout ce qui peut apla­nir les dif­fé­rences est bon. Conditionnement géné­ral, bien sûr, iden­ti­té dans les actes que tous accom­plissent au même moment, dans les pen­sées, les indi­gna­tions, les admi­ra­tions, les rires que tous auront devant les mêmes choses, adop­tion des mêmes valeurs, éli­mi­na­tion des dis­cor­dances, gué­ri­son des révol­tés, sup­pres­sion des inadap­tables, réédu­ca­tion des non-pro­duc­teurs, pri­sons, asiles, hos­pices, mai­sons de la culture, mou­roirs pour les vieux, bar­be­lés pour les infirmes, pour­ris­soirs pour les immi­grés, péni­ten­ciers pour les orphe­lins, oubliettes où jeter tout homme dont la race, la cou­leur, l’âge, le pas­sé, l’ac­ti­vi­té, l’é­tat de san­té, les mœurs, les opi­nions, les habi­tudes, les refus souille­raient l’har­mo­nie des nor­maux. Cela, nous le fai­sons et on ne trouve que des nations sous-déve­lop­pées pour ne pas déte­nir encore tous ces ins­tru­ments de bon­heur. Seul notre condi­tion­ne­ment est impar­fait : cer­tains passent à côté de la forge. Qu’on remé­die à cela, et enfin règne­ront la concorde, la tran­quilli­té, la sûre­té des choses ; les géné­ra­tions à venir héri­te­ront d’une socié­té par­faite, et les cinq mil­liards d’an­nées qui nous séparent de la fin du monde se dérou­le­ront sans un heurt.
Si, la nuit, un impor­tun m’empêche de dor­mir avec son tapage, et que je pro­teste, et qu’il me dit que ce tapage est la plus belle musique de la terre, je répon­drai à juste titre que c’est l’heure du som­meil et non de la beau­té. Or le bon­heur, quant à lui, est un som­meil éter­nel. Rien de plus légi­time que de le pro­té­ger contre les malades atteints d’in­som­nie.
Je vois donc bien ce qui sépare la majo­ri­té heu­reuse et les mino­ri­taires : la pre­mière ne souffre que de l’exis­tence des seconds ; tan­dis que ceux-ci souffrent d’eux-mêmes et, pour une poi­gnée qu’ils sont, empêchent que règne un bon­heur una­nime. Voilà pour­quoi il faut res­sem­bler aux autres pour être heu­reux, et pour­chas­ser les dif­fé­rences pour le demeu­rer.
Ce que j’é­cris là montre aus­si que je me sous-estime, et que, lorsque je le veux, je suis capable de rai­son­ner aus­si bien que qui­conque. Serait-ce qu’en pré­ten­dant que mes vices sont ingué­ris­sables je cherche seule­ment une excuse, et qu’en réa­li­té je pour­rais, et même sans aucune aide, me redres­ser et reprendre la bonne voie ? Je n’ose pas répondre. J’ai plu­tôt l’im­pres­sion déso­lante qu’au nombre de mes per­ver­si­tés je cultive celle de m’i­ma­gi­ner nor­mal, et que, si je ne me cor­rige pas, c’est que je suis sin­cè­re­ment convain­cu de res­sem­bler déjà à n’im­porte qui. Mais pour­quoi suis-je si sou­vent le seul de cette opi­nion ? Il fau­dra bien des années avant que je le com­prenne.
Mes mau­vaises mœurs, pour ne par­ler que d’elles, me semblent infi­ni­ment banales, et je conçois sans peine une socié­té où on les impo­se­rait au nom de valeurs moyennes et des idées majo­ri­taires qui les condamnent dans la nôtre. Pas une retouche à faire.
Dans cette socié­té homo­sexuelle moyenne, petite-bour­geoise, le sens com­mun affir­me­rait, par exemple, que si l’homme est supé­rieur à l’a­ni­mal il doit se libé­rer de l’ins­tinct qui le pousse à for­ni­quer entre sexes comme les bêtes (le moindre batra­cien d’é­glise ou de cel­lule syn­di­cale peut com­prendre cet argu­ment-là). On ajou­te­rait qu’as­ser­vir l’a­mour à la pro­créa­tion n’est qu’une absur­di­té, puisque nul n’a jamais pas­sé, à se repro­duire, les soixante ou quatre-vingts ans de sen­sua­li­té dont il dis­pose à sa naissance.(cela se dit com­mu­né­ment dans notre socié­té à nous, je conti­nue). Ceux qui assi­milent le plai­sir à l’u­nique situa­tion où l’on engendre sont donc des idiots ou des fous. Et c’est à une qua­li­té plus éle­vée, plus éten­due de rela­tions que doit ser­vir cet immense réser­voir de désir amou­reux dont seule l’hu­ma­ni­té a été pour­vue, nul ne sait pour­quoi. On dit encore que l’ac­cou­ple­ment ravale la femme au rang d’ob­jet et de vic­time ; qu’on abuse d’elle en uti­li­sant les par­ti­cu­la­ri­tés mor­pho­lo­giques qu’elle a héri­tées de notre pas­sé bes­tial ; que c’est une mons­truo­si­té d’in­fli­ger une péné­tra­tion à un être humain qui ne pour­ra pas vous le rendre, ni aujourd’­hui ni jamais. Voilà la théo­rie morale : elle ne contient ni extra­va­gances ni sophismes inédits. Le reste est, bien enten­du, affaire de choix de socié­té. On décide que, pour éman­ci­per l’homme et la femmes des hor­reurs inéga­li­taires du coït, et pour détour­ner au pro­fit de l’u­ni­té sociale nos dési­rs trop abon­dants, il faut impo­ser l’ho­mo­sexua­li­té de masse. Une légis­la­tion fon­dée sur ces prin­cipes répri­me­ra donc le crime de bes­tia­li­té, c’est-à-dire les actes hété­ro­sexuels. (Après quelques siècles de mises à mort, de psy­chia­trie et de pro­pa­gande sans relâche, on libé­ra­lise un peu, comme il se doit.)
Par ailleurs, en repre­nant l’a­pho­risme d’un illustre bio­lo­giste, on dira que l’a­dulte est seule­ment la forme que l’en­fant est contraint d’a­dop­ter pour se repro­duire. Et, si l’hy­giène fait que, au lieu de mou­rir peu d’an­nées après être tom­bés dans l’é­tat adulte, nous y vivons beau­coup plus long­temps que dans l’autre, nous ne devons pas oublier où se trouve le comble des per­fec­tions humaines : intel­li­gence, liber­té, inven­tion, socia­bi­li­té, esprit com­mu­nau­taire, gaie­té, bon­té, cou­rage, spon­ta­néi­té, géné­ro­si­té, dou­ceur, malice, richesse affec­tive, soli­da­ri­té, loyau­té, beau­té, etc., à savoir dans l’en­fance. Tout indi­vi­du de moins de treize ou qua­torze ans est donc le modèle de ce qu’il faut aimer après cet âge. Les adultes des deux sexes ont per­mis­sion d’in­fan­ti­li­ser leur per­sonne : notam­ment déco­lo­rer, bou­cler leurs che­veux, les rendre fins, soyeux et doux, se far­der pour avoir de grands yeux expres­sifs, de longs cils tendres, se rou­gir les pom­mettes et les lèvres pour affi­cher les cou­leurs du pre­mier âge, s’é­pi­ler le visage et le corps, se pon­cer la peau, la racler, la mas­ser, la hâler, amin­cie et assou­plir leur chair, se laver à lon­gueur de jour pour atté­nuer l’o­deur adulte, per­cher haut leur voix, la modu­ler dans tous les timbres, tré­pi­gner et hur­ler d’un ton sau­gre­nu, copier la jus­tesse, l’in­no­cence et la viva­ci­té des gestes enfants, des poses enfan­tines, des façons enfan­tines de se cou­cher, s’as­seoir, man­ger, regar­der, répondre, rire, pleu­rer, étreindre ; adop­ter des mimiques exces­sives ou menues, can­dides ou per­verses, bêtasses ou rêveuses, sen­suelles ou mutines : bref, cari­ca­tu­rer l’en­fance, comme les femmes seule­ment y sont contraintes dans notre socié­té à nous.
(Et on sait quel objet de désir elles sont quand elles y par­viennent bien ; quelles redou­tées ou délais­sées, au contraire, si elles ont l’air adulte.)
On se repro­duit par insé­mi­na­tion pla­ni­fiée, l’ho­mo­sexua­li­té étant (aucun savant ne nie­rait cela) un moyen de contrô­ler les nais­sances infi­ni­ment plus com­mode et sûr que les pilules de l’ouest ou des mar­teaux de l’est. Les enfants ne sont à per­sonne les adultes qui ayant accep­té de don­ner leur sperme ou de prê­ter leur uté­rus, gardent pour eux les enfants qu’ils ont faits, sont accu­sés d’in­fan­ti­cide et mis à mort. La stu­pi­di­té ani­male illustre qu’au­cun esprit ne peut pro­gres­ser dans un cercle aus­si étroit que celui des géni­teurs. Donc, si on veut épa­nouir un enfant, il faut qu’il soit libre d’al­ler où il veut, par­ler à qu’il veut, et qu’à tra­vers des cen­taines de ren­contres, de bavar­dages, d’as­so­cia­tions, d’i­ni­tia­tives, de risques, d’ex­pé­riences, d’hé­ber­ge­ments, d’a­mi­tiés avec des gens de tout âge, toute culture, tout lieu, toute race, tout métier, il puisse mettre son esprit à la mesure de la socié­té. Lui refu­ser cela, c’est l’as­sas­si­ner, en faire un cré­tin qui craint les autres, qui ne sait pas se gou­ver­ner, qui n’a­per­çoit pas les liens entre les choses, qui n’a aucune lumière sur la vie sociale et ne pour­ra four­nir aucune solu­tion juste aux pro­blèmes qu’elle pose, qui est figé dans la misé­rable occu­pa­tion à laquelle il s’ac­croche, et que toute dif­fé­rence, toute nou­veau­té rend méchant, tout objet rend pos­ses­sif, tout désir rend replié et sour­nois. C’est pour­quoi on assi­mile à des meur­triers (et un tel enfant vaut même moins qu’un cadavre) les adultes qui se livrent au crime de recons­ti­tu­tion de famille.
Une fois cette civi­li­sa­tion bien en place, elle admet qu’une mino­ri­té, inca­pable de s’é­le­ver jus­qu’à la pédé­ras­tie, pour­ra recher­cher libre­ment des plai­sirs hété­ros entre adultes, sans qu’il s’a­gisse d’un délit. Bien sûr, il fau­dra s’en cacher. Mais on recon­naît faci­le­ment les hété­ros : ça se sent. Lorsqu’ils vous regardent, il y a dans leurs yeux un mélange de honte, de dis­si­mu­la­tion et de convoi­tise, quelque chose de faux et de gêné. Sont-ils avec des hommes, ils n’ob­servent que les femmes qui passent – et, s’il s’a­git de femmes, elles dévi­sagent les mâles juste comme un mâle le ferait, mais avec un air moite et piteux. On rejette ces citoyens débau­chés ; s’ils vous accostent, on les dénonce, les inju­rie ou les cor­rige ; si deux d’entre eux se tiennent ensemble, on les moque, on les répri­mande, on les menace et les dissocie,on les met en qua­ran­taine, on les exclut du groupe. En dépit de cela, ils semblent mal à l’aise : aucune fran­chise en eux, aucune clar­té, aucun natu­rel, aucune rela­tion déten­due, ouverte et confiante avec autrui ; ils ne s’in­tègrent à rien.
Quand ils se ras­semblent dans leurs réduits spé­ciaux, ils paro­dient gro­tes­que­ment, les femmes, en se fémi­ni­sant, la coquet­te­rie des poules, les hommes, en se viri­li­sant, la lour­deur des gorilles. Ils ont besoin de ces tra­ves­tis pour se dési­rer, car ils ne sont même pas convain­cus d’être dési­rables les uns pour les autres. C’est aus­si leur haine mala­dive des normes homo­sexuelles, la peur panique qu’ils res­sentent devant les gens de leur sexe, qui leur ins­pirent ces dégui­se­ments, ces gri­maces, sans les­quels hommes et femmes se res­semblent trop : or hété­ro veut dire « autre », d’a­près le grec hete­ros (ils se servent du grec), et les voi­là à se fabri­quer des dif­fé­rences pour être sûrs qu’ils pra­tiquent bien leur vice et non l’a­mour nor­mal.
On ima­gine quelle indi­gence sexuelles, affec­tive et intel­lec­tuelle pro­duit cette obli­ga­tion de se fal­si­fier pour être cha­cun le pré­ten­du contraire de l’autre : comme des fous qui déci­de­raient, pour s’as­so­cier, de n’u­ti­li­ser l’un que sa jambe et son bras gauches, l’autre que sa jambe et son bras droits, bien qu’ils aient tous leurs membres.
Ces infir­mi­tés les rendent inaptes à com­prendre autrui (ils se ‚pré­tendent hété­ro­philes, mais l’autre leur paraît tou­jours effrayant et loin­tain) et à effec­tuer la plu­part des tâches col­lec­tives : car ils divisent tout ce qu’ils touchent. Parmi les objets, les idées, les sen­ti­ments, les actes, les plus malades dis­cri­minent même une part qui serait réser­vée à un sexe et une part qui serait des­ti­née à l’autre. Il suf­fit de quelques hété­ros non dépis­tés dans un groupe pour que l’or­ga­ni­sa­tion homo­sexuelle du tra­vail tombe en ruine, au déses­poir de cha­cun, jus­qu’à ce qu’on retrouve la cause et qu’on expulse les divi­seurs.
Ils mani­festent en géné­ral un grand mépris des enfants, et ont le réflexe bes­tial de vou­loir les domi­ner et se les appro­prier. Ils n’hé­sitent pas à leur don­ner des ordres, et même à les frap­per. Ces crimes, ces influences rendent les jeunes inca­pables d’a­gir de façon res­pon­sable dans la socié­té : on montre ici et là quelques tarés ser­viles, ignares et agres­sifs, qui furent autre­fois vic­times des hété­ros.
En contre­par­tie, leurs infir­mi­tés aident à les détec­ter pré­co­ce­ment. Voit-on, par­mi les enfants, un lou­bard qui n’aime rien, ne sent rien, tyran­nise les autres ou cher­cher mania­que­ment à leur obéir, une fillette qui fait les éva­po­rées et des fautes d’or­tho­graphe, un rechi­gneur ou une mijau­rée qui ne s’ac­couplent jamais à per­sonne, aus­si­tôt un exa­men psy­cho­lo­gique per­met d’en connaître la rai­son, qui heu­reu­se­ment n’est pas tou­jours aus­si affreuse que l’hé­té­ro­ma­nie. Car elle est ingué­ris­sable les chocs élec­triques ou la lobo­to­mie fron­tale la sup­priment, mais ils pro­voquent une déchéance men­tale défi­ni­tive : les malades en deviennent plu­tôt débiles qu’­ho­mo­sexuels véri­tables.
Pour évi­ter que les hété­ros invé­té­rés conta­minent la socié­té nor­male, on leur accorde quelques bars ou boîtes de nuit où ils peuvent se réunir. Toutefois, police et voi­sins les impor­tunent assez pour qu’ils aient peur de s’y rendre, les plus riches ou les plus débau­chés mis à part. On ratisse les lieux de ren­contre qu’ils impro­visent dans la ville : jar­dins, gares, hôtels borgnes, fêtes foraines. On a dû détruire quan­ti­té d’u­ri­noirs publics parce que, pro­fi­tant de l’a­no­ny­mat et de la rapi­di­té des pas­sages, hommes et femmes hété­ros y voyaient un moyen effi­cace et sans risques de se ren­con­trer, de se recon­naître, de s’ex­hi­ber les uns aux autres leurs organes sexuels, et même d’as­sou­vir leurs appé­tits trop long­temps réfré­nés. Quel citoyen nor­mal choi­si­rait de réfu­gier ses plai­sirs dans un endroit aus­si dégoû­tant ? Mais les hété­ros ont per­du toute digni­té, n’im­porte quelle solu­tion les contente, tout expé­dient les attire, et même, plus le moyen est pré­caire, abais­sant et mal­propre, plus il les délecte.
La police envoie, dans les uri­noirs qui res­tent en place, des pro­vo­ca­teurs qui font sem­blant d’être hété­ros. Cela per­met d’emprisonner quelques per­vers : puis­qu’au­cune loi ne condamne leur exis­tence, il faut bien inven­ter d’autres moyens de les sou­mettre à la jus­tice. L’Intérieur s’y emploie.
Bien sûr, on leur inter­dit de s’af­fi­cher ensemble, l’exemple serait trop dan­ge­reux pour la jeu­nesse. Et le spec­tacle de ces hommes pre­nant des femmes par la main ou le cou sou­lè­ve­rait le cœur des pas­sants. Il y aurait vite une rixe, un trouble, une bagarre. Certes, ils peuvent cir­cu­ler dehors, et mêmes à deux s’ils y tiennent : en effet, s’ils ne se regardent pas, ne se touchent pas, ne s’embrassent pas, évitent toute parole et tout geste équi­voques, ils n’ont pas de repré­sailles à redou­ter. Cette contrainte minime ne pèse sur eux que de leur enfance à leur mort : et cepen­dant elle les rend fourbes, et obsé­dés d’é­treintes, de tri­po­tages. Ils n’y mettent aucun égard et, loin de pra­ti­quer cette cour aimable et ces ten­dresses dont l’a­mour homo­sexuel orne si joli­ment nos bancs publics, nos cafés, nos métros, les hété­ros se jettent les uns sur les autres comme des ani­maux. Dieu mer­ci, c’est en cachette.
Dès les pre­miers temps de la vie, dès les pre­mières per­sonnes qui se penchent sur le ber­ceau des nou­veau-nés, qui les caressent, les mas­turbent, cha­touillent leur anus incon­trô­lé, on donne aux enfants l’ha­bi­tude des contacts homo­sexuels. Il faut être vigi­lant, et ne rien ména­ger pour que leur éro­tisme puisse sur­mon­ter la génia­li­té bes­tiale. On leur parle de leur corps, de leur beau­té, on leur fait appré­cier la dou­ceur des mots obs­cènes, o les mélange à beau­coup de citoyens de tout âge afin qu’ils s’ac­cou­tument à la plu­ra­li­té et à déter­mi­ner eux-mêmes les com­pa­gnies qu’ils pré­fèrent. Toutefois, s’ils paraissent s’at­ta­cher trop à des repré­sen­tants de l’autre sexe, on brise au plus vite ces ami­tiés dan­ge­reuses.
Plus tard, il s découvrent que les plai­sirs homo­sexuels sont le ciment de toute har­mo­nie et de toute acti­vi­té. On les met sévè­re­ment en garde contre les rela­tions exclu­sives de couple, sur­vi­vance anti­so­ciale de l’hé­té­ro­ma­nie, vice nar­cis­sique et bor­né. On les habi­tue à mêler le plai­sir amou­reux aux cir­cons­tances col­lec­tives où la vie les place, tra­vail, culture, loi­sirs. Chaque année, on récom­pense (éloges, bon­bons, cou­ronne de roses) les enfants qui ont fait l’a­mour avec le plus grand nombre de citoyens (dont une pro­por­tion équi­table de par­te­naires laids, infirmes ou gâteux), et don­né par là à cha­cun l’exemple d’une par­faite adap­ta­tion de leur sexua­li­té au devoir civique. Ainsi, il ne vient à per­sonne l’i­dée immonde de pri­va­ti­ser le sexe, de se refu­ser à autrui ou de res­ter chaste.
On pré­vient les enfants contre les ridi­cules de la viri­li­sa­tion et de la fémi­ni­sa­tion ; on leur dit quelle déchéance les menace s’ils deviennent hété­ros, quelle infé­rio­ri­té, quel iso­le­ment. On leur apprend à recon­naître les per­vers et déjouer leurs invites. Du pre­mier mot qu’ils entendent et jus­qu’à l’âge adulte, toutes les conver­sa­tions, tous les livres les jouets, les films et les des­sins ani­més, les jour­naux, toutes les bandes des­si­nées, les émis­sions télé­vi­sées, les publi­ci­tés, tous les ensei­gne­ments de toutes les dis­ci­plines incitent les jeunes à l’ho­mo­sexua­li­té et leur font mépri­ser et haïr l’in­verse.
Les adultes, quant à eux, abordent par­fois la ques­tion sca­breuse des « mino­ri­tés sexuelles ». Il faut savoir en par­ler. Certains se flattent d’a­voir des amis hété­ros, mais cette affec­tion de tolé­rance leur sert sou­vent à dégui­ser leur propre per­ver­sion. En contre­par­tie, c’est sur l’ho­mo­sexua­li­té et la pédo­phi­lie que res­tent cen­trée, là encore, toute la com­mu­ni­ca­tion humaine : livres, films, télé­vi­sion, radio, jour­naux, uni­ver­si­té, sciences, phi­lo­so­phie, sexo­lo­gie, pho­to­gra­phie, pein­ture, sports, docu­ments sur les chefs d’État, les grands hommes et grandes femmes, inter­views, théâtre, mime, por­no­gra­phie, la mode, les jeux, les vacances, la phi­la­té­lie, la gas­tro­no­mie, la reli­gion, l’é­le­vage des puces, l’art offi­ciel et les recherches mar­gi­nales. Grâce à quoi les membres de cette socié­té auraient peine à trou­ver dans leur esprit ou dans leur corps la plus infime trace de désir pour le sexe oppo­sé, et sont donc una­ni­me­ment convain­cus que l’ho­mo­sexua­li­té est dic­tée par la Nature – celle du genre humain.

Je ne serai donc pas hôte d’en­fant – pas plus que je ne sau­rais être père, mère ou péda­gogue. On ne s’oc­cupe pas d’en­fants quand on évite, quand vous évite, la socié­té à laquelle ils dési­rent pas­sion­né­ment appar­te­nir. Ce n’est pas là un obs­tacle qui arrête les pro­créa­teurs, et le der­nier des parias fait ses mioches comme les autres. Mais je ne pro­crée pas les enfants aux­quels je m’ac­couple : je suis, par consé­quent, tenu à des res­pects dont les parents n’ont pas sou­ci. Respects stu­pides : la demande d’ordre et d’é­du­ca­tion, de normes, de bou­che­rie, vient des enfants même, d’où qu’ils sortent. Car ils veulent deve­nir aus­si humains que nous, les monstres.
Mon âge mûr aura peut-être moins de scru­pules que moi. Et si mes pires ten­dances s’obs­tinent, si, vieillis­sant, je me résigne à tout, je pren­drai un pri­son­nier et je lui joue­rai les pères. Il est nor­mal, paraît-il, d’ac­cueillir cette déchéance comme une béné­dic­tion. Mais je ferai l’a­mour à mon pupille, et je m’im­po­se­rai un sacri­fice que les parents désexués ne font pas : j’empêcherai qu’il me res­semble. J’aime ma vie, je m’y tiens, je pré­fère habi­ter ma tête qu’au­cune autre : ce que je suis, ce que je fais ne vaut cepen­dant pas mieux que le contraire – et a l’in­con­vé­nient, par­fois sen­sible, de m’é­car­ter de tout le monde. Le pre­mier devoir des hommes, affirme-t-on, est d’être heu­reux. J’ai pris le pire che­min pour y par­ve­nir : ce n’est pas que je le regrette, mais je n’o­se­rais tirer per­sonne avec moi.
Cet enfant, je favo­ri­se­rai d’a­bord tout ce qui peut le rendre moyen, ordi­naire. Qu’il ait les goûts les plus répan­dus, les loi­sirs les plus plats, les réac­tions les plus com­munes ; qu’il apprenne à lire en déchif­frant les publi­ci­tés des maga­zines ; qu’il réflé­chisse peu et qu’il ne pense rien.
Dès le plus jeune âge, je l’as­soi­rai devant une télé­vi­sion. Le reste du temps, je le met­trai dans la com­pa­gnie de ses petits contem­po­rains qui, sou­mis à l’in­fluence d’a­dultes hono­rables, lui diront les bons mots d’ordre et lui don­ne­ront une conscience juste de ce qu’il faut dési­rer être. Qu’il en devienne bigot ou com­mu­niste, ama­teur de gou­rous ou de règles de cal­cul, cela m’est égal, il sera du bon côté. Comme je ne serai pas capable de me bri­der moi-même, je lui mon­tre­rai au moins com­bien ce que j’ai choi­si est ridi­cule et nui­sible. Je l’en­cou­ra­ge­rai à me per­si­fler, à cra­cher sur la moindre chose que je touche ou que j’ad­mire. Et, en étant pour lui un exemple vivant des lai­deurs et des sou­cis de l’in­dis­ci­pline, j’en ferai un homme plus nor­mal, plus moyen qu’au­cun père nor­mal et moyen ne sau­rait faire de ses enfants.
Il n’y aura pas de vice, de bizar­re­rie, de curio­si­té dont il ne constate chez moi la consé­quence, et qui ne lui ins­pire une extrême répul­sion. Chaque fois qu’il aura ten­dance à s’é­car­ter de la norme, il pen­se­ra à moi, à mes ennuis, à mes manques, à ce qu’on dit de moi, à mes livres infects, aux bon­heurs dont je suis pri­vé et aux futi­li­tés dégoû­tantes qui m’ob­sèdent. Il appren­dra à ne pas confondre mes licences avec la liber­té, mes ano­ma­lies men­tales et l’in­tel­li­gence, mes plai­sirs et le plai­sir. Il devien­dra ain­si l’en­fant de mes voi­sins, de ma concierge, du poli­cier qui veille au car­re­four ; l’en­fant des émis­sions radio­pho­niques, des chan­son­nettes et des jour­naux de masse ; l’en­fant des méde­cins et des ins­ti­tu­teurs, des mémères de l’État ; l’en­fant des autres enfants. Et cette com­bi­nai­son d’élé­ments favo­rables, en le pla­çant juste au milieu des valeurs moyennes, lui ouvri­ra tout accès au bon­heur.
S’il renâcle, je lui impo­se­rai de force cet épa­nouis­se­ment que, dans sa véri­table famille, il n’au­rait peut-être pas eu : j’ai à faire absoudre ma pédé­ras­tie, et ce sera en démon­trant qu’elle peut trans­mettre et ensei­gner les normes mieux que la pater­ni­té même. Car les gens nor­maux sont si convain­cus de l’u­ni­ver­sa­li­té de leur vision du monde qu’ils font par­fois trop peu pour en conta­mi­ner leur pro­gé­ni­ture. Ainsi de mes propres parents. S’ils avaient su quelle inlas­sable construc­tion pro­duit les adultes équi­li­brés, matu­rés, adap­tés, ils ne m’au­raient pas lais­sé si sou­vent seul. Car j’ai écou­té mes caprices, dès l’âge le plus tendre j’ai obéi, je me suis atta­ché à une infi­ni­té de choses que je décou­vrais par hasard et je m’y suis plu, en res­tant sourd à ce qui aurait dû m’en écar­ter, en fai­sant de mes vilaines curio­si­tés, de mes jouis­sances obs­cu­ran­tistes, des vices irré­sis­tibles que les meilleurs thé­ra­peutes seraient désor­mais en peine d’é­li­mi­ner sans me détruire avec. Évidemment, je ne reproche rien à ceux qui m’ont édu­qué : leur sys­tème était rigou­reux, conforme, et, s’il avait été appli­qué sans relâche, il aurait pro­duit le meilleur effet. Tandis qu’il n’a même pas réus­si à me faire ache­ter une voi­ture ou aimer le haschisch, choses que le plus mal­adroit des pères sait obte­nir de ses fils aujourd’­hui. Mais il y eut trop de blancs, trop d’heures sans contrôle ; je savais trop bien m’in­té­res­ser à moi ; et comme j’é­tais, de loin, le ben­ja­min des enfants, on me cré­di­tait fâcheu­se­ment d’un inno­cence dont j’é­tais pour­tant le seul à être dépour­vu. Le résul­tat, par exemple, c’est qu’au moment où l’un des grands subis­sait l’hu­mi­lia­tion d’a­va­ler chaque soir à table des gouttes contre la soli­tude, moi, l’in­soup­çon­nable, l’im­berbe, l’im­pu­bère, je me bran­lais seule­ment les jours où je n’en­cu­lais pas.
Une fois pris ce pli de per­ver­sion, je l’ai peu à peu éten­du à tout ce qui m’at­ti­rait, choi­sis­sant tou­jours de tra­vers, et pas même pour tirer de cette rare­té des pres­tiges, accé­der plus tard à la classe domi­nante, mais pour jouir, car c’est la seule chose que mon pauvre crâne rava­gé d’or­gasmes était encore capable de res­sen­tir. Tel fut l’ef­fet de la bonne opi­nion qu’on a eue de moi, des soli­tudes qu’on m’a lais­sées, de l’é­cart où ma famille, très ren­fer­mée, se tenait des autres, et la confiance exces­sive qu’on avait dans l’ordre des choses.
Que puis-je faire de moi main­te­nant ? Même mes rai­son­ne­ments d’a­dulte me confirment dans les choix que fit pour son usage l’en­fant que j’é­tais. Pourtant, son âge le pri­vait de tout dis­cer­ne­ment, il ne pou­vait qu’a­voir tort. Si je pense comme lui, c’est donc qu’il a déna­tu­ré ma cer­velle. Il a fait de moi un maniaque qui repro­duit ses gestes et ses appé­tits : un attar­dé sexuel, un homme qui n’é­pouse pas, qui pré­fère cares­ser les mioches que d’en pro­créer, un aveugle qui n’a jamais connu la beau­té des seins, des barbes, des patries, des usines. Je res­te­rai jus­qu’à ma der­nière heure le pan­tin de ses idées, de ses pas­sions ; et, si on m’au­top­sie, on ne trou­ve­ra que ce gnôme imbé­cile, contre­fait et avide qui me tyran­nise depuis vingt ans et plus, et qu’au­cun témoin de bon sens ne juge­rait humain. Il s’est trom­pé en tout : pas une seule fois, il n’a su m’at­ta­cher à une chose que cha­cun appré­cie ou approuve. Il n’y a qu’un objet nor­mal qu’il m’ait fait aimer, en somme, ce sont les gar­çons – puis­qu’une moi­tié de l’hu­ma­ni­té les recherche et les désire, et je ne pour­rais certes pas en dire autant des autres choses qui me plaisent. Seulement, pour une fois qu’il adop­tait un objet esti­mable, il a oublié que cet objet était recom­man­dé à un autre sexe que le sien : il n’a donc su être nor­mal qu’au prix d’une ano­ma­lie pire que toutes. Voilà le monstre qu’on a lais­sé deve­nir moi.
Il est vrai que, dans ces années-là, la socié­té n’é­tait pas encore bien pétri­fiée, bien tota­li­taire ; elle flot­tait un peu entre les vieille­ries bour­geoises et le pro­grès ; on appli­quait des règles d’a­vant-guerre à une époque qui était le début d’au­jourd’­hui. C’est sans doute cette dis­sy­mé­trie qui aura ren­du si effi­caces cer­taines édu­ca­tions. Ce n’est plus à craindre main­te­nant : la nou­velle socié­té est cohé­rente, elle n’i­gnore rien d’elle-même, elle tient toutes ses par­ties et sait les gou­ver­ner. Il suf­fit d’y trem­per n’im­porte qui pour qu’il devienne sem­blable à tous – avec l’heu­reuse illu­sion de n’être que lui – et qu’il agisse exac­te­ment comme tous – avec des rai­sons stric­te­ment per­son­nelles de le faire. Et c’est seule­ment dans les familles trop repliées, trop ana­chro­niques, auto­ri­taires ou pauvres qu’on fabrique encore quelques anor­maux. La famille de demain, ouverte et bien sub­ven­tion­née, ne connaî­tra pas ces ratages de la repro­duc­tion.
Voilà pour­quoi si j’é­du­quais un mioche, je tâche­rais non de l’en­fer­mer, mais de le répandre ; non de le contraindre, mais de lui accor­der toutes les liber­tés, pour­vu qu’il les exerce, évi­dem­ment, par­mi ses sem­blables les plus confor­mistes ; et de l’a­ban­don­ner à toutes les influences, à condi­tion qu’elles aient, comme les pro­pa­gandes élec­to­rales télé­vi­sées, une impor­tance pro­por­tion­nelle à la quan­ti­té d’in­di­vi­dus que cha­cune repré­sente. La seule chose que je lui inter­di­rais, c’est de recher­cher l’i­so­le­ment, de se pré­fé­rer aux autres, de culti­ver un goût, un désir, une exi­gence, une rêve­rie, une révolte, une ori­gi­na­li­té qui ne soient pas majo­ri­taires. Et si j’a­per­ce­vais qu’il y a en lui, venue de je ne sais où ( sans doute d’une manie pré­coce), la force de s’op­po­ser à autrui, j’i­rai le noyer aus­si­tôt.
C’est qu’il s’a­git du plus grave : ses chances d’être heu­reux. Au nom de cela, je juge­rai que chaque sin­gu­la­ri­té d’es­prit, de com­por­te­ment, chaque fan­tai­sie non deman­dée, chaque ini­tia­tive non pro­vo­quée, chaque hési­ta­tion devant les véri­tés utiles équi­vau­dra à un can­cer, une lèpre, une para­ly­sie, un chancre, une atro­phie d’un organe ou d’un membre : et tout cela se déve­lop­pe­rait sur mon élève jus­qu’à l’heure où, défi­gu­ré, informe, repous­sant, suin­tant de pus et grouillant de virus, il serait jeté au rebut. Quant quel­qu’un souffre d’un mal incu­rable, c’est une chose juste, s’il le désire, de lui don­ner la mort. Mon élève serait inca­pable de savoir quel enfer l’at­tend et com­bien l’eu­tha­na­sie vaut mieux : je le tue­rais quand même.