Donc, des phrases simples. Pour une raison simple : c’est qu’un terrain, c’est quand on parle, et que l’idée qu’on se fait de la parole, c’est que c’est moins compliqué que l’écrit, et du coup quand on la retranscrit, et qu’on s’aperçoit qu’entre les répétitions, les digressions et les hésitations, c’est incompréhensible, on te nettoie tout ça, on éclaircit, on purifie, pour aboutir à des phrases, je disais, simples, sympathiques – au fond, oui, c’est ça, sympathiques. Des phrases qu’on se verrait bien dire soi-même, illico, la lecture « silencieuse » se doublant d’une lecture à voix haute in petto (on s’entend lire ce qu’on lit), alors quelque chose de la distance de l’écrit, son côté toujours un peu pierre tombale, disparaîtrait, fondrait dans la sympathie de l’oral, les souvenirs scolaires mauvais, l’effort au déchiffrement, toutes les fois où on a buté parce que c’était difficile, envolés dans la fluidité d’un rapport cool au paragraphe, ou encore mieux, comme les objectivistes, comme cette poésie qui consiste à retaper des phrases orales déjà écrites en passant à la ligne souvent, sauf que les objectivistes ne retapaient pas des phrases sympathiques, au contraire ils retapaient les phrases de procès horribles, des témoignages plus insoutenables les uns que les autres, et comme pour qu’on les lise d’une traite, que rien ne nous échappe, et qu’on n’échappe à rien, ils avaient adopté cette méthode, qui consiste à ressaisir presque telles quelles des phrases terribles, si bien que l’effet, au bout d’un moment, c’est qu’on repose le livre, on ne peut plus continuer ce livre à la fois si facile à lire et insupportable, de telle sorte que je me demande si ce n’est pas le seul genre de phrases qu’on peut moralement récrire telles quelles, parce que sinon à quoi ça sert de récrire des phrases sympathiques pour les rendre encore plus sympathiques ? Voulez-vous être dans un livre comme dans des pantoufles ? Aimeriez-vous pantoufler dans ce bouquin ? Par ailleurs, on ne peut sans cesse jeter des seaux d’eau glacée à la tête du lecteur, ou du spectateur. Il faut, d’une certaine manière, lui avancer ses pantoufles, avant de lui mettre les pieds dans l’eau glacée. Cela, les objectivistes l’ont parfaitement compris.
Lu
Les anti-rép., eux, sont des artistes ; des artistes dramatiques, par exemple. Ils ne sont pas vêtus en tous-les-jours, ou leur mise est soignée, calculée : le noir et sa symbolique dominent ; c’est aussi une couleur qui affine, mincit, rend élégant. Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé. La capuche qui couvre leur tête et dissimule leur visage leur donne du mystère. Le prince d’Aquitaine à la tour abolie. Les choses qu’ils lancent les changent en danseurs. Ma seule étoile est morte. Les gestes qu’ils font appartiennent à une chorégraphie répertoriée, photographiée, archivée, montrée dans les musées. Et mon luth constellé. Cette danse morte et mille fois répétée, ce Lac des Cygnes de la révolte. Porte le soleil noir de la mélancolie. Ils ont quelques minutes pour la rendre vivante, pour qu’on y croie. Que les bénévoles sont lents et lourds, par rapport à eux, à nos danseurs !
La littérature est un bon complément pour compenser ce handicap ; ou mieux : la poésie.
La condensation et la composition à l’œuvre dans un certain genre de poésie permettent pour ainsi dire l’exposition (exhibition, en anglais) des capacités de son cerveau.
Comment peut-on penser tant de choses à la fois et si bien les compresser, et si bien les ordonner ? se demande-t-on parfois, à la lecture ou à l’audition de poèmes.
Quand Baudelaire écrit que « la poésie n’a pas d’autre but qu’elle-même », il veut dire qu’elle n’a d’autre but que celui de me rendre lisibles, c’est-à-dire visibles, les capacités de mon cerveau à moi, Baudelaire, délivrant une manière de certificat de bon fonctionnement
Sans doute lis-je Baudelaire via Valéry ; mais peut-on lire aujourd’hui Baudelaire autrement que via Valéry, puisque Valéry lui est postérieur ?
Chaque fois que j’aime un poème, j’admire les capacités du cerveau de son poète, et quand on admire un poète, ce sont les capacités de son cerveau qu’on aime ; ce sont les capacités de son cerveau avec lesquelles on souhaiterait avoir des rapports sexuels, par exemple (le cas échéant), pensant peut-être qu’elles se transmettront par le sperme ; ou par voie de contamination, à force de rester dans le voisinage du poète.
Que la folie et l’idiotie aient été thématisées à la fois dans les poèmes et dans les poètes (dans leurs vies) est bien entendu une preuve de ce qui précède. De cette hantise de ne plus pouvoir penser, de perdre les capacités de son cerveau.
C’est de cela précisément que parle Artaud dans les lettres à Rivière, directeur de La NRF, le prenant à témoin : voyez, je suis poète, et je ne parviens pas à saisir ma pensée.
Ce qu’on attend d’un poète, c’est qu’il puisse supérieurement saisir sa propre pensée et nous la rendre, sur le papier ou à l’oral. Et si, ce faisant, il en vient et nous en venons à constater que cette pensée n’est pas supérieure, et même un peu ordinaire, alors, qu’il exhibe au moins des choses bizarres et contournées.
Naturellement, quelqu’un comme Artaud fait sauter tout ça en sabotant la composition et en explosant la condensation. Le sabotage du composé et l’explosion du condensé moquent sévèrement la poésie particulière et la mettent au défi, c’est-à-dire au travail (espèrent l’y mettre).
Ici je pressens les petits-maîtres, les petits étudiants et les petits scolaires, les grands poètes, montrant, preuve à l’appui, que dans tel poème, tel texte ou telle phrase ou phrasé, Artaud n’a pas explosé le condensé ni saboté le composé.
Prouvez, ramez : on ne peut revenir sur ce qui a été acté.
Quelque chose a pris de mars à juin, c’est indéniable, je m’en souviens – car deux mois de plus ont suffi à donner à ce tiers de l’année le tour incertain du souvenir et de la « littérature ». C’est ce qui lave le mieux l’intensité politique, me dis-je en septembre, mois des romans et d’une panique légère à la perspective de ne pas y arriver (tout faire dans les temps).
Par Histoire, nous entendons les événements qui sont mis en récit (en histoires). On raconte que les récits ou filtrent forment une telle croûte par leur nombre qu’on n’aurait plus accès qu’à cette croûte, et que nous serions tous, tels que nous sommes, pris dans la croûte jusqu’à pourquoi pas être la croûte même. Le vocabulaire plante des points de capiton dans l’épaisseur comme Chemoule plante ses griffes dans ma tête le matin.
On ne déleste pas le vocabulaire pour un oui pour un non ; c’est lui qui nous fait ça.
Que des gênés aux entournures, et pas des révolutionnaires patentés, puissent à la fois foutre le zbeul et calculer leur rage, gérer un biz et calligraphier de la banderole, livrer des pizzas tout habillés de noir, covoiturer pour trente euros et faire des molotov (etc.), c’est une perspective.
en France, pays où chacun-chacune est ponctuellement capable de se changer en Compagnie républicaine de Sécurité le cas échéant, si besoin est, à l’occasion
Il est possible que l’habileté et la bonne humeur du nouveau gouvernement quel que soit le nouveau gouvernement, à condition qu’il soit cauteleux et assuré, forme enfin un adversaire compact et lisible, parce qu’il vient après les autres qui nous ont fatigués, parce qu’il parade sans retenue mais sans arrogance spéciale, n’ayant jamais à vaincre puisque toujours gagnant, et parce que de mémoire, qui n’est pas une mémoire d’homme, il n’a plus souvenir d’avoir vu ni entendu pour de vrai ces gens dont il pense que tant qu’ils auront des kebabs ils ne se révolteront pas. De fait, le motif de la faim est depuis si longtemps l’élément déclencheur du conte – on raconte encore qu’on a achevé 68 en remplissant les frigos vides, dans le Nord –, qu’on ne sait plus qu’on a décollé des têtes pour bien moins que ça, et avec le ventre plein.
Si dans notre effort pour rendre compte de Dieu nous utilisons uniquement des expressions littéralement vraies, il ne nous restera rien à soutenir excepté le fait de son existence.
Variations sur le sujet seul | Hic panis est corpus meum. (Hoc) Corpus meum est corpus meum. Substantia panis est corpus meum. Hic est corpus meum. Caro mea est cibus. |
Variations sur le verbe | Hoc fit corpus meum. Hoc mutetur (vel transubstantietur) in corpus meum. |
Variations sur le temps et le mode du verbe | Hoc sit corpus meum. Hoc erit corpus meum. |
Variations sur le prédicat | Hoc est corpus Christi. |
Variations liées à l’acte | Nutrio vos corpore meo. Haec est caro mea. |
Variations multiples, notamment, avec sujet non déictique et attribut non déictique | Panis est corpus Christi. |
Variations sur la référence temporelle du sujet | Quod fuit panis est corpus Christi. Quod erat panis vel vinum post consecrationem est corpus Christi. |
Sujet composé d’une préposition et d’un cas oblique | Ex pane fit corpus Christi. Ex pane factum est corpus Christi. De pane fit corpus Christi. |
Variations sur le verbe lui-même | Panis fit corpus Christi. Panis fit. Panis incipit esse corpus Christi. Panis est factus corpus Christi. Panis fiet corpus Christi. Panis factus est corpus Christi. Panis convertitur in corpus Christi. Panis mutatur in corpus Christi. Panis vertetur in corpus Christi. Panis transit in corpus Christi. Panis transubstantiatur in corpus Christi. Panis transubstantiabitur in corpus Christi. Panis transformabitur in corpus Christi. |
Variations sur le temps et le mode du verbe substantif | Panis fuit corpus Christi. Corpus Christi fuit panis. Quod est corpus Christi , fuit (erat) panis. Quod est panis, erit corpus Christi. Panis erit corpus Christi. Panis potest esse corpus Christi. Panis potuit esse corpus Christi. Panis poterit esse corpus Christi. Panis incipiet esse corpus Christi. |
Divers | Corpus Christi fit. Corpus Christi fit hic. Corpus Christi incipit esse. Panis potest converti a Deo. Pane fit corpus. |