Lorsque le style de vie est tom­bé aus­si bas que celui de la bour­geoi­sie tar­dive, tout ce à quoi une simple réforme archi­tec­tu­rale peut encore pré­tendre, c’est d’afficher le vide de son âme au lieu de le dis­si­mu­ler. Et c’est ce qui se passe dès qu’entre les fio­ri­tures et les sièges d’acier, entre les bureaux de poste style Renaissance et ceux en forme de caisses à œufs, l’i­ma­gi­na­tion ne trouve pas de troi­sième pos­si­bi­li­té. L’effet est d’autant plus gla­çant que le phé­no­mène nou­veau n’offre plus aucun recoin où se réfu­gier et qu’il n’est qu’un kitsch de la lumière ; même si les débuts du mou­ve­ment furent propres, propres comme l’aspirateur à pous­sière. Ce furent Adolf Loos en Europe et Frank Lloyd Wright en Amérique qui par­tirent les pre­miers en guerre contre l’abus épi­go­nal de l’ornement ; avec, certes, chez Wright, une haine mar­quée de la ville, sen­ti­ment sain en par­tie, mais dû aus­si à des vel­léi­tés anar­chi­santes, et avec, le désir de mor­ce­ler les métro­poles meur­trières en « home towns », en une « Broadacre City » où cha­cun aurait dix fois plus d’espace que de cou­tume. A l’inverse Le Corbusier prô­nait une « machine à habi­ter » hau­te­ment cita­dine ; avec Gropius et d’autres créa­teurs de moins grande enver­gure appar­te­nant au Nouveau Réalisme, il incarne cette espère d’art d’ingénieur qui tout en se pré­ten­dant pro­gres­siste, sombre si vite dans la stag­na­tion, et se voit si tôt voué à la fer­raille. C’est pour­quoi depuis plus d’une géné­ra­tion, ce style fait de meubles d’acier, de cubes de béton, de toits plats, reste hors de l’Histoire, suprê­me­ment moderne et ennuyeux, appa­rem­ment auda­cieux et fon­ciè­re­ment plat, plein de haine envers les fleurs de rhé­to­rique qu’il voit dans toute espèce d’ornement, et pour­tant pris au piège de son sché­ma­tisme plus encore que ne le furent jamais les tristes copies du dix-neu­vième siècle. Jusqu’à ce que fina­le­ment cela conduise, en France, à cette phrase pro­non­cée par un archi­tecte du béton, et non des moindres puisqu’il s’agit de Perret : « L’ornement cache tou­jours un défaut de construc­tion. » A côté de cela sub­siste pour­tant un désir mal avoué, et presque roman­tique, de clas­si­cisme, en par­tie à cause des formes géo­mé­triques, en par­tie aus­si à cause du repos qui consti­tue le pre­mier devoir du bour­geois, en par­tie enfin à cause d’un sen­ti­ment abs­trait d’humanité. Le pro­gramme de Le Corbusier, « la cité radieuse », cherche par­tout à créer une sorte de Paris grec (« Les élé­ments urba­nis­tiques consti­tu­tifs de la ville »), il voit dans l’Acropole l’œuvre d’une espèce d’esprit humain uni­ver­sel (« le marbre des temples porte la voix humaine »). Mais plus que jamais la Grèce devient ici abs­trac­tion pure, au même titre que « l’Etre humain » qui ne fait plus l’objet d’aucune dif­fé­ren­cia­tion et à la mesure duquel devaient se rap­por­ter les élé­ments de construc­tion de façon pure­ment fonc­tion­nelle. Même les plans d’urbanisme de ces inébran­lables fonc­tion­na­listes sont pri­vés, abs­traits ; « l’Être humain » y prend une telle place que dans ces mai­sons et ces villes les hommes de chair et d’os sont réduits à l’état de ter­mites stan­dar­di­sés ou, à l’intérieur d’une « machine à habi­ter », à l’état de corps étran­gers, encore trop orga­niques ; tout est cou­pé de l’homme réel, du chez soi, du bien-être, du Foyer (Heimat). Telle est la consé­quence inévi­table aus­si long­temps qu’une archi­tec­ture ne se pré­oc­cupe pas d’abord du sol mal­sain sur lequel elle doit s’édifier. Aussi long­temps qu’existent la « pro­pre­té » résul­tant de l’élimination et du manque d’idées, la séré­ni­té résul­tant de la poli­tique de l’autruche, quand ce n’est pas de la mys­ti­fi­ca­tion, et aus­si long­temps que le soleil d’argent qui veut briller par­tout n’est plus qu’une grande misère de chrome. Partout ici l’architecture est super­fi­cielle, per­pé­tuel­le­ment fonc­tion­nelle ; et aus­si trans­pa­rente soit-elle, elle ne laisse devi­ner aucune sub­stance, aucun conte­nu qui puisse s’extérioriser dans le fleu­ron de l’ornement.

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trad.  Françoise Wuilmart
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p. 348–349

Un des contes marins les plus vivants du Moyen Age, met exclu­si­ve­ment le cap sur cette île : il s’agit de l’expédition mari­time de saint Brandan. On a sur le navi­ga­teur lui-même, saint Brandan, des ren­sei­gne­ments his­to­riques : il était l’abbé-évêque d’un couvent irlan­dais et vivait au sixième siècle. C’était le temps des ermites de la mer, c’est-à-dire des moines qui fuyaient sur des îles désertes (comme les moines égyp­tiens fuyaient dans le désert) pour s’y consa­crer tout entiers à la contem­pla­tion. C’est ain­si que les îles Faerae et les îles Shetland furent décou­vertes, et il se peut que cer­tains évé­ne­ments réels soient à la base de la légende du voyage de saint Brandan. Mais bien plus riche est la nos­tal­gie uto­pique d’un on-ne-sait-où qui l’anime, lui et sa légende, bien plus exu­bé­rant y est le rêve d’une enclave de bon­heur qui n’aurait pas été entraî­née dans la chute géné­rale. La ver­sion de la légende que donne la Navigatio Sancti Brendani date du onzième siècle, mais la légende est en réa­li­té beau­coup plus ancienne. Elle s’est déve­lop­pée à par­tir d’un ser­mon du neu­vième siècle, connut ulté­rieu­re­ment un grand nombre de ver­sions dif­fé­rentes, fut tra­duite dans presque toutes les langues euro­péennes, et tint en éveil pen­dant des siècles l’idée d’une île para­di­siaque (cf. Babcock, Legendary Islands of the Atlantic. 1922. p. 34 sqq.). Le conte­nu en est un mélange d’histoire reli­gieuse et d’épopée ; une nuit. Brandan entend la voix d’un ange lui dire : « Dieu t’a don­né ce que tu cher­chais, la terre pro­mise. » Il équipe un bateau, fait voile quinze jours durant vers l’ouest de l’Irlande, trouve un palais plein de riches mets mais dont les hôtes sont invi­sibles, pour­suit sa route pen­dant sept mois dans une direc­tion non pré­ci­sée et trouve une île cou­verte d’innombrables trou­peaux de mou­tons. Au moment où l’équipage veut faire rôtir un de ces mou­tons, l’île sombre dans la mer : c’était le dos d’une gigan­tesque baleine dont le feu avait inter­rom­pu la sieste. Après toute une série d’aventures où pul­lulent les pois­sons veni­meux, les ser­pents de mer cra­chant le feu, et les oiseaux dia­bo­liques, et où appa­raissent même des voies d’accès à l’enfer, Brandan, arri­vé très loin dans l’Atlantique, ren­contre dans une île un vieil ermite qui connaît le che­min de la terre pro­mise. Apparaît alors un pré­dé­ces­seur de Brandan, Meruoc, qui avait entre­pris avant lui le voyage vers l’île pro­mise ; Brandan réus­sit à se cacher si bien qu’il peut vivre dans « la pre­mière terre d’Adam et d’Eve », c’est-à-dire, au para­dis ter­restre, en dépit de la malé­dic­tion. Un autre signe attes­tant l’approche du para­dis est l’Insula uva­rum, l’île du vin et de Bacchus, sur laquelle les marins passent qua­rante jours, après quoi ils char­ge­ront encore leur vais­seau de grappes de rai­sin avant de pour­suivre leur route. Brandan atteint l’île pro­mise où vivent des saints qui l’attendent, il réveille un mys­té­rieux géant qui dor­mait dans une caverne : les portes du para­dis ter­restre, qui s’étend au-delà de l’océan Atlantique des ténèbres, sont ouvertes. Après sept années Brandan et son équi­page de moines reviennent par les Orcades, et font le récit de leur décou­verte de la « Terre pro­mise des saints », cette Inde cou­verte de vignes et située à l’ouest, ou au-delà de l’ouest… Voilà pour le plus célèbre des contes de marins du Moyen Age chré­tien, et l’on crut fer­me­ment pen­dant des siècles à la réus­site de saint Brandan. La plu­part des villes han­séa­tiques célé­braient la fête du saint ; de 1476 à 1523 la légende des Fortunatae insu­lae Brantani et de leur décou­verte fut impri­mée treize fois en Allemagne ; un cher­cheur amé­ri­cain, C. Selmer, a même vou­lu voir un rap­port entre le nom de Brandenburg et les cultes de saint Brandan. L’île uto­pique est reprise sur la plu­part des cartes du Moyen Age et elle appa­raît encore en 1569 sur la carte de Mercator ; bien plus, au sei­zième siècle elle fut cédée le plus sérieu­se­ment du monde par le gou­ver­ne­ment por­tu­gais à l’aventurier Luis Perdigon, qui se pré­pa­ra tout aus­si sérieu­se­ment à la conqué­rir. Et en 1721 encore, une expé­di­tion par­tit de Santa Cruz, dans l’île espa­gnole de Ténériffe, afin de trou­ver la Ila de San Borondon. Ce qui reste curieux dans tout cela, c’est l’enchevêtrement de la légende et de la tra­di­tion ori­gi­naire d’un milieu uto­pique non chré­tien, tout à fait étran­ger à l’île des Bienheureux. Que l’on y trouve des emprunts à la lit­té­ra­ture popu­laire arabe de la même époque, n’a rien de sur­pre­nant ; la baleine qui plonge dans la mer lorsqu’on allume un feu sur son dos, appa­raît dans le conte de Sindbad sous la forme d’une pieuvre mons­trueuse. Mais d’autre part toute l’érudition clas­sique des cou­vents irlan­dais consis­tait entre autres choses à recueillir les légendes mari­times antiques et à les ras­sem­bler, ce que Plutarque avait été le seul à faire. Il s’agit des légendes rela­tives à l’île des Bienheureux appa­rais­sant comme île de Saturne (île de Cronos) et située dans la « mer Cronique » autour des îles bri­tan­niques. Plutarque rap­pelle ces légendes aus­si bien dans son trai­té « Sur le visage qui est dans la lune » que dans son entre­tien inti­tu­lé : « Sur la ces­sa­tion des oracles ». Nous avons déjà signa­lé que les Colonnes d’Hercule s’étaient d’abord appe­lées « Colonnes de Saturne », c’est-à-dire de Cronos ; or dans un texte où il parle de Saturne et de l’Age d’or, Plutarque décrit des îles saintes, situées à proxi­mi­té des îles bri­tan­niques et dans les­quelles habitent les âmes des héros, tout par­ti­cu­liè­re­ment dans celles « où le souffle de l’air est doux et où som­meille Cronos-Saturne, enfer­mé dans une caverne pro­fonde, sous la garde de Briarée » (Briarée, puis­sant dieu marin aux cent bras, était comme Cronos un des fils d’Uranus). Or ce Saturne endor­mi repa­raît dans le voyage de saint Brandan en la per­sonne du géant que le saint réveille dans sa caverne, et de toute manière les « pro­diges de la mer Cronique » se repro­dui­saient dans l’île de l’Age d’or. Mais à la longue la mer bri­tan­nique ne put plus être conser­vée comme empla­ce­ment du para­dis ter­restre ; un cli­mat plus doux et une mer plus aisé­ment pra­ti­cable finirent par l’emporter sur elle. C’est ain­si que l’île de saint Brandan n’a ces­sé depuis le qua­tor­zième siècle de glis­ser tou­jours plus au sud, en direc­tion des îles Canaries. Sur son célèbre globe ter­restre, des­si­né en 1492, Martin Behaïm déplace l’île à ce point vers le sud, qu’elle en vient presque à se trou­ver à la lati­tude du cap Vert : « C’est l’île, dit-il, dans laquelle saint Brandan a accos­té en 565 et qu’il a trou­vée pleine de choses mer­veilleuses. » A ce sujet Alexandre de Humboldt remarque avec une froide pré­ci­sion (Kritische Untersuchungen. 1852.1, p. 410) que le dépla­ce­ment constant de cette île introu­vable alla de pair avec les pro­grès des sciences de la navi­ga­tion, pro­grès dus au com­merce dans le bas­sin médi­ter­ra­néen. En même temps tou­te­fois venait s’ajouter le tabou propre au para­dis per­du : celui qui ne le rend acces­sible, dans la légende de saint Brandan. qu’aux seuls saints : l’île de saint Brandan devint ain­si non seule­ment une île errante de la car­to­gra­phie, mais aus­si une île en soi indé­ter­mi­nable qui. en tant que telle, ne peut jamais être aper­çue que de loin. Cette croyance était en par­tie étayée par des obser­va­tions faites à par­tir des îles Canaries : on s’imaginait là-bas voir de temps à autre une terre mon­ta­gneuse à l’horizon, en direc­tion du sud-ouest, sans qu’on eût d’ailleurs jamais réus­si à l’atteindre. Comme le note Humboldt, l’historien des îles Canaries Viera a trans­mis d’amples infor­ma­tions au sujet de toutes les ten­ta­tives qui furent entre­prises de 1487 à 1759 pour accos­ter dans l’île que l’on croyait aper­ce­voir à l’horizon. On aper­çut aus­si le mirage plus au nord, en divers endroits, ain­si que des Açores ; Colomb connais­sait les récits rela­tifs à cette île, presque qua­rante ans avant son voyage, comme il l’indique dans son jour­nal en 1492. Dès l’instant de la pre­mière obser­va­tion, on conclut à l’apparition de l’île de saint Brandan ; l’inaccessibilité de la terre entre­vue ne réus­sit pas à détruire la ferme croyance que l’on avait de son exis­tence, mais sem­blait au contraire la confir­mer. Ajoutons que le pen­dant de cette île se retrouve en Chine, où la légende donne sur elle encore plus de détails, ce qui prouve que l’île éva­nes­cente des Bienheureux, cette terre du bon­heur ou du Graal réser­vée au seul méri­tant, consti­tue sinon une fable iti­né­rante, du moins un arché­type très répan­du, dépas­sant les limites du temps et de l’espace. La géo­gra­phie mora­li­sée chi­noise men­tionne l’existence des îles bien­heu­reuses dans le golf de Pechili ; les aper­çoit-on de loin, elles res­semblent à des nuages ; s’en approche-t-on, le vais­seau est repous­sé par les vents ; réus­sit-on mal­gré tout à les atteindre, elles dis­pa­raissent dans la mer ; quant aux navi­ga­teurs qui ne sont pas appe­lés à y abor­der, ils rentrent phy­si­que­ment amoin­dris. Au quin­zième siècle, l’île pré­su­mée de Brandan ne fit plus l’objet de sup­pu­ta­tions théo­lo­giques. mais elle res­tait l’île que l’on n’aperçoit que de loin et la terre enchan­tée qui ne cesse de sur­gir der­rière l’horizon. La légende se main­tint, alors que depuis long­temps déjà, les regards glis­saient vers l’orient, là où la Bible situait le para­dis ter­restre. Vers l’est géo­gra­phique aus­si, et non plus seule­ment vers cet orient dont la conno­ta­tion était magique — comme chez saint Brandan — vers l’Asie d’où étaient venus les trois Rois mages. Et où ce que l’on enten­dait par île de saint Brandan ne serait plus un îlot iso­lé, mais — selon une légende tout aus­si tenace — un Etat tout entier, patrie de la féli­ci­té. C’est ain­si que la pro­messe de saint Brandan se vit trans­po­sée dans tout son éclat sur le conti­nent asia­tique, dans un gigan­tesque royaume, inac­ces­sible lui aus­si, bien que pour d’autres rai­sons, et sur lequel nous allons main­te­nant tour­ner nos regards : le royaume de Saturne et du Christ, celui du « Prêtre-Jean ».

Du reste ni les mar­chands ni les che­va­liers ne se sou­ciaient de se reti­rer dans une île iso­lée. Ce qu’ils recher­chaient, c’étaient des tré­sors et de vastes terres pro­duc­trices d’étain, or ce n’est pas dans un quel­conque royaume des morts qu’on pou­vait trou­ver les uns et les autres, mais sur la route du Saint-Sépulcre, et au-delà. Quelques décen­nies après la prise de Jérusalem, la puis­sance franque y était dan­ge­reu­se­ment mena­cée, la deuxième croi­sade avait échoué, une troi­sième fut pré­pa­rée dans l’inquiétude et l’incertitude. C’est dans cette atmo­sphère que, vers 1165, tom­bèrent trois mys­té­rieuses mis­sives pré­ten­du­ment expé­diées d’Asie par un puis­sant sou­ve­rain chré­tien. Il se fai­sait modes­te­ment appe­ler le Prêtre-Jean, van­tait dans un style altier et gran­di­lo­quent la puis­sance et les pro­diges de son Etat, le plus grand de la terre. D’après les lettres son royaume s’étendait à l’est « jusqu’au lever du soleil », et à l’ouest jusqu’à la tour de Babel. La puis­sance énorme d’un nou­vel allié sem­blait ain­si se dres­ser contre les Sarrasins, véri­table don du ciel, consti­tuant un second front à l’est. Les lettres étaient adres­sées au pape Alexandre III, à l’empereur Frédéric Barberousse et à l’empereur byzan­tin Manuel ; les deux empe­reurs semblent s’être défiés du mes­sage, le pape un peu moins, puisqu’il y répon­dit, quoiqu’un peu tar­di­ve­ment peut-être. Au Prêtre-Jean, sei­gneur des Indes et maître d’un royaume qui, comme le disait le mes­sage, entou­rait le para­dis ter­restre, il envoya un émis­saire spé­cial, puisqu’il s’agissait de son méde­cin per­son­nel Philippe, grand connais­seur de l’Orient ; une délé­ga­tion se mit en route vers ce qui n’était qu’un fan­tôme. Le texte de la réponse du pape est conser­vé, il est daté du 27 sep­tembre 1177 à Venise, douze ans après l’arrivée du mes­sage venu de l’Inde ; ces dates montrent que le cré­dit assez réduit que le pape avait d’abord accor­dé à l’existence du prêtre-roi, avait crû en même temps que gran­dis­sait la menace des Sarrasins. Pour le peuple, le Prêtre-Jean était une cer­ti­tude depuis long­temps déjà ; sa lettre avait été lar­ge­ment répan­due grâce à un grand nombre de copies ; elle fut tra­duite en fran­çais, en alle­mand, eh hébreu, et toute l’Europe s’inclina devant le nou­vel espoir offert par l’Asie. La réponse du pape était adres­sée au « Carissimo in Christo filio, illus­tri et magni­fî­co Indorum régi, sacer­do­tum sanc­tis-simo » ; mais Philippe, qui devait trans­mettre la lettre, n’eut même pas l’occasion de rap­por­ter que le pro­di­gieux royaume res­tait introu­vable, car il ne revint pas à Rome : l’expédition dis­pa­rut sans lais­ser de traces.

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trad.  Françoise Wuilmart
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p. 381–385

L’Inde, c’était pour le Moyen Age un concept bien vaste ; comme chez Pline déjà, elle s’étendait jusqu’au golfe du Tonkin, englo­bait même quel­que­fois l’Afrique orien­tale et l’Abyssinie, Marco Polo parie aus­si d’un sou­ve­rain perse, roi des Indes. Mais l’Inde s’affirma sur­tout comme incar­na­tion du mys­tère, comme patrie d’ineffables pro­diges géo­gra­phiques ; la nature sem­blait y être puri­fiée de toute bana­li­té, les rouages de la nature débar­ras­sés de tout grain de sable. L’impossible, qu’il soit de nature gro­tesque ou au contraire uto­pique, sem­blait y être deve­nu réa­li­té, comme dans ces tapis­se­ries du Moyen Age qui repré­sentent une licorne au milieu de forêts enchan­tées. On croyait à l’existence de mon­tagnes qui auraient été dépla­cées der­rière l’Indus et dont les pierres étaient des éme­raudes, la pous­sière du musc ; les fruits qu’y por­taient cer­tains arbres étaient des oiseaux, tan­dis que sur d’autres pous­saient des têtes humaines qui pleu­raient et riaient. Au dou­zième siècle cir­cu­lait un manus­crit attri­bué à saint Jérôme, qui par­lait des pierres pré­cieuses, de leurs ver­tus cura­tives et d’autres pro­prié­tés mira­cu­leuses, et ce livre débute de façon très carac­té­ris­tique par la des­crip­tion d’un voyage en Inde, après la tra­ver­sée de la mer Rouge (dont les mul­tiples dan­gers rem­placent ceux de l’épouvantable Atlantique); ce voyage se pour­suit jusque dans un uni­vers des plus fan­tas­tiques, atteint après toute une année de voyage, la patrie de l’escarboucle, des mon­tagnes d’or gar­dées par des grif­fons, de la grande four­mi man­geuse d’hommes, qui pen­dant la nuit déterre de l’or, des arbres qui poussent dans la mer, de la pluie de cuivre (cf. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, II, 1929, p. 238 sqq.). La source prin­ci­pale de la légende de l’Inde n’était autre, comme nous l’avons dit, que la tra­duc­tion et le rema­nie­ment médié­val du roman d’Alexandre, dû au Pseudo-Callisthène ; et contrai­re­ment à la renais­sance de l’Inde au dix-neu­vième siècle, les infor­ma­tions que conte­nait ce roman ne se réfé­raient abso­lu­ment pas à Bouddha et à l’ascèse, mais aux mons­truo­si­tés et aux extases de la quan­ti­té de mondes et de divi­ni­tés dont la légende hin­doue est si riche. Tout cela était venu se joindre à la légende d’Alexandre, pour for­mer quelque chose d’exorbitant, situé en dehors de tous les sen­tiers connus du monde. La lettre du prêtre-roi elle-même s’appuyait, croyait-on, sur la Nativitas et Victoria Alexandri Magni du prêtre Léon, datant de 950 envi­ron, mais sur­tout sur une lettre qu’Alexandre aurait écrite à Aristote (cf. Kleine Texte zum Alexanderroman, édi­té par Pfister, 1910, p. 21 sqq.) dans laquelle les ava­tars pro­di­gieux de Rama deve­naient un phé­no­mène quo­ti­dien pour tous les Macédoniens. Léon par­lait du voyage aérien d’Alexandre, de son expé­di­tion dans les pro­fon­deurs mari­times, il racon­tait aus­si l’histoire des arbres ora­cu­laires de l’Inde, d’un arbre de la lune qui par­lait grec, et d’un arbre du soleil qui par­lait indien ; toutes ces his­toires fan­tas­tiques furent grou­pées autour de l’expédition du roi en Orient. On retrouve beau­coup de rémi­nis­cences de tout cela dans la lettre du prêtre-roi, car un grand nombre de ces his­toires repa­raissent dans ce qui est un véri­table arse­nal de rêves et de contes de fées géo­gra­phiques défiant le quo­ti­dien. On y cite des hommes qui conjurent les dra­gons de l’air, les sellent, les brident et font de longues che­vau­chées sur leur dos, on y fait l’éloge de pierres pro­di­gieuses, qui réchauffent ou rafraî­chissent selon les besoins et éclairent la nuit tous les objets à cinq milles à la ronde, de pierres qui trans­forment de l’eau non bénite en lait ou en vin, de pierres qui amassent les pois­sons, appri­voisent les ani­maux sau­vages, embrasent de gigan­tesques feux, éteignent de gigan­tesques feux. La lettre du Prêtre-Jean (dont on pos­sède encore l’exemplaire des­ti­né à l’empereur Manuel) ajoute à tout cela des créa­tures pro­di­gieuses par­fai­te­ment incom­pré­hen­sibles, ren­ché­ris­sant sur l’absurdité tout comme sur la fas­ci­na­tion : « Moi, le Prêtre-Jean, Seigneur des Seigneurs, je sur­passe tout ce qui évo­lue sous le ciel en ver­tu, en richesse et en puis­sance. Septante-deux rois Nous paient tri­but… Notre magni­fi­cence règne sur les trois Indes, et Nos terres s’étendent jusqu’à l’Inde de l’autre côté, là où repose le corps du saint apôtre Thomas… Notre pays est la patrie et la demeure des élé­phants, des dro­ma­daires, des cha­meaux, du meta col­li­na­rum (!), du came-tem­nus (!). du tin­se­rete (!), des pan­thères, des onagres, des lions blancs et des lions rouges, des ours blancs, des mérules blanches, des cigales, des grif­fons muets, des tigres, des lamies, des hyènes, des che­vaux sau­vages, des ânes sau­vages, des bœufs sau­vages et des hommes sau­vages, des hommes à cornes et des hommes borgnes, des hommes avec des yeux devant et der­rière, des cen­taures, des faunes, des satyres, des pyg­mées, des géants hauts de qua­rante aunes, des cyclopes et des femmes de même aca­bit, de l’oiseau nom­mé Phoenix » (Oppert, Der Priesterkonig Johannes, in Geschichte und Sage, 1864. p. 36 sqq.). Ainsi tout le lot pro­di­gieux d’animaux et de pierres dont parlent les livres médié­vaux se trouve-t-il trans­po­sé du côté de l’Inde, dans le royaume du Prêtre-Jean, même les ours blancs du Grand Nord, dont on n’avait appris l’existence en Europe qu’au onzième siècle ; en revanche, l’éléphant blanc, que l’on ren­contre réel­le­ment en Inde, n’est pas mentionné,

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trad.  Françoise Wuilmart
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p. 386–388

Dans l’appendice spé­cu­la­tif de son Histoire natu­relle et Théorie du ciel, Kant vou­lait voir dans les pla­nètes les plus éloi­gnées un monde très avan­cé. D’après lui les régions « réel­le­ment bien­heu­reuses » ne se trou­ve­raient pas, comme Mars et la terre, à une dis­tance moyenne du soleil, mais dans le vaste éloi­gne­ment des pla­nètes exté­rieures. Il dis­tingue de la sorte Jupiter et Saturne : la den­si­té décrois­sante de la matière dans les deux pla­nètes, l’éloignement du soleil sem­blaient consti­tuer pour le phi­lo­sophe les fon­de­ments d’un monde pour ain­si dire plus pur. Semblable atti­tude laisse indé­nia­ble­ment trans­pa­raître l’idolâtrie du Nord, où Jupiter et Saturne prennent en quelque sorte la place de la Germania de Tacite. Une variante de l’utopie de Thulé y est recon­nais­sable aus­si dans une cer­taine mesure : non pas dans le style d’Ossian, mais sous la forme d’une Stoa dépla­cée dans l’arctique, d’une Stoa super­arc­tique. L’aversion authen­ti­que­ment kan­tienne pour la mol­lesse et le zéphyr, les sens qui fondent, le cli­mat sub­tro­pi­cal, l’absence de tout devoir émigre ain­si dans son super-Kônigsberg pla­né­taire. Et Kant risque même l’analogie sui­vante : « De Mercure jusqu’à Saturne ou peut-être même au-delà (si tant est qu’il y ait d’autres pla­nètes), la per­fec­tion du monde spi­ri­tuel aus­si bien que du monde maté­riel des dif­fé­rentes pla­nètes s’accroît et pro­gresse pro­por­tion­nel­le­ment à leur éloi­gne­ment du soleil » (Werke. Hartenstein, I, p. 338). Le Kant de la période pré­cri­tique ima­gi­nait ain­si un pen­dant des plus extra­va­gants à la for­mule new­to­nienne de la dimi­nu­tion de la pesan­teur selon le car­ré de la dis­tance ; ce qui veut dire que la dimi­nu­tion de l’attraction gra­vi­ta­tion­nelle cor­res­pon­drait à l’attraction crois­sante de la pure­té, confor­mé­ment au rêve de l’opposition entre la pesan­teur et la lumière spirituelle.

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trad.  Françoise Wuilmart
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p. 404–405

Le monde entier pour­rait être entiè­re­ment remo­de­lé si les puis­sances d’en haut le trou­vaient oppor­tun, et retour­né sur l’en­vers comme meules de foin pen­dant la mois­son, de haut en bas ou de bas en haut : comme nous retour­nons les pommes sur elles-mêmes devant le feu, ain­si le monde tourne sur son axe ; ce qui est actuel­le­ment sous le Pôle se retrou­ve­rait sous la ligne de l’é­qui­noxe, et ce qui est en zone tor­ride bas­cu­le­rait dans le cercle arc­tique ou antarc­tique, pour être à tour de rôle réchauf­fé par le Soleil ; ou s’il y a une infi­ni­té de mondes, et que chaque étoile fixe soit un soleil entou­ré de ses pla­nètes (comme Bruno et Campanella en concluent), trois ou quatre mondes se téles­co­pe­raient en un seul, ou alors un monde écla­te­rait en quatre nou­veaux, comme il plai­rait à ces puissances.

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trad.  Gisèle Venet
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p. 220

La soli­tude volon­taire est sou­vent com­pagne de Mélancolie : telle une sirène, un aiguillon ou un sphinx, elle vous entraîne dou­ce­ment vers ce gouffre sans retour. Le Pois la désigne comme une cause pre­mière. Au com­men­ce­ment, il est fort agréable aux tem­pé­ra­ments mélan­co­liques de res­ter au lit des jours entiers et de gar­der la chambre, de se pro­me­ner soli­taires dans un bos­quet désert entre un bois et une pièce d’eau ou au bord d’un ruis­seau, ou encore de médi­ter sur le sujet char­mant et plai­sant qui sau­ra le mieux les tou­cher ; ama­bi­lis insa­nia –[aimable folie et men­tis gra­tis­si­mus error –[erreur des plus délec­tables dit Horace : quel délice incom­pa­rable que de mélan­co­li­ser, de construire des châ­teaux en Espagne, de se sou­rire à soi-même en jouant une infi­ni­té de rôles que l’on croit fer­me­ment incar­ner ou que l’on voit jouer et interpréter !

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trad.  Gisèle Venet
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p. 166–167

Si un homme s’of­fense, qu’il jette le gant, je n’en ai cure. Je ne te dois rien (lec­teur), je n’at­tends de toi aucune faveur, je suis indé­pen­dant, je n’ai pas peur.

Non, je me rétracte, ce n’est pas vrai, cela me touche, j’ai peur, je confesse ma faute, je recon­nais ma très grave offense :

Motos praes­tat –[Apaisons d’a­bord la mer agi­tée, je suis allé trop loin, j’ai par­lé sot­te­ment et trop vite, de manière mal­avi­sée, absurde, j’ai fait l’a­na­to­mie de ma propre folie. Et voi­là que, sou­dai­ne­ment, j’ai l’im­pres­sion de m’é­veiller comme après un rêve ; j’ai eu une crise de délire, de fan­tasmes, je bat­tais la cam­pagne, j’ai insul­té la plu­part des hommes, j’en ai mal­trai­té cer­tains, offen­sé d’autres, je me suis fait du tort à moi-même ; et main­te­nant que j’ai recou­vré la rai­son et que j’en­tre­vois mon erreur, je m’é­crie avec Orlando, Solvite me –[Pardonnez-moi, par­don­nez, o boni –[ô mes bons amis, le pas­sé, et je ferai amende hono­rable dans le futur ; je vous pro­mets un dis­cours plus sobre dans le trai­té qui suit.

Si par fai­blesse, folie, pas­sion, mécon­ten­te­ment, igno­rance, j’ai par­lé de tra­vers, que cela soit oublié et par­don­né. Je recon­nais que Tacite dit vrai, Asperae face­tiae –[une plai­san­te­rie amère laisse der­rière elle un arrière-goût. Et comme le fai­sait remar­quer l’ho­no­rable Francis Bacon : si les hommes craignent l’es­prit du sati­riste, lui craint leur mémoire. Je peux à juste titre craindre le pire et, bien que j’es­père n’a­voir offen­sé per­sonne, j’im­plo­re­rai néan­moins votre par­don en emprun­tant les mots de Médée :

Illud jam voce –

Dans mes der­nières paroles, voi­ci ce que je désire : Que ce que j’ai dit sous le coup de la pas­sion ou de mon ire

Puisse être oublié, et que l’on garde de nous,

À l’a­ve­nir, un sou­ve­nir plus doux.

Je demande ins­tam­ment à chaque homme en par­ti­cu­lier, comme Scaliger le fit avec Cardan, de ne pas s’of­fen­ser. Je conclu­rai en le citant : Si me cogni­tum haberes –[si tu connais­sais ma modes­tie et ma naï­ve­té, tu me par­don­ne­rais aisé­ment ce qui est ici mal­ve­nu de ma part ou mal reçu de la tienne. Si, en dis­sé­quant cette sombre humeur, ma main a déra­pé, si, comme un appren­ti peu habile, j’in­cise trop pro­fond, je coupe à tra­vers la peau et, sans m’en rendre compte, la fais sai­gner, ou si je fais une entaille à côté, par­donne une main peu agile, un scal­pel peu pré­cis : il est très dif­fi­cile de gar­der un ton uni­forme, une méthode constante, sans faire par­fois un écart. Difficile est –[il est ardu de ne pas écrire une satire car il y a tant de diver­sions, tant de per­tur­ba­tions internes qui nous dérangent, et par­fois les meilleurs peuvent se trom­per ; ali­quan­do bonus –[par­fois l’ex­cellent Homere fait une sieste, il est impos­sible de ne pas aller trop loin lors­qu’il y a tant de choses à dire ; opere in lon­go –[durant un si long tra­vail, un court repos est per­mis. Mais qu’ai-je besoin de dire tout cela ? J’espère qu’il n’y aura aucune matière à offense ; s’il y en a, Nemo ali­quid reco­gnos­cat –[Que nul ne prenne ces choses per­son­nel­le­ment, il ne s’a­git que de fic­tions. Si qui­conque est offen­sé, je renie­rai tout, c’est là mon der­nier refuge, je me rétrac­te­rai, je démen­ti­rai tout ce que j’ai dit, et je m’ex­cu­se­rai avec autant de faci­li­té qu’il m’ac­cuse ; mais, gen­til lec­teur, je crois en ta bien­veillante appro­ba­tion et en tes bonnes grâces. C’est, par consé­quent, avec un espoir et une confiance ren­for­cés que je commence.

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trad.  Gisèle Venet
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p. 133–135

Faites donc vos objec­tions et ergo­tez autant que vous vou­drez, je me défen­drai de tout der­rière le bou­clier de Démocrite, son remède gué­ri­ra tout, où et à quelque moment que vous frap­piez. Democritus dixit – Démocrite répon­dra. Ceci fut écrit par un esprit léger, dans une période fes­tive, durant nos Saturnales ou fêtes de Dionysos, dans ces moments, selon Macrobe, nul­lum liber­ta­ti per­icu­lum est – [où il n’y avait pas de dan­ger à agir libre­ment et où les ser­vi­teurs de la Rome antique avaient le loi­sir de faire et de dire tout ce qu’ils vou­laient. Quant à moi, c’est alors que nos com­pa­triotes fai­saient des sacri­fices à la déesse Vacuna et buvaient assis autour d’un feu de joie que j’ai écrit et publié ce οΰτις ελεγεν – où rien n’a été dit, ou nemi­nis nihil –[ce rien des­ti­né à per­sonne. Le temps, le lieu, les per­sonnes et toutes les cir­cons­tances me servent d’excuse ; et pour­quoi donc ne pour­rais-je pas être d’humeur fes­tive avec d’autres, dire ce que je pense libre­ment ? Si vous me refu­sez cette liber­té, pour ces rai­sons mêmes, je la pren­drai. Je le redis : je la prendrai.

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trad.  Gisèle Venet
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p. 132

En conclu­sion, puisqu’il est avé­ré que le monde entier est mélan­co­lique, ou fou, qu’il est idiot, tout comme cha­cun des membres qui le com­posent, ma tâche est main­te­nant ter­mi­née, et j’estime avoir suf­fi­sam­ment illus­tré mon pro­pos ini­tial. Je n’ai à pré­sent plus rien à dire. His sanam men­tem Democritus –[Démocrite leur sou­haite de deve­nir sains d’esprit, et je ne peux que leur sou­hai­ter, ain­si qu’à moi-même, un bon méde­cin, et à nous tous un esprit meilleur.

Et bien que, pour les rai­sons sus­men­tion­nées, j’eusse juste cause d’aborder ce sujet, afin de mettre au jour ces formes spé­ci­fiques de délire, afin que les hommes puissent recon­naître leurs imper­fec­tions, et s’efforcent de réfor­mer ce qui ne va pas, j’ai pour­tant une inten­tion plus sérieuse désor­mais ; et, afin d’éviter toute digres­sion impor­tune, je ne dirai plus rien de ceux qui sont impar­fai­te­ment mélan­co­liques, méta­pho­ri­que­ment fous, ou légè­re­ment fous, ou qui sont par nature stu­pides, colé­riques, saouls, idiots, sots, moroses, orgueilleux, vani­teux, ridi­cules, insen­sés, obs­ti­nés, impu­dents, extra­va­gants, secs, gâteux, ennuyeux, déses­pé­rés, écer­ve­lés, etc., fous, déments, imbé­ciles, anor­maux, au point qu’aucun nou­vel hôpi­tal ne pour­rait les accueillir, aucun remède les aider […] 

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trad.  Gisèle Venet
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p. 130

Jamais il n’y a eu autant de sujets risibles qu’aujourd’hui, jamais autant de fous ni d’insensés. Actuellement, il n’y aurait pas assez d’un Démocrite pour accom­plir sa tâche, qui est de rire ; nous avons désor­mais besoin d’un Démocrite pour rire de Démocrite […]

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trad.  Gisèle Venet
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p. 102