La monar­chie dio­ny­sienne du Bien est donc fon­dée dans l’on­to­lo­gie augus­ti­nienne. C’est l’u­ni­ci­té de l’Être qui garan­tit l’u­ni­ci­té du Bien : il n’y a pas de mal suprême, parce qu’il n’y a qu’un Être. Le mal ne donne rien parce qu’il n’est rien. Seul l’Être est Principe. L’indissociabilité de l’on­to­lo­gie et de la théo­di­cée exprime la nature même de l’ordre de l’u­ni­vers. L’ordre du monde est l’ordre de l’Être. Le néant est dans le monde sans en faire par­tie. Il n’y a qu’un seul être qui se pro­digue. Il n’y a qu’une seule lumière. Les ténèbres ne recèlent rien et n’ont rien à mon­trer.

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« Ulrich de Strasbourg » La mys­tique rhé­nane
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p. 140

La divi­sion ori­gi­naire du mal dis­tingue le mal par soi, c’est-à-dire la pri­va­tion elle-même, et le mal par acci­dent, c’est-à-dire, le bien impar­fait, le bien en tant que pri­vé d’une cer­taine per­fec­tion. Le mal par soi, on l’a dit, se sub­di­vise en trois : le mal de nature, le mal de peine et le mal de coulpe. Le mal par acci­dent com­prend cinq espèces : le mal d’ac­tion (toute action cor­rup­trice est « mau­vaise »), le mal de défaillance ou défaut (l’ac­tion du péché, le « faillir », est « mau­vaise », qu’il s’a­gisse du défaut natu­rel ou du défaut de coulpe ou « péché » pro­pre­ment dit), le mal d’in­cli­na­tion (la pri­va­tion est la « méchan­ce­té de la matière », elle l’in­cline à la cor­rup­tion), le mal for­mel (la pas­sion est « mau­vaise »), le mal maté­riel (la matière en tant que pri­va­tion de la forme est « mau­vaise », l’homme en tant que sujet d’une pri­va­tion est « mau­vais »).

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« Ulrich de Strasbourg » La mys­tique rhé­nane
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p. 139

Les meilleures dési­gna­tion de Dieu ne sont donc ni les termes sym­bo­liques qui ne prennent sens qu’à être niés, ni les termes cau­saux qui dis­tinguent les effets plu­tôt qu’ils n’as­signent la cause. Les meilleures dési­gna­tions sont celles qui, à la fois, posent quelque chose en le niant et nient quelque chose en le posant. Ce sont ces « affir­ma­tions par excès » (cum exces­su) qui sont en même temps des néga­tions par défaut, qui visent la sur­abon­dance de la cause dans le défaut de l’ef­fet. Ces affir­ma­tions émi­nentes sont donc des néga­tions supé­rieures qui se trouvent au-delà même de l’op­po­si­tion entre affir­mer et nier, dire et ne pas dire : « Il est évident qu’au­cun nom […] ne convient pro­pre­ment à Dieu, à moins d’être signi­fié par excès, selon ce pas­sage de MT 6,11 : “Donne-nous aujourd’­hui notre pain super­sub­stan­tiel”. En effet, ce qui est dit ici c’est que Dieu n’est pas sub­stance mais super­sub­stance, ni essence mais super­es­sence, etc. Ces néga­tions ne s’op­posent donc pas à des affir­ma­tions, puis­qu’elles ne sont pas faites par rap­port à la même chose. »
Autrement dit : dire que Dieu est « super­sub­stan­tiel », ce n’est pas lui refu­ser le sta­tut de sub­stance pour la rai­son qu’il serait en défaut par rap­port à elle, c’est refu­ser Dieu à l’i­dée de sub­stance pour la rai­son qu’elle est en défaut par rap­port à lui (ou lui en excès par rap­port à elle). Donc, en disant que Dieu « n’est pas sub­stance », on ne dit pas qu’il lui manque quelque chose pour être sub­stance, mais plu­tôt qu’il manque quelque chose à la sub­stance pour être Dieu. Dire que Dieu « n’est pas sub­stance », c’est donc bien dire qu’il est au-des­sus d’elle : super­sub­stance, super­sub­stan­tiel. Cet énon­cé ne s’op­pose pas à l’é­non­cé affir­ma­tif : « Dieu est une sub­stance. » Il ne se confond pas non plus avec le simple énon­cé pri­va­tif : « Dieu n’est pas une sub­stance. » « En effet, l’es­sence, la sub­stance ou la vie sont affir­mées de Dieu du point de vue de la réa­li­té signi­fiée par le nom, laquelle est d’a­bord en Dieu puis, grâce à lui, dans les autres choses. Et ce que l’on nie, c’est que l’es­sence, la sub­stance ou la vie res­tent les mêmes une fois qu’elles ont revê­tu le mode d’im­per­fec­tion qui est le leur dans les créa­tures. Or, pré­ci­sé­ment, c’est en cet état qu’elles sont nor­ma­le­ment signi­fiées par les noms. Ceux-ci ne sont donc pas refu­sés à Dieu pour son imper­fec­tion, mais bien plu­tôt pour son émi­nence. »
La voie d’é­mi­nence est le cou­ron­ne­ment des voies anté­rieures.

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« Ulrich de Strasbourg » La mys­tique rhé­nane
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p. 108–109

La voie néga­tive s’en­tend comme pur­ga­tion, épu­ra­tion, cathar­sis du sym­bo­lisme, qu’il soit res­sem­blant ou dis­sem­blant. Les Saintes Écritures pro­posent une diver­si­té de sym­boles et de dési­gna­tions sym­bo­liques : « lion », « pierre », etc. Le tra­vail du théo­lo­gien, à la fois ana­go­gique et cathar­tique, consiste à moti­ver le signe en niant son adé­qua­tion. La voie néga­tive est donc cette démarche para­doxale qui per­met d’employer un terme au moment même où elle le nie : « Quand nous refu­sons (nega­mus) à Dieu les noms de « lion », de « pierre », disant qu’il n’est pas vrai­ment un lion ou une pierre – et pour­tant c’est ain­si qu’on l’ap­pelle dans les Écritures –, nous connais­sons qu’il y a en lui cer­tain fon­de­ment d’une per­fec­tion, dont la res­sem­blance appa­raît dans la créa­ture du nom de laquelle on le désigne. Ainsi, par le nom de « lion », nous pen­sons en Dieu le cou­rage invin­cible, par celui d”  »agneau », la man­sué­tude de la pitié, et ain­si de suite. »

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« Ulrich de Strasbourg » La mys­tique rhé­nane
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p. 106

Tout en s’ap­puyant sur la dis­tinc­tion dyo­ni­sienne des trois voies – néga­tion, émi­nence, cau­sa­li­té –, Hugues [Ripelin de Strasbourg] pro­pose une théo­rie de la contem­pla­tion fon­dée sur une noé­tique d’ins­pi­ra­tion essen­tiel­le­ment augus­ti­nienne.
Le nom que porte l’âme ne lui est pas essen­tiel mais, si l’on peut dire, extrin­sèque. C’est la diver­si­té de ses fonc­tions ou opé­ra­tions qui fait qu’elle est appe­lée ici « âme », là « mens », là encore « rai­son », « esprit », « sens » ou « mémoire ».
Cette exté­rio­ri­té de la dési­gna­tion rap­pelle en un sens celle de Dieu lui-même, connu et nom­mé d’a­près ses effets. Hugues est ici très proche du motif avi­cen­no-alber­ti­nien, plus tard repris par Eckhart, selon lequel l’âme est elle-même « sans nom ». La poly­ny­mie de l’âme n’at­teint pas son essence, elle ne dit que ses fonc­tions : « On l’ap­pelle “âme” quand elle anime et vivi­fie un corps. “Mens” en tant qu’elle exa­mine (reco­lit). “Animus” quand elle veut. “Raison” quand elle juge droi­te­ment. “Esprit” quand elle spire ou parce qu’elle est de nature spi­ri­tuelle. “Volonté” quand elle décide. Tous ces noms ne reviennent pas à l’âme à cause d’une plu­ra­li­té dans son essence mais seule­ment à cause de la mul­ti­pli­ci­té de ses effets et à cause de son acti­vi­té même. »
[…] La pré­sence de l’âme au corps n’est donc pas d’ordre onto­lo­gique. Elle est d’ordre opé­ra­toire.

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« Hugues Ripelin de Strasbourg » La mys­tique rhé­nane
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p. 84

Doing the dishes is not like free­dom. Freedom is wha­te­ver we notice because it isn’t like doing the dishes. The ordi­na­ry is ordi­na­ry because it ordi­na­ri­ly repeats : taking care lacks freedom’s enter­tain­ments and its excep­tions.
For any author of doing the dishes, the best part of the sto­ry would be the sto­ry of mis­sing out on eve­ry­thing else while the dishes are being done. Or a per­son could be a moder­nist of the dishes and make a stream of conscious­ness account of an attempt to flee dish-sink rea­li­ty. But it would be easy for any of those accounts of doing the dishes to miss what is impor­tant about doing the dishes, which is that it is not inter­es­ting or remar­kable work in itself, but that it is the work on which eve­ry­thing else depends.
An ongoing neces­si­ty like dir­ty dishes nee­ding to be done doesn’t pro­duce nar­ra­tive. It pro­duces quan­ti­ties, like how many dishes were washed. It pro­duces tem­po­ral mea­su­re­ments, like how much time was spent washing them and when. Narratives end. Quantities, hours, and dishes don’t. Maybe dishes pro­duce cate­go­ries and dis­tinc­tions.
Maybe one kind of dish is washed but not the other, one kind of tech­nique used and not ano­ther. To stu­dy the dishes could result in an account of spaces, of tech­no­lo­gies, of tools and ins­tru­ments, or infra­struc­tures, eco­no­mics. A work like that could demons­trate the cri­sis that occurs in its absence : the dishes have piled up, the smells and cockroaches have come. Or it could result in an account of class, race, and gender—who, in the cur­rent arran­ge­ment of the world, does the dishes and who does not.
Doing the dishes falls inside a lar­ger set of rela­tions made up of neces­si­ty. We have phy­si­cal bodies. These exist inside and among the lar­ger bodies of the world. All of these bodies—ours and eve­ry­thing else’s—are adhe­red to decay, are always rui­ning or on the verge of it, never evade entro­py or col­lapse. The ordi­na­ry ongoin­gness of our exis­tence, like eve­ry time we do the dishes, is eve­ry time we try to block ruin’s path.
There is the work of making the world, which is the world that’s good to look at, and there is the quie­ter work of kee­ping the world okay once it is here. Making the world is a concrete plea­sure, but the nature of the rest of it has yet to be deter­mi­ned. It’s hard to make a judg­ment of the senses regar­ding the some­times invi­sible and neces­sa­ry efforts we exchange bet­ween us. It is hard to read, for beau­ty, the eve­ryw­here space we are always making around the always mani­fes­ting world of the world.

Man consists of more pieces, more parts, than the world ; than the world doth, nay than the world is. And if those pieces were exten­ded, and stret­ched out in man as they are in the world, man would be the giant, and the world the dwarf ; the world but the map, and the man the world. If all the veins in our bodies were exten­ded to rivers, and all the sinews to veins of mines, and all the muscles that lie upon one ano­ther, to hil­ls, and all the bones to quar­ries of stones, and all the other pieces to the pro­por­tion of those which cor­res­pond to them in the world, the air would be too lit­tle for this orb of man to move in, the fir­ma­ment would be but enough for this star ; for, as the whole world hath nothing, to which some­thing in man doth not ans­wer, so hath man many pieces of which the whole world hath no repre­sen­ta­tion.

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« Devotions upon Emergent Occasions »
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p. 1624

Every movie I watch now is a movie about an entire cast of people who seem to not have can­cer, or at least this is, to me, its plot. Any crowd not in the cli­nic is a crowd that feels cura­ted by alie­na­tion, all the people eve­ryw­here loo­king robust and eye­la­shed and as if they have appe­tites for din­ner and solid plans for reti­re­ment. I am mar­ked by can­cer, and I can’t quite remem­ber what the mar­kers are that mark us as who we are when we are not being mar­ked by some­thing else.

At the ful­lest expres­sion of its treat­ment, breast can­cer is near total strike : stri­king hair, stri­king eye­lashes, stri­king eye­brows, stri­king skin, stri­king thought, stri­king lan­guage, stri­king fee­ling, stri­king vigor, stri­king appe­tite, stri­king eros, stri­king mater­ni­ty, stri­king pro­duc­ti­vi­ty, stri­king immune sys­tem, nega­ted fer­ti­li­ty, nega­ted breasts.
Self-manage, the boss that is eve­ryone says : work har­der, stay posi­tive, draw on eye­brows, cover your head with a wig or color­ful scarf, insert tear­drop- or half-a-globe-sha­ped sili­cone under your scar­red skin and graft on pros­the­tic nipples or tat­too trompe‑l’œil ones in pubes­cent pink or have flaps of fat remo­ved from your back or bel­ly and joi­ned to your chest, exer­cise when tired, eat when repul­sed by food, go to yoga, do not men­tion death, take an Ativan, behave nor­mal­ly, think of the future, coope­rate with the doc­tors, attend “look good feel bet­ter” for your free high-qua­li­ty makeup kit, 8 run a 5K, whe­ther-or-not-to-wear-a-wig-during-sex is a ques­tion the book says to ask your hus­band, “one fami­ly mem­ber at a time” says the sign on the way to the infu­sion room, the pink rib­bon on the for-sale sign of the man­sion.