Processus per­met­tant l’imposition d’un nom et qui se déroule de la manière sui­vante (nous nous appuyons sur le De Intellectibus) : au fon­de­ment de toute connais­sance, il y a la sen­sa­tion qui « touche légè­re­ment » l’objet, puis vient l’imagination qui, en se débar­ras­sant d’une exté­rio­ri­té, sai­sit la chose de manière confuse ou indé­ter­mi­née – car ima­gi­ner, c’est accueillir sim­ple­ment la chose sans consi­dé­rer encore en elle ni nature ni pro­prié­té. Enfin vient l’intellection. Celle-ci, ayant comme acte essen­tiel celui de l’« atten­tio », débar­ras­sée de toute exté­rio­ri­té, obser­vant à tra­vers les yeux de l’esprit, intel­lige « sa chose ». Par les images, l’intellect vise une nature ou pro­prié­té de la chose en se pla­çant devant son objet ; et il se l’approprie. De la sen­sa­tion à l’intellection, en pas­sant par l’image, un pro­ces­sus d’abstraction per­met­tant la fon­da­tion des intel­lec­tions, comme por­tée au terme de la connais­sance, a lieu. C’est ain­si que nous obte­nons les « connais­sances des natures qui fon­de­ront l’imposition des noms, l’attribution du pré­di­cat au sujet et enfin le rai­son­ne­ment ».

L’atten­tio, viser une nature ou une pro­prié­té, se livrer à une chose – comme acte de l’âme – ne pour­rait pas ne pas être un phé­no­mène d’ordre per­son­nel, c’est-à-dire un phé­no­mène propre et exclu­sif à un « point de vue par­ti­cu­lier », car le sujet – le sujet met­tant en œuvre cette puis­sance – dans cet acte, se fait ; d’une cer­taine manière, la per­sonne de l’acte intel­lec­tif, en se posant devant son objet, s’impose comme son pro­prié­taire, voire comme l’auteur de la chose concer­née. Ce n’est pas l’homme en géné­ral qui vise ; toute visée n’est jamais que la visée de quelqu’un. La chose nom­mée, ins­crite main­te­nant dans le monde lan­ga­gier (c’est une chose dite), se déter­mine. Le lan­gage étant une ins­ti­tu­tion humaine, la chose s’humanise. La visée comme condi­tion de pos­si­bi­li­té de l’intellection est tra­ver­sée par ce que la phé­no­mé­no­lo­gie appel­le­ra plus tard, une inten­tion­na­li­té, la chose, la pen­sée de la chose, cette chose-là, n’étant telle que pour celui qui la sai­sit.

C’est pour cette même rai­son que l’engendrement de l’intellection dans l’esprit de l’autre (c’est-à-dire : signi­fier) ne peut qu’être sem­blable, et non pas de l’ordre du « même ». Reformulons notre phrase, par consé­quent : viser, s’intéresser ou faire atten­tion à une chose en tant qu’elle est telle chose, ne pour­rait pas ne pas être un phé­no­mène d’ordre per­son­nel (de propre à un « sin­gu­lier »).

La signi­fi­ca­tion, essen­tielle à la com­mu­ni­ca­tion, se voit affec­tée d’une double contrainte : une cause et une simi­li­tude. Une cause, car il n’y a pas de pen­sée sans objet ; pen­ser, c’est tou­jours pen­ser quelque chose ; et une simi­li­tude, car il faut poser qu’entre mon intel­lec­tion et celle de l’autre, bien qu’elles soient néces­sai­re­ment liées par la même « cause », dans l’acte de trans­fert, une coïn­ci­dence abso­lue n’aura jamais lieu.

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« La per­sonne et ses modes chez Pierre Abélard »
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Philonsorbonne n° 10
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p. 9–28
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Dieu sait que la foi – sur­tout la foi lucide, qui se recon­quiert des griffes des reli­gions – a dis­pa­ru, au point qu’on ne retrouve qu’a­vec peine et patience les res­ca­pés du confor­misme, du doute et de l’a­théisme au milieu d’une huma­ni­té bru­tale et maté­ria­liste, d’un grouillis de jambes, qui ne portent plus d’âmes, qui ne sont vrai­ment plus que jambes d’os et de chair pour cou­rir après les biens ter­restres, bot­ter et écra­ser les obs­tacles à leurs dési­rs, jambes qui inondent la terre, tel­le­ment que l’oiseau ne trouve plus l’herbe sous leur pié­ti­ne­ment.

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« Liminaire à l’é­di­tion de 1983 » La Révélation d’Arès
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p. 177

Le Christ que je vis n’é­tait pas un esprit, mais une per­sonne bien en volume et cer­tai­ne­ment pesante, car je sen­tis la lour­deur de son bras quand il posa sa main sur ma tête. Quand il m’oi­gnit les lèvres je dis­tin­guai les sillons de la peau des pha­lan­gettes et les ongles nor­maux.

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« Liminaire à l’é­di­tion de 1974 » La Révélation d’Arès
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p. 36

Outre mes dif­fi­cul­tés de dis­cer­ne­ment, il faut bien dire en effet que rien dans ma vie de pécheur ne me ren­dit jamais digne et capable de la mis­sion sublime que Dieu me confie. Rien, ni mérites, ni mêmes dis­po­si­tions spi­ri­tuelles, car, homme de prière, je n’é­tais pas mys­tique ; pas­teur pug­nace, je n’é­tais ni doux, ni contem­pla­tif ; témoin de plu­sieurs miracles dans ma vie pas­sée je fus sou­vent incré­dule ; je ne fus jamais inté­res­sé par les annales du sur­na­tu­rel, les récits deré­vé­la­tions et d’ap­pa­ri­tions que je jugeais niais, dénués de dyna­mique pas­to­rale et donc inutiles. Je n’é­tais vrai­ment pas l’homme qui pou­vait s’at­tendre à être tiré de son som­meil une nuit de jan­vier, appe­lé dans un lieu de sa mai­son pour y voir et entendre le Christ.

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« Liminaire à l’é­di­tion de 1974 » La Révélation d’Arès
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p. 32

Je consta­tai ain­si que pour intro­duire l’es­sen­tiel, l’Évangile, dans les esprits reli­gieux les plus éclai­rés il fal­lait pas­ser par leur curio­si­té pour l’ac­ces­soire, les cir­cons­tances de sa révé­la­tion et ses consé­quences pra­ti­qurs et secon­daires.

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« Liminaire à l’é­di­tion de 1974 » La Révélation d’Arès
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p. 31

Ce regard « d’homme à homme » a pour moi d’au­tant plus de prix que je remarque, et que je res­sens avec dou­leur, « quel effort repré­sente pour Jésus d’ap­pa­raître en ce monde pour­ri de péché – en com­men­çant par moi – comme l’é­preuve de des­cendre dans une fosse infecte. J’avais le sen­ti­ment de puer de l’es­prit et qu’il fal­lait vrai­ment beau­coup d’a­mour pour l’ap­pro­cher et pour me regar­der ».
(…)
Jésus se tourne, bouge, remue la tête, les bras, les mains, très posé­ment. Ses sen­ti­ments se tra­duisent plu­tôt « par l’é­trange varia­tion de la brillance de l’œil ».

Quarante fois Jésus va dic­ter son mes­sage jus­qu’à la nuit du 12 au 13 avril. Mais ce n’est qu’à par­tir de la dixième veillée que je com­prends que son mes­sage sera peut-être long. L’écritoire impro­vi­sé des pre­miers jours est amé­lio­ré et lais­sé en per­ma­nence sur le lieu. Tout natu­rel­le­ment je donne à chaque dic­tée le nom de veille ou veillée, parce qu’elle a tou­jours lieu la nuit, et dans les mêmes cir­cons­tances. Une voix m’ap­pelle entre 23h et 3h. Invariablement, quand j’ar­rive sur le lieu de l’ap­pa­ri­tion, celle-ci m’y pré­cède et attend. Par contre, à l’is­sue de chaque veille, je vois dis­pa­raître Jésus en ascen­sion ; il semble se lais­ser glis­ser, bras en avant, dans le lam­bris du pla­fond comme un ours blanc dans la mer.

Nos esprits doivent culti­ver toute la réa­li­té du fait d’Arès, afin qu’il ne dégé­nère pas en tra­duc­tions intel­lec­tuelles ou idéo­lo­gies, comme ce fut le cas pour tant d’autres faits : par exemple, la croix d’une hor­rible mise àmort deve­nue par l’athéologie,et l’ef­fet d’un inquié­tant lyrisme, la croix idéale, « qui sauve ». Non-sens. Si le fait d’Arès vire à l’i­déo­lo­gie, si ma vie passe au roma­nesque, des constantes aber­rantes sui­vront.