Il faut faire ses preuves devant soi-même, pour démontrer que l’on est né pour l’indépendance et le commandement, il faut les faire au bon moment. Il ne faut pas vouloir éviter ses épreuves d’essai, bien qu’elles soient peut-être le jeu le plus dangereux que l’on puisse jouer et qu’en somme il ne s’agit que d’essais dont nous sommes les seuls témoins et dont personne d’autre n’est juge. Ne s’attacher à aucune personne, fût-elle même la plus chère, — toute personne est une prison, et aussi un recoin.
Lu
Pour ce qui en est de la superstition des logiciens, je veux souligner encore, sans me laisser décourager, un petit fait que ces esprits superstitieux n’avouent qu’à contre-cœur. C’est, à savoir, qu’une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas lorsque c’est moi qui veux ; de sorte que c’est une altération des faits de prétendre que le sujet moi est la condition de l’attribut « je pense ». Quelque chose pense, mais croire que ce quelque chose est l’antique et fameux moi, c’est une pure supposition, une affirmation peut-être, mais ce n’est certainement pas une « certitude immédiate ». En fin de compte, c’est déjà trop s’avancer que de dire « quelque chose pense », car voilà déjà l’interprétation d’un phénomène au lieu du phénomène lui-même. On conclut ici, selon les habitudes grammaticales : « Penser est une activité, il faut quelqu’un qui agisse, par conséquent… » Le vieil atomisme s’appuyait à peu près sur le même dispositif, pour joindre, à la force qui agit, cette parcelle de matière où réside la force, où celle-ci a son point de départ : l’atome. Les esprits plus rigoureux finirent par se tirer d’affaire sans ce « reste terrestre », et peut-être s’habituera-t-on un jour, même parmi les logiciens, à se passer complètement de ce petit « quelque chose » (à quoi s’est réduit finalement le vénérable moi).
Pour parler sérieusement, je crois qu’il y a de bons motifs d’espérer que tout dogmatisme en philosophie — quelle que fût son attitude solennelle et quasi-définitive — n’a été qu’un noble enfantillage et un balbutiement. Et peut-être le temps n’est-il pas éloigné où l’on comprendra sans cesse à nouveau ce qui, en somme, suffit à former la pierre fondamentale d’un pareil édifice philosophique, sublime et absolu, tel que l’élevèrent jusqu’à présent les dogmatiques. Ce fut une superstition populaire quelconque, datant des temps les plus reculés (comme, par exemple, la superstition de l’âme qui est encore la cause de la superstition du sujet ou du je) ; ce fut peut-être un jeu de mot quelconque, une équivoque grammaticale, ou quelque généralisation téméraire de faits très restreints, très personnels, très humains, trop humains.
Sans doute faut-il aujourd’hui chercher les caractères à la lanterne ; encore se moquerait-on de vous, fort probablement, si l’on vous voyait en plein jour avec une lanterne allumée. Je raconterai donc l’histoire d’un homme qui eut toujours des difficultés avec son caractère ou qui, plus simplement, n’en eut jamais ; toutefois, je crains un peu d’avoir compris trop tard son importance, et je me demande s’il ne fut pas, en fin de compte, une sorte de pionnier, ou de précurseur.
Nous étions voisins d’enfance. Chaque fois qu’il avait mis sur pied quelqu’une de ces expéditions si merveilleuses qu’il vaut mieux éviter d’en parler, sa mère soupirait, car les coups qu’elle lui donnait la fatiguaient. « Petit, gémissait-elle, tu n’as pas trace de caractère. Que pourras-tu bien devenir ? » Dans les cas graves, on invoquait le père ; les coups revêtaient alors une certaine solennité, une dignité austère qui rappelaient un peu les cérémonies scolaires. Mon ami, au préalable, devait remettre à monsieur le Conseiller à la Cour des comptes, en mains propres, une baguette de jonc qui servait ordinairement à battre les vêtements, et dont la cuisinière avait la garde ; puis, le châtiment appliqué, baiser la main paternelle, remercier pour la correction et demander pardon pour les soucis donnés à ses parents. Mais il faisait tout le contraire. Il mendiait son pardon au début, avec des hurlements qui se poursuivaient entre les coups ; l’orage passé, il n’ouvrait plus la bouche ; son visage devenait ponceau, il avalait ses larmes et sa salive et cherchait, au moyen d’énergiques frottements, à effacer les traces de ses émotions. « Je ne sais, répétait son père, ce que le petit deviendra : ce drôle n’a aucun caractère. »
Le caractère était donc dans notre jeunesse ce pourquoi l’on reçoit des coups, alors même qu’on n’en a pas. Il semblait y avoir là quelque injustice. Les parents de mon ami affirmaient, quand ils exigeaient qu’il eût du caractère et, exceptionnellement, s’expliquaient, que le caractère était le contraire logique des mauvaises notes, de l’école buissonnière, des casseroles attachées à la queue des chiens, du bavardage et des jeux clandestins en classe, des échappatoires maladroites, des distractions et des meurtres d’oiseaux innocents à coups de fronde. Mais le contraire naturel de tout cela, c’étaient les terreurs de la punition, l’angoisse d’être découvert et les tourments de conscience qui accablent celui qui a raté son coup. C’était complet : plus de place, plus de travail pour un caractère qui devenait, du coup, parfaitement superflu. On n’en voulait pas moins que nous en fissions preuve…
Peut-être aurions-nous pu nous orienter sur l’explication que l’on donnait parfois à mon ami en cours de punition : « N’as-tu donc aucune fierté, petit ? » ou : « Comment peut-on mentir si bassement ? » Mais je dois dire qu’il m’est difficile, aujourd’hui encore, de concevoir que l’on puisse être fier de recevoir une gifle, ou comment montrer sa fierté quand on est couché en travers des genoux du bourreau. On en pourrait éprouver de la fureur : mais c’est précisément ce qu’on ne nous accordait pas ! De même pour le mensonge : comment peut-on mentir, sinon bassement ? Maladroitement ? Quand j’y réfléchis, j’en viens à croire que ce que l’on eût alors aimé obtenir de nous, c’était que nous mentissions loyalement. Mais c’était une sorte de double compte. Primo : tu ne dois pas mentir ; secundo : si tu mens, fais-le au moins franchement. Peut-être les criminels adultes seraient-ils en mesure d’établir la distinction, eux à qui les Tribunaux reprochent comme un surcroît de culpabilité de commettre leurs crimes de sang-froid, avec réflexion et précautions ; mais de jeunes polissons, c’était beaucoup exiger. Si je n’ai pas fait preuve d’autant d’absence de caractère que mon ami, je crains que ce ne soit uniquement parce que mon éducation fut moins soignée.
Les plus révélateurs des propos familiaux quant à notre caractère étaient ceux qui associaient au regret de son défaut l’avertissement que nous en aurions grand besoin une fois adultes. « Et un gamin pareil veut devenir un homme ! » s’exclamait-on à peu près. Négligeait-on le fait que l’emploi du mot vouloir n’était pas absolument clair, le reste prouvait au moins que le caractère était quelque chose dont nous n’aurions besoin que plus tard : à quoi bon tant de préparatifs prématurés ? C’était absolument notre opinion, en tout cas.
Bien que mon ami n’eût donc, à ce moment-là, aucun caractère, il n’en souffrait pas. Cela ne commença que plus tard, à partir de notre seizième ou dix-septième année. Nous découvrîmes alors le théâtre et le roman. Dès lors, l’intrigant, le Père noble, l’Amant héroïque, le Bouffon, même le Don Juan diabolique et l’ensorcelante Ingénue du Théâtre municipal envahirent le cerveau de mon ami, plus sensible que le mien aux prestiges de l’art. Il ne put plus parler qu’avec affectation, et revêtit soudain tout ce que la scène allemande compte de « caractères ». Faisait-il une promesse, on ne savait jamais si l’on avait sa parole de héros, ou d’intrigant ; tantôt il commençait sournois et finissait loyal, tantôt l’inverse ; il nous accueillait, ses amis, à grand fracas, pour soudain nous offrir un siège et des fondants avec l’élégant sourire du bon vivant ; ou il nous serrait paternellement dans ses bras pour mieux extraire de notre poche une cigarette.
Encore était-ce inoffensif et sans détours à côté de l’effet des romans. Ceux-ci fournissent un véritable inventaire des plus merveilleuses façons de se comporter dans les situations les plus diverses. L’ennui, c’est que les situations dans lesquelles la vie nous met ne coïncident jamais absolument avec celles pour lesquelles les romans ont prévu ce qu’il faudrait dire et faire. La littérature universelle est un gigantesque magasin de confection où des millions d’âmes vont s’habiller de magnanimité, de colère, de fierté, d’amour, de mépris, de jalousie, de noblesse ou de vulgarité. Quand une femme adorée foule nos sentiments aux pieds, nous savons que nous devons lui adresser un regard de fervent reproche ; quand une brute maltraite un orphelin, nous savons qu’il nous faut l’abattre d’un coup de poing. Mais que faire si la femme adorée, immédiatement après avoir piétiné nos sentiments, ferme la porte de sa chambre, et que notre fervent regard ne puisse plus l’atteindre ? Ou si, entre nous et le bourreau d’orphelins se dresse une table chargée de verrerie de prix ? Enfoncerons-nous la porte pour frayer un passage à notre tendre regard ? Débarrasserons-nous précautionneusement les verres avant de frapper avec indignation ? Dans ces occasions vraiment graves, la littérature vous laisse toujours en plan ; dans quelques centaines d’années, le nombre des descriptions ayant beaucoup augmenté, peut-être cela ira-t-il un peu mieux.
En attendant, se trouver en pareille situation reste fort désagréable pour un caractère qui a de la lecture. Une bonne douzaine de phrases ébauchées, de sourcils à demi froncés ou de poings fermés, de dos tournés et de cœurs battants, dont aucun ne convient exactement à la circonstance, sans être absolument déplacé non plus, bouillonnent en lui ; les coins des lèvres s’abaissent et remontent, le front se couvre de nuages et se rassérène simultanément, le regard à la fois foudroie et se détourne pudiquement : et s’écarteler ainsi soi-même n’a rien d’agréable. Il s’ensuit plus d’une fois de ces spasmes et de ces hoquets bien connus qui envahissent le visage, et parfois même s’emparent si brutalement du corps tout entier qu’on le voit se tortiller comme un boulon privé de son écrou.
Mon ami comprit alors l’avantage de ne posséder qu’un seul caractère, le sien propre, et entreprit de le chercher.
Ce furent de nouvelles aventures. Je le rencontrai quelques années plus tard : il avait embrassé la profession d’avocat. Il portait des lunettes, s’était rasé la barbe et parlait à voix basse. Il crut remarquer que je l’examinai, et le dit. Je ne pus le nier : quelque chose me contraignait à interroger sa mine. « Ai-je l’air d’un avocat ? » demanda-t-il. Je ne voulus pas le nier. Il s’expliqua : « Les avocats ont une certaine façon de regarder à travers leur pince-nez qui diffère, par exemple, de celle des médecins. Leurs mouvements, leur propos sont toujours plus pointus, plus dentelés en quelque sorte, que ceux, arrondis et noueux, des théologiens. Ils s’en distinguent comme un feuilleton d’un prêche. Bref, de même que les poissons ne volent pas d’arbre en arbre, les avocats ne peuvent quitter le milieu dans lequel ils sont plongés. »
« Caractère professionnel ! » dis-je. Mon ami fut content de moi. « Ç’a été toute une affaire, remarqua-t-il. À mes débuts, je portais une barbe de Christ ; mon chef me l’interdit : c’était non-con-forme. Sur quoi je pris des allures de peintre qui, interdites à leur tour, se changèrent en allures de capitaine au long cours. – Et pourquoi donc, au nom du ciel ? – Parce que je me refusais, naturellement, à adopter un caractère professionnel, répondit-il. L’ennui est qu’on ne peut s’y soustraire. Sans doute existe-t-il des avocats qui ont l’air de poètes, des poètes qui ont l’air de marchands de légumes, et des marchands de légumes qui ont des têtes de penseurs : mais c’est comme s’ils étaient affligés d’un œil de verre, d’une barbe postiche ou d’une plaie mal cicatrisée. Je ne comprends pas pourquoi, mais c’est ainsi. » Il sourit à sa manière, et ajouta : « Tu sais bien que je n’ai même pas de caractère personnel… »
Je lui rappelai ses caractères de théâtre. Il soupira : « C’était la jeunesse ! Quand on devient un homme, on vous attribue par-dessus le marché un caractère sexuel, national, civique, social, géographique ; on a le caractère de son écriture, des lignes de la main, de la forme du crâne, sans parler de celui que modèle à la naissance la conjonction astrologique. C’en est trop pour moi. Je ne sais jamais auquel de mes caractères je dois donner raison. » Son tranquille sourire avait reparu. « Par chance, j’ai une fiancée qui prétend que je n’ai pas de caractère du tout, parce que je n’ai pas encore tenu ma promesse de l’épouser. Je l’épouserai pour cela même : son bon sens m’est indispensable. – Qui est ta fiancée ? – À quel caractère poses-tu cette question ? » Mais il s’interrompit : « Néanmoins, elle sait toujours ce qu’elle se veut ! Je l’ai connue d’abord petite fille exquisément désarmée (il y a longtemps), puis elle a beaucoup appris auprès de moi. Elle juge mes mensonges épouvantables ; si j’arrive en retard au bureau, elle déclare que je ne pourrai jamais entretenir une famille ; si je ne puis me résoudre à tenir un engagement, elle sait qu’il n’y a que les salauds pour agir ainsi… »
Mon ami sourit de nouveau. C’était alors un homme plein de charme, sur lequel tout le monde jetait des regards complaisants. Personne ne pensait sérieusement qu’il pût devenir quelqu’un. Il suffisait de le voir : dès qu’il parlait, chaque membre de son corps adoptait une position différente ; les yeux se détournaient ; l’épaule, le bras et la main prenaient des directions opposées, et une jambe au moins, à l’angle du genou, mimait le pèse-lettres. Comme je l’ai dit, c’était alors un homme charmant, modeste, timide, respectueux ; quelquefois aussi le contraire de tout cela, ce qui n’empêchait pas qu’on lui gardât, fût-ce par simple curiosité, sa sympathie.
Quand je le revis, il avait une voiture, cette femme, devenue son ombre, une situation influente et très en vue. Comment il s’y était pris, je l’ignorais ; je présume que la clef du mystère est qu’il devint gros. Son visage intimidé, mobile, avait disparu. Plus exactement, il était encore là, mais dissimulé sous une bonne couche de graisse. Ses yeux qui, naguère, quand il avait fait quelque sottise, pouvaient être aussi touchants que ceux d’un petit singe triste, n’avaient sans doute pas perdu cet éclat qui leur venait du cœur ; mais, entre les joues trop bien rembourrées, ils avaient de la peine à fuir et ne pouvaient plus que vous regarder fixement, avec une expression de tourment hautain. Ses gestes, intérieurement, étaient encore gesticulation ; mais au dehors, à l’articulation des membres, amorti par des coussinets de graisse, ce qu’on en voyait semblait brusquerie et résolution. L’homme avait suivi le chemin de son corps. Son esprit papillonnant s’était revêtu de parois solides et de convictions fermes. Quelquefois encore, un éclair brillait en lui ; mais, loin d’être sur son visage une clarté comme autrefois, c’était un coup qu’il tirait pour en imposer ou pour atteindre un but défini. En fait, il avait beaucoup perdu. Tout ce qu’il disait, maintenant, se tenait, et il traînait son passé comme on évoque une folie de jeunesse.
Je réussis un jour à le ramener sur notre vieux sujet de conversation, le caractère. « Je suis convaincu que l’évolution du caractère est liée à celle de la stratégie, me dit-il d’une voix courte de souffle ; on ne le trouvera plus aujourd’hui que chez les sauvages. Celui qui se bat au couteau ou à la lance doit en avoir pour ne pas être vaincu. Mais quel caractère, si résolu soit-il, peut résister aux chars d’assaut, aux lance-flammes et aux gaz ? Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce n’est pas de caractères, c’est de discipline ! »
Je ne l’avais pas contredit. Mais l’étrange était (c’est pourquoi je me permets de citer ce souvenir) que j’eusse quand même le sentiment, tandis qu’il parlait ainsi, moi le regardant, que le vieil homme était toujours en lui. Simplement enfermé dans le double adipeux de sa personne originale. Son regard était caché dans le regard de l’autre, sa parole dans l’autre parole. C’était presque inquiétant. Depuis lors, je l’ai revu une ou deux fois, et cette impression s’est reproduite à chaque coup. On sentait que l’ancien personnage aurait aimé, si je puis m’exprimer ainsi, revenir une fois sur le devant de la scène, si quelque chose ne l’en avait empêché.
En invoquant le désir, on n’a encore rien dit, car il s’entend fort bien, Diotime l’enseignait déjà au crédule Socrate, comme Penia, le manque ; et cela suffit pour que la représentation conserve tous ses droits. Elle sera seulement plus nostalgique, mystique : riche tradition, en Occident, de la théologie négative du désir. Mais l’humour procède d’un Eros qui est tout Poros, rien que moyen de moyenner, comme d’une logique sans aporie et d’une politique sans utopie. A ce désir, il faut des dieux beaucoup plus retors que celui qui s’est proclamé la vérité, et des divinations sans pêché.
Lyotard résumant Antisthène : « qu’il n’y a nulle définition de chose, mais seulement nominale, que toute proposition définitionnelle est de type déictique : ceci est Socrate, que les jugements en général sont de forme non pas attributive, mais événementielle, comme : Socrate musicien (= Socrate est en train de s’adonner aux Muses). Parant, qu’il n’y a pas de contradiction possible entre deux interlocuteurs, car ou bien ils parlent de la même chose, et il faut alors qu’ils emploient les mêmes mots, ou bien si leurs énoncés diffèrent, c’est qu’ils désignent des choses différentes. (…) Et qu’il n’y a pas non plus d’erreur en dépit de ce qu’on vient de dire : car si l’un appelle femme un homme, c’est qu’il parle d’un autre objet, lequel n’est pas moins réel que celui dont il s’agit, puisqu’il en parle. Il n’y a pas d’erreur parce qu’il n’y a pas de non-être. L’être est le nommé ; toute nomination est institution d’une « perspective », c’est-à-dire d’être.
Singulière logique, obstinément attentive aux actes « élémentaires » de langage, les considérant comme autant de prises de perspective ou de décision sur les choses, jamais comme des adéquations à un objet dont on pourrait savoir d’ailleurs ce qu’il est. Aristote la raille comme une logique des juxtapositions : rien n’est plus exact. Les diversités pascaliennes en sont proches.
Ce qui « menace » (mais Pascal craint-il de perdre le magistère du vrai?) la position pascalienne, c’est la même affirmation qui est refoulée sous les noms de scepticisme, cynisme, nominalisme, pragmatisme, empirisme – « perspectivisme » (nietzschéen) : il n’y a pas d’intelligible, ni réel ni conçu, définissable en général. Il n’y a pas de pensée. Car pour qu’un jugement puisse être vrai, il faut qu’un métalangage vienne l’autoriser ; or il n’y a pas de maître pour proférer ce métadiscours.
Telle serait la diablerie en matière de théorie (fort éloignée du diabolisme) qu’on y préfère laisser courir la puissance d’inventer plutôt que consolider par des preuves les nouveautés qu’on propose. Encore est-ce peu dire : on préfère se mettre en situation d’avoir à inventer plutôt que de rester en position d’avoir à prouver. C’est ainsi qu’on « décide » de cesser de répondre, qu’on se fait irresponsable, et qu’on s’exclut de la société savante. L’intelligence théorique se fait insensible aux arguments, aux sic et non, aux valeurs du savoir, aux mathèmes. Elle désire le nouveau, nur aus wissenschaftlicher Neugierde ; mais alors quelle singulière « scientificité », qui se laisse aller [sich hingeben] à cette convoitise (le radical -gierde est très fort : Du sollst nicht begeheren deines Nächsten Weib), qui se livre à cette convoitise pour le neuf, comme à une débauche ! La débauche en matière de savoir est de poursuivre l’idée soweit et führt, aussi loin qu’elle mène, de désirer le soweit, l’espace même où file l’idée en tant que cet espace ne cesse de s’ouvrir, le fil de l’idée, son Gang, déployant au-devant d’elle de nouvelles surfaces de pensée, de possibilités d’énoncés inouïs.
Earlier, when value was treated simply as labor and was not given distinct social characteristics, value was equated with labor on one hand, and was separated from exchange value by an abyss on the other hand. In the concept of value economists frequently duplicated the same labor. From this concept of value they could not move to the concept of exchange value. Now when we consider value in terms of content and form, we relate value with the concept which precedes it, abstract labor (and in the last analysis with the material process of production), the content. On the other hand, through the form of value we have already connected value with the concept which follows it, exchange value. In fact, once we have determined that value does not represent labor in general, but labor which has the « form of exchangeability » of a product, then we must pass from value directly to exchange value. In this way, the concept of value is seen to be inseparable from the concept of labor on one hand, and from the concept of exchange value on the other.
Can one find the concept of content of value in this sense in Marx’s work ? We can answer this question affirmatively. We remember, for example, in Marx’s words, that « exchange-value is a definite social manner of expressing the amount of labor bestowed upon an object » (C., I, p. 82). It is obvious that labor is here treated as the abstract content which can take this or that social form. When Marx, in the well-known letter to Kugelmann of July 11, 1868, says that the social division of labor is manifested in the commodity economy in the form of value, he again treats socially allocated labor as the content which can take this or that social form. In the second paragraph of the section on Commodity Fetishism, Marx says directly that « the content of the determination of value » can be found not only in the commodity economy but also in the patriarchal family or on the feudal estate. Here, too, as we can see, labor is treated as the content which can take various social forms.
However, in Marx’s work one can also find arguments in favor of the opposite viewpoint, according to which we must consider abstract labor as the content of value. First of all, we find in Marx’s work some statements which directly say this, for example the following : « They (commodities) are related to abstract human labor as to their general social substance » (Kapital, 1, 1867, p. 28. Italics by I. R.). This statement seems to leave no doubt about the fact that abstract labor is not only the creator of value, but also the substance and content of value. We reach this same conclusion on the basis of methodological considerations. Socially equalized labor acquires the form of abstract labor in the commodity economy, and only from this abstract labor follows the necessity of value as the social form of the product of labor. From this it follows that the concept of abstract labor in our schema directly precedes the concept of value. One might say that this concept of abstract labor must be taken as the basis, as the content and substance of value. One cannot forget that, on the question of the relation between content and form, Marx took the standpoint of Hegel, and not of Kant. Kant treated form as something external in relation to the content, and as something which adheres to the content from the outside. From the standpoint of Hegel’s philosophy, the content is not in itself something to which form adheres from the outside. Rather, through its development, the content itself gives birth to the form which was already latent in the content. Form necessarily grows out of the content itself. This is a basic premise of Hegel’s and Marx’s methodology, a premise which is opposed to Kant’s methodology. From this point of view, the form of value necessarily grows out of the substance of value. Therefore, we must take abstract labor in all the variety of its social properties characteristic for a commodity economy, as the substance of value. And, finally, if we take abstract labor as the content of value, we achieve a significant simplification of Marx’s entire schema. In this case, labor as the content of value does not differ from labor which creates value.
Je n’ai plus qu’une occupation, me refaire.