Le geste avec lequel le géné­ral avait tapé sur la table eût été légè­re­ment ridi­cule si un poing était quelque chose de pure­ment ath­lé­tique et ne com­por­tait pas éga­le­ment une signi­fi­ca­tion intel­lec­tuelle, comme une sorte de com­plé­ment indis­pen­sable de l’esprit.

Die Gebärde, mit der der General auf sei­nen Tisch gek­lat­scht hatte, wäre ein wenig lächer­lich gewe­sen, wenn eine Faust bloß etwas Athletisches und nicht auch etwas Geistiges, eine Art unent­behr­li­cher Ergänzung des Geistes bedeu­ten würde.

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chap. 108  : « Les « nations non rédi­mées » et les réflexions du géné­ral Stumm sur les mots de la famille de « rédemption » »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 695

Il est dif­fi­cile de dire quelles furent alors ses pen­sées, mais si on avait pu les sor­tir de sa tête et les polir avec soin, elles auraient eu sans doute à peu près l’allure sui­vante : pour com­men­cer par le côté église, ces quelques mots : tant qu’on croyait à la reli­gion, on pou­vait pré­ci­pi­ter un bon chré­tien ou un pieux juif de n’importe quel étage de l’espérance ou du bien-être, il retom­be­rait tou­jours, pour ain­si dire, sur les pieds de son âme. Toutes les reli­gions avaient pré­vu en effet, dans l’explication de la vie qu’elles offraient aux hommes, un reste irra­tion­nel, incal­cu­lable, qu’elles nom­maient l’impénétrabilité des des­seins de Dieu ; si le mor­tel n’aboutissait pas à un cal­cul exact, il n’avait qu’à se rap­pe­ler ce reste, et son esprit pou­vait se frot­ter les mains avec satis­fac­tion. Cette façon de retom­ber sur ses pieds et de se frot­ter les mains s’appelle une « concep­tion du monde » ; c’est une chose que l’homme contem­po­rain ne connaît plus.

[E]s läßt sich schwer sagen, was er sich dabei dachte, aber wenn man es aus ihm heraus­ge­ho­ben und sorgfäl­tig geglät­tet hätte, würde es wohl ungefähr so aus­ge­se­hen haben : Um mit dem kir­chli­chen Teil kurz zu begin­nen, solange man an Religion glaubte, konnte man einen guten Christen oder from­men Juden hinun­terstür­zen, von wel­chem Stockwerk der Hoffnung oder des Wohlergehens man wollte, er fiel immer sozu­sa­gen auf die Füße sei­ner Seele. Das kam davon, daß alle Religionen in der Erläuterung des Lebens, die sie dem Menschen schenk­ten, einen irra­tio­na­len, unbe­re­chen­ba­ren Rest vor­ge­se­hen hat­ten, den sie Gottes Unerforschlichkeit nann­ten ; ging dem Sterblichen die Rechnung nicht auf, so brauchte er sich bloß an die­sen Rest zu erin­nern, und sein Geist konnte sich befrie­digt die Hände rei­ben. Dieses Auf die Füße Fallen und Sich die Hände Reiben nennt man Weltanschauung, und das hat der zeit­genös­sische Mensch verlernt.

 

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chap. 108  : « Les « nations non rédi­mées » et les réflexions du géné­ral Stumm sur les mots de la famille de « rédemption » »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 693–694

Si nom­breux que soient les mots pro­non­cés à chaque ins­tant dans une grande ville pour expri­mer les vœux per­son­nels de ses habi­tants, il en est un qui n’y paraît jamais, c’est le mot « rédi­mer ». On peut admettre que tous les autres, les mots les plus pas­sion­nés, l’expression des rela­tions les plus com­pli­quées et de celles même qui sont tenues pour d’incontestables excep­tions, se trouvent criés ou mur­mu­rés au même moment à un grand nombre d’exemplaires, ain­si : « Vous êtes le plus grand escroc que j’aie jamais ren­con­tré », ou « Il n’y a pas de femme dont la beau­té soit aus­si bou­le­ver­sante que la vôtre » ; de sorte que ces évé­ne­ments extrê­me­ment per­son­nels pour­raient être repré­sen­tés, dans leur répar­ti­tion sur la ville entière, par de belles courbes sta­tis­tiques. Mais jamais un homme vivant n’ira dire à un autre : « Tu peux me rédi­mer ! » ou « Sois mon rédemp­teur ! » On peut l’attacher à un arbre et le lais­ser cre­ver de faim ; on peut le dépo­ser dans une île déserte en com­pa­gnie de la femme qu’il a vai­ne­ment pour­sui­vie pen­dant des mois ; on peut lui faire signer des chèques sans pro­vi­sion et trou­ver quelqu’un qui le tire d’affaire : tous les mots du monde vien­dront se bous­cu­ler dans sa bouche, mais il est cer­tain qu’il ne dira jamais, tant qu’il sera vrai­ment ému, « rédi­mer », « rédemp­teur » ou « rédemp­tion », bien qu’absolument rien ne s’y oppose du point de vue linguistique.

Et pour­tant, les peuples réunis sous la cou­ronne caca­nienne se qua­li­fiaient de « nations non rédimées » !

So viele Worte in einer großen Stadt in jedem Augenblick ges­pro­chen wer­den, um die persön­li­chen Wünsche ihrer Bewohner aus­zu­drü­cken, eines ist nie­mals darun­ter : das Wort »erlö­sen«. Man darf anneh­men, daß alle ande­ren, die lei­den­schaft­lichs­ten Worte und die Ausdrücke ver­wi­ckelts­ter, ja sogar deut­lich als Ausnahme gekenn­zeich­ne­ter Beziehungen, in vie­len Duplikaten glei­ch­zei­tig ges­chrien und geflüs­tert wer­den, zum Beispiel »Sie sind der größte Gauner, der mir je unter­ge­kom­men ist« oder »So ergrei­fend schön wie Sie ist keine zweite Frau«; so daß sich diese höchst­persön­li­chen Erlebnisse gera­de­zu durch schöne sta­tis­tische Kurven in ihrer Massenverteilung über die ganze Stadt dars­tel­len ließen. Niemals aber sagt ein leben­di­ger Mensch zu einem ande­ren »Du kannst mich erlö­sen!« oder »Sei mein Erlöser!« Man kann ihn an einen Baum bin­den und hun­gern las­sen ; man kann ihn nach mona­te­lan­gem ver­ge­bli­chem Werben zusam­men mit sei­ner Geliebten auf einer unbe­wohn­ten Insel aus­set­zen ; man kann ihn Wechsel fäl­schen und einen Retter fin­den las­sen : alle Worte der Welt wer­den sich in sei­nem Mund überstür­zen, aber bes­timmt wird er nicht, solange er wah­rhaft bewegt ist, erlö­sen, Erlöser oder Erlösung sagen, obgleich spra­chlich gar nichts dage­gen ein­zu­wen­den wäre.

Trotzdem nann­ten sich die unter Kakaniens Krone verei­nig­ten Völker unerlöste Nationen !

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chap. 108  : « Les « nations non rédi­mées » et les réflexions du géné­ral Stumm sur les mots de la famille de « rédemption » »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 689–690

« Ce qu’on est » change aus­si vite, semble-t-il, que « ce qu’on porte » ; dans un cas comme dans l’autre, per­sonne, même pas sans doute les com­mer­çants inté­res­sés à la mode, ne connaît le véri­table secret de cet « on ».

»Man ist« wech­selt, wie es scheint, eben­so schnell wie »Man trägt« und hat mit ihm gemein­sam, daß nie­mand, wahr­schein­lich nicht ein­mal die an der Mode betei­lig­ten Geschäftsleute, das eigent­liche Geheimnis dieses »Man« kennt.

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chap. 99  : « De la demi-intel­li­gence et de sa fer­tile seconde moi­tié ; de l’analogie de deux époques, de l’aimable nature de tante Jane et de ce monstre qu’on appelle les Temps nouveaux »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 571

À cette époque, par­mi les gens à la page, on était géné­ra­le­ment pour « l’es­prit actif » ; on avait recon­nu que le devoir de « l’homme-cer­veau » était de prendre le pas sur « l’homme-ventre ». De plus, il y avait quelque chose que l’on appe­lait l’ex­pres­sion­nisme ; on ne pou­vait pas expli­quer avec pré­ci­sion ce que c’é­tait, mais, le mot lui-même le disait, c’é­tait une manière de faire sor­tir quelque chose au-dehors ; peut-être des visions construc­tives, si celles-ci, com­pa­rées avec la tra­di­tion artis­tique, n’a­vaient pas été aus­si bien des­truc­tives, de sorte qu’on pou­vait les appe­ler tout sim­ple­ment « struc­tives », cela n’en­ga­geait à rien : « une concep­tion du monde struc­tive », la for­mule ne sonne pas mal.

Im all­ge­mei­nen war man damals unter vor­ges­chrit­te­nen Leuten für akti­ven Geist ; man hatte die Pflicht der Hirnmenschen erkannt, die Führung der Bauchmenschen an sich zu reißen. Außerdem gab es etwas, was man Expressionismus nannte ; man konnte nicht genau ange­ben, was das sei, aber es war, wie das Wort sagte, eine Hinauspressung ; viel­leicht von kons­truk­ti­ven Visionen, jedoch waren diese, mit der künst­le­ri­schen Überlieferung ver­gli­chen, auch des­truk­tiv, darum kann man sie auch ein­fach struk­tiv nen­nen, es verp­flich­tet zu nichts, und eine struk­tive Weltauffassung, das klingt ganz respektabel.

 

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chap. 99  : « De la demi-intel­li­gence et de sa fer­tile seconde moi­tié ; de l’analogie de deux époques, de l’aimable nature de tante Jane et de ce monstre qu’on appelle les Temps nouveaux »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 570

De nos jours, on fait comme si le natio­na­lisme n’était qu’une inven­tion des fabri­cants d’armes, mais cela ne devrait pas nous empê­cher de ris­quer une fois une expli­ca­tion plus large : et la Cacanie four­ni­rait à une telle ten­ta­tion une contri­bu­tion impor­tante. Les habi­tants de cette double monar­chie, impé­riale-et-royale et impé­riale-royale, se trou­vaient devant une tâche dif­fi­cile : ils devaient se consi­dé­rer comme des patriotes impé­ria­le­ment et roya­le­ment aus­tro-hon­grois, mais en même temps comme des patriotes roya­le­ment hon­grois ou impé­ria­le­ment-roya­le­ment autri­chiens. Devant de telles dif­fi­cul­tés, on com­pren­dra que leur devise fût : « Toutes forces unies ! » Autrement dit : Viribus uni­tis. Mais, pour cela, les Autrichiens avaient besoin de forces beau­coup plus grandes que les Hongrois. Car les Hongrois, une fois pour toutes, n’étaient que hon­grois, et ce n’est qu’accessoirement qu’ils pas­saient aus­si, aux yeux de ceux qui ne com­pre­naient pas leur langue, pour des Austro-Hongrois ; les Autrichiens, en revanche, n’étaient, à l’origine, rien du tout, et leurs auto­ri­tés vou­laient qu’ils se sen­tissent éga­le­ment aus­tro-hon­grois ou autri­chiens-hon­grois (il n’y avait même pas de mot exact pour dire la chose). D’ailleurs, il n’y avait pas d’Autriche du tout. Les deux par­ties, Autriche et Hongrie, s’accordaient entre elles comme une veste rouge-blanc-vert et un pan­ta­lon jaune et noir ; la veste était une pièce en soi, mais le pan­ta­lon n’était que le reste d’un cos­tume jaune et noir qui n’existait plus depuis 1876. Depuis lors, le pan­ta­lon Autriche se nom­mait, dans le lan­gage offi­ciel, « les royaumes et pays repré­sen­tés à l’Assemblée », ce qui bien enten­du n’était plus qu’une for­mule creuse, un ensemble de noms : car ces royaumes aus­si, par exemple ceux, tout sha­kes­pea­riens, de Lodomérie et d’Illyrie, il y avait long­temps qu’ils n’existaient plus ; même au temps où l’habit jaune et noir était encore com­plet, ils avaient déjà ces­sé d’exister. C’est pour­quoi, si l’on deman­dait à un Autrichien ce qu’il était, il ne pou­vait évi­dem­ment pas répondre : Je suis un membre des « royaumes et pays repré­sen­tés à l’Assemblée », et qui n’existent pas ; il pré­fé­rait dire, ne fût-ce que pour cette rai­son : Je suis polo­nais, tchèque, ita­lien, friou­lien, ladin, slo­vène, croate, serbe, slo­vaque, ruthène ou valaque : le pré­ten­du natio­na­lisme, c’était ça. Qu’on se figure un chat-huant qui ne sait pas s’il est un chat ou un hibou, un être qui n’a aucune idée de soi-même, et l’on com­pren­dra que ses propres ailes, en cer­taines cir­cons­tances, puissent lui ins­pi­rer une angoisse sans remède. C’était là les rela­tions des Cacaniens entre eux : ils se consi­dé­raient les uns les autres avec la peur panique de frag­ments qui, toutes forces unies, s’empêchent réci­pro­que­ment d’être quelque chose. Depuis que le monde est monde, il n’est pas un seul être qui soit mort faute de nom ; on n’en a pas moins le droit d’ajouter que c’est ce qui arri­va à la double monar­chie autri­chienne et hon­groise et aus­tro-hon­groise : elle périt d’être inexprimable.

Man tut heute so, als ob der Nationalismus ledi­glich eine Erfindung der Armeelieferanten wäre, aber man sollte es auch ein­mal mit einer erwei­ter­ten Erklärung ver­su­chen, und zu einer sol­chen lie­ferte Kakanien einen wich­ti­gen Beitrag. Die Bewohner die­ser kai­ser­lich und köni­gli­chen kai­ser­lich köni­gli­chen Doppelmonarchie fan­den sich vor eine schwere Aufgabe ges­tellt ; sie hat­ten sich als kai­ser­lich und köni­glich öster­rei­chisch-unga­rische Patrioten zu füh­len, zugleich aber auch als köni­glich unga­rische oder kai­ser­lich köni­glich öster­rei­chische. Ihr begrei­fli­cher Wahlspruch ange­sichts sol­cher Schwierigkeiten war »Mit verein­ten Kräften!« Das hieß viri­bus uni­tis. Die Österreicher brauch­ten aber dazu weit größere Kräfte als die Ungarn. Denn die Ungarn waren zuerst und zuletzt nur Ungarn, und bloß neben­bei gal­ten sie bei ande­ren Leuten, die ihre Sprache nicht vers­tan­den, auch für Österreich-Ungarn ; die Österreicher dage­gen waren zuerst und urs­prün­glich nichts und soll­ten sich nach Ansicht ihrer Oberen gleich als Österreich-Ungarn oder Österreicher-Ungarn füh­len, – es gab nicht ein­mal ein rich­tiges Wort dafür. Es gab auch Österreich nicht. Die bei­den Teile Ungarn und Österreich paß­ten zu einan­der wie eine rot-weiß-grüne Jacke zu einer schwarz-gel­ben Hose ; die Jacke war ein Stück für sich, die Hose aber war der Rest eines nicht mehr bes­te­hen­den schwarz-gel­ben Anzugs, der im Jahre acht­zehn­hun­dert­sie­be­nund­se­ch­zig zer­trennt wor­den war. Die Hose Österreich hieß sei­ther in der amt­li­chen Sprache »Die im Reichsrate ver­tre­te­nen Königreiche und Länder«, was natür­lich gar nichts bedeu­tete und ein Name aus Namen war, denn auch diese Königreiche, zum Beispiel die ganz Shakespeareschen Königreiche Lodomerien und Illyrien gab es läng­st nicht mehr und hatte es schon damals nicht mehr gege­ben, als noch ein gan­zer schwarz-gel­ber Anzug vorhan­den war. Fragte man darum einen Österreicher, was er sei, so konnte er natür­lich nicht ant­wor­ten : Ich bin einer aus den im Reichsrate ver­tre­te­nen Königreichen und Ländern, die es nicht gibt, – und er zog es schon aus die­sem Grunde vor, zu sagen : Ich bin ein Pole, Tscheche, Italiener, Friauler, Ladiner, Slowene, Kroate, Serbe, Slowake, Ruthene oder Wallache, und das war der soge­nannte Nationalismus. Man stelle sich ein Eichhörnchen vor, das nicht weiß, ob es ein Eichhorn oder eine Eichkatze ist, ein Wesen, das kei­nen Begriff von sich hat, so wird man vers­tehn, daß es unter Umständen vor sei­nem eige­nen Schwanz eine heillose Angst bekom­men kann ; in sol­chem Verhältnis zu einan­der befan­den sich aber die Kakanier und betrach­te­ten sich mit dem pan­i­schen Schreck von Gliedern, die einan­der mit verein­ten Kräften hin­dern, etwas zu sein. Seit Bestehen der Erde ist noch kein Wesen an einem Sprachfehler ges­tor­ben, aber man muß wohl hin­zufü­gen, der öster­rei­chi­schen und unga­ri­schen öster­rei­chisch-unga­ri­schen Doppelmonarchie wider­fuhr es trotz­dem, daß sie an ihrer Unaussprechlichkeit zugrunde gegan­gen ist.

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chap. 98  : « Sur un État qui périt faute de nom »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 566–568

Il se pas­sait beau­coup de choses, et l’on ne man­quait pas de s’en aper­ce­voir. On les trou­vait bonnes quand on en était l’auteur, sus­pectes quand elles étaient dues aux autres. Dans le détail, le pre­mier éco­lier venu pou­vait com­prendre ce qui se pro­dui­sait ; dans l’ensemble, nul ne le savait exac­te­ment, hor­mis quelques per­sonnes qui n’en étaient même pas très sûres. Un peu plus tard, toutes ces choses auraient pu arri­ver dans une suc­ces­sion modi­fiée ou inverse sans qu’on y vît nulle dif­fé­rence, à l’exception de ces quelques chan­ge­ments qui résistent au temps sans qu’on sache pour­quoi et forment le sillon baveux de l’escargot his­to­rique.

Es ges­chah viel, und man merkte es auch. Man fand es gut, wenn man es selbst tat, und war bedenk­lich, wenn es andere taten. Im ein­zel­nen konnte es jeder Schuljunge vers­te­hen, aber im gan­zen wußte nie­mand recht, was eigent­lich vor sich ging, bis auf wenige Personen, und die waren nicht sicher, ob sie es wuß­ten. Einige Zeit spä­ter hätte alles auch in geän­der­ter oder umge­kehr­ter Reihenfolge gekom­men sein kön­nen, und man hätte kei­nen Unterschied gefun­den, mit Ausnahme gewis­ser Veränderungen, die auf die Dauer der Zeit eben unbe­grei­fli­cher­weise zurück­blei­ben und die Schleimspuren der his­to­ri­schen Schnecke bilden.

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chap. 98  : « Sur un État qui périt faute de nom »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 565

Dans le même temps, la police orga­ni­sa une grande Exposition du Jubilé à l’ou­ver­ture de laquelle toute la haute socié­té assis­ta. Le Préfet de Police s’é­tait ren­du auprès de Son Altesse pour lui remettre en per­sonne son invi­ta­tion, et lorsque, le comte Leinsdorf entrant, il s’a­van­ça pour l’ac­cueillir, le Préfet recon­nut à ses côtés le « Secrétaire d’hon­neur et col­la­bo­ra­teur volon­taire » qui lui fut pré­sen­té une seconde fois, bien que ce fût super­flu, ce qui lui don­na l’oc­ca­sion de faire briller sa légen­daire mémoire des visages : il avait la répu­ta­tion de connaître per­son­nel­le­ment un citoyen sur dix, ou tout au moins d’a­voir quelques ren­sei­gne­ments sur lui. Diotime vint aus­si, en com­pa­gnie de son mari, et tous ceux qui étaient appa­rus atten­daient un membre de la famille impé­riale, auquel un cer­tain nombre d’entre eux furent pré­sen­tés ; tout le monde s’ac­cor­da pour dire que l’ex­po­si­tion était pas­sion­nante et par­fai­te­ment réus­sie. Elle com­bi­nait des images accro­chées aux murs et des sou­ve­nirs de grands crimes en montre dans des armoires ou des pupitres vitrés. Parmi ces sou­ve­nirs, l’on voyait du maté­riel de fric-frac, des ate­liers de faus­saires, des bou­tons per­dus qui avaient ser­vi d’in­dices, et tout le tra­gique outillage des assas­sins célèbres accom­pa­gnés de légendes, tan­dis que les images aux murs, contras­tant avec cet arse­nal d’é­pou­vante, repré­sen­taient des sujets édi­fiants tirés de la vie du poli­cier. On pou­vait voir là le brave agent qui aide une petite vieille à tra­ver­ser la chaus­sée, le grave agent debout auprès du cadavre reti­ré de la rivière, le cou­ra­geux agent qui se jette au-devant d’un atte­lage embal­lé, une « Allégorie de la Police pro­té­geant la Cité », l’en­fant per­du au poste, enca­dré par deux pater­nels repré­sen­tants de la loi, l’agent brû­lant qui porte dans ses bras une jeune fille arra­chée au bra­sier, à quoi s’a­jou­taient nombre d’autres images du genre « Premier secours », « En fac­tion soli­taire », à côté des pho­to­gra­phies des fidèles agents, remon­tant jus­qu’à l’an­née de ser­vice 1869, avec l’é­vo­ca­tion de leur car­rière et des poèmes enca­drés qui magni­fiaient leur activité.

Die Polizei verans­tal­tete in der glei­chen Zeit eine Jubiläumsausstellung, zu deren Eröffnung die ganze Gesellschaft erschien, und der Polizeipräsident hatte persön­lich bei Sr. Erlaucht vor­ges­pro­chen, um ihm die Einladung zu über­brin­gen, und als Graf Leinsdorf ein­traf und emp­fan­gen wurde, erkannte der Polizeipräsident den »frei­willi­gen Helfer und Ehrensekretär« an sei­ner Seite, der mit ihm über­flüs­si­ger­weise noch ein­mal bekannt gemacht wurde, was dem Präsidenten Gelegenheit gab, sein sagen­haftes Personengedächtnis zu zei­gen, denn er stand im Ruf, jeden zehn­ten Staatsbürger persön­lich zu ken­nen oder min­des­tens über ihn unter­rich­tet zu sein. Auch Diotima kam in Begleitung ihres Gemahls, und alle, die erschie­nen waren, war­te­ten auf ein Mitglied des Kaiserhauses, dem ein Teil von ihnen vor­ges­tellt wurde, und es gab nur eine Stimme, daß die Ausstellung sehr gelun­gen und fes­selnd sei. Sie bes­tand aus dem inni­gen Ineinander von Bildern, die an den Wänden hin­gen, und Erinnerungsgegenständen an große Verbrechen, die in Glasschränken und ‑pul­ten auf­ges­tellt waren. Zu die­sen gehör­ten Einbruchsgerät, Fälscherwerkstätten, ver­lo­rene Knöpfe, die auf Spuren geführt hat­ten, und das tra­gische Werkzeug bekann­ter Mörder samt den dazu­gehö­ri­gen Legenden, wäh­rend die Bilder an den Wänden, im Gegensatz zu die­sem Schreckensarsenal, erbau­liche Vorwürfe aus dem Leben der Polizei dars­tell­ten. Da waren der brave Wachmann zu sehen, der das alte Mütterchen über die Straße gelei­tet, der ernste Wachmann vor der vom Fluß anges­ch­wemm­ten Leiche, der tap­fere Wachmann, der sich scheuen­den Pferden in die Zügel wirft, eine »Allegorie der Sicherheitsbehörde als Hüterin der Stadt«, das verirrte Kind zwi­schen den müt­ter­li­chen Schutzleuten auf der Wachstube, der bren­nende Wachmann, der auf sei­nen Armen ein Mädchen aus Feuersnot trägt, und dann noch viele sol­cher Bilder wie »Erste Hilfe«, »Auf ein­sa­mem Posten«, nebst den Photographien wacke­rer Schutzleute, bis auf das Dienstjahr 1869 zurück, den Beschreibungen ihrer Lebensläufe und ein­ge­rahm­ten Gedichten, die das Wirken der Polizei oder ein­zel­ner ihrer Funktionäre verherrlichten.

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chap. 98  : « Sur un État qui périt faute de nom »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 560–561

Nous sommes désor­mais en mesure d’i­den­ti­fier les pos­tu­lats d’ordre social com­muns aux théo­ries poli­tiques les plus impor­tantes du XVIIe siècle et d’ap­pré­cier le rôle qu’elles y jouent. Du même coup, il est nous est pos­sible de com­prendre les pro­blèmes qu’ils posent à la démo­cra­tie libé­rale aujourd’hui.

En tant qu’af­fir­ma­tion d’une pro­prié­té, l’in­di­vi­dua­lisme repose sur une série de pos­tu­lats que résument assez bien les sept pro­po­si­tions suivantes :

Proposition I : L’homme ne pos­sède la qua­li­té d’homme que s’il est libre et indé­pen­dant de la volon­té d’autrui.

Proposition II : Cette indé­pen­dance et cette liber­té signi­fient que l’homme est libre de n’en­tre­te­nir avec autrui d’autres rap­ports que ceux qu’il éta­blit de son plein gré et dans son inté­rêt personnel.

Proposition III : L’individu n’est abso­lu­ment pas rede­vable à la socié­té de sa per­sonne ou de ses facul­tés, dont il est le pro­prié­taire exclusif.

[…]

Proposition IV : L’individu n’a pas le droit d’a­lié­ner tota­le­ment sa per­sonne, qui lui appar­tient en propre ; mais il a le droit d’a­lié­ner sa force de travail.

Proposition V : La socié­té humaine consiste en une série de rap­ports de marché.

[…]

Proposition VI : Puisque l’homme ne pos­sède la qua­li­té d’homme que s’il est libre et indé­pen­dant de la volon­té d’au­trui, la liber­té de chaque indi­vi­du ne peut être légi­ti­me­ment limi­tée que par les obli­ga­tion et les règles néces­saires pour assu­rer à tous la même liber­té et la même indépendance.

Proposition VII : La socié­té poli­tique est d’ins­ti­tu­tion humaine : c’est un moyen des­ti­né à pro­té­ger les droits de l’in­di­vi­du sur sa per­sonne et sur ses biens, et (par consé­quent) à faire régner l’ordre dans les rap­ports d’é­change que les indi­vi­dus entre­tiennent en tant que pro­prié­taires de leur propre personne.

[…]

Les pos­tu­lats de l’in­di­vi­dua­lisme […] sont par­ti­cu­liè­re­ment adap­tés aux socié­tés de mar­ché géné­ra­li­sé, car ils en expriment cer­tains aspects essen­tiels. C’est un fait que, dans ce type de socié­té, l’homme n’est homme que dans la mesure où il est son propre pro­prié­taire ; c’est un fait que son huma­ni­té dépend de sa liber­té de n’é­ta­blir avec ses sem­blables que des rap­ports contrac­tuels fon­dés sur son inté­rêt per­son­nel ; c’est éga­le­ment un fait que cette socié­té consiste en une série de rap­ports de marché.

We are now in a posi­tion to consi­der the extent to which some iden­ti­fiable social assump­tions are com­mon to the main seven­teenth-cen­tu­ry poli­ti­cal theo­ries, and how they are rele­vant to the pro­blems of later libe­ral-demo­cra­tic socie­ty. The assump­tions which com­prise pos­ses­sive indi­vi­dua­lism may be sum­ma­ri­zed in the fol­lo­wing seven propositions.

(i) What makes a man human is free­dom from depen­dence on the wills of others.

(ii) Freedom from depen­dence on others means free­dom from any rela­tions with others except those rela­tions which the indi­vi­dual enters volun­ta­ri­ly with a view to his own interest.

(iii) The indi­vi­dual is essen­tial­ly the pro­prie­tor of his own per­son and capa­ci­ties, for which he owes nothing to society.

[…]

(iv) Although the 1nd1v1dual can­not alie­nate the whole of his pro­per­ty in his own per­son, he may alie­nate his capa­ci­ty to labour.

(v) Human socie­ty consists of a series of mar­ket relations.

(vi) Since free­dom from the wills of others is what makes a man human, each indi­vi­dual’s free­dom can right­ful­ly be limi­ted only by such obli­ga­tions and rules as are neces­sa­ry to secure the same free­dom for others.

(vii) Political socie­ty is a human contri­vance for the pro­tec­tion of the indi­vi­dual’s pro­per­ty in his per­son and goods, and (the­re­fore) for the main­te­nance of order­ly rela­tions of exchange bet­ween indi­vi­duals regar­ded as pro­prie­tors of themselves.

[…]

The assump­tions of pos­ses­sive indi­vi­dua­lism are pecu­liar­ly apro­priate to a pos­ses­sive mar­ket socie­ty, for they state cer­tain essen­tial facts that are pecu­liar to that socie­ty. The indi­vi­dual in a pos­ses­sive mar­ket socie­ty is human in his capa­ci­ty as pro­prie­tor of his own per­son ; his huma­ni­ty does depend on his free­dom from any but self-inter­es­ted contrac­tual rela­tions with others ; his socie­ty does consist of a series of mar­ket relations.

 

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trad.  Michel Fuchs
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p. 433–449

Les pro­blèmes que sou­lève la théo­rie moderne de la démo­cra­tie libé­rale sont, nous le ver­rons, plus fon­da­men­taux qu’on ne l’a cru. Il nous est appa­ru qu’ils ne sont qu’au­tant d’ex­pres­sions d’une dif­fi­cul­té essen­tielle qui appa­raît aux ori­gines mêmes de l’in­di­vi­dua­lisme au XVIIe siècle : celui-ci est en effet l’af­fir­ma­tion d’une pro­prié­té, il est essen­tiel­le­ment pos­ses­sif. Nous dési­gnons ain­si la ten­dance à consi­dé­rer que l’in­di­vi­du n’est nul­le­ment rede­vable à la socié­té de sa propre per­sonne ou de ses capa­ci­tés, dont il est au contraire, par essence, le pro­prié­taire exclu­sif. À cette époque, l’in­di­vi­du n’est conçu ni comme un tout moral, ni comme la par­tie d’un tout social qui le dépasse, mais comme son propre pro­prié­taire. C’est dire qu’on attri­bue rétros­pec­ti­ve­ment à la nature de l’in­di­vi­du les rap­ports de pro­prié­té qui avaient alors pris une impor­tance déci­sive pour un nombre gran­dis­sant de per­sonnes, dont ils déter­mi­naient concrè­te­ment la liber­té, l’es­poir de se réa­li­ser plei­ne­ment. L’individu, pense-t-on, n’est libre que dans la mesure où il est pro­prié­taire de sa per­sonne et de ses capa­ci­tés. Or, l’es­sence de l’homme, c’est d’être libre, indé­pen­dant de la volon­té d’au­trui, et cette liber­té est fonc­tion de ce qu’il pos­sède. Dans cette pers­pec­tive, la socié­té se réduit à un ensemble d’in­di­vi­dus libres et égaux, liés les uns aux autres en tant que pro­prié­taires de leurs capa­ci­tés et de ce que l’exer­cice de celles-ci leur a per­mis d’ac­qué­rir, bref, à des rap­ports d’é­change entre pro­prié­taires. Quant à la socié­té poli­tique, elle n’est qu’un arti­fice des­ti­né à pro­té­ger cette pro­prié­té et à main­te­nir l’ordre dans les rap­ports d’échange.

[T]he dif­fi­cul­ties of modern libe­ral-demo­cra­tic theo­ry lie dee­per than had been thought, that the ori­gi­nal seventeenth­ cen­tu­ry indi­vi­dua­lism contai­ned the cen­tral dif­fi­cul­ty, which lay in its pos­ses­sive qua­li­ty. Its pos­ses­sive qua­li­ty is found in its concep­tion of the indi­vi­dual as essen­tial­ly the pro­prie­tor of his own per­son or capa­ci­ties, owing nothing to socie­ty for them. The indi­vi­dual was seen nei­ther as a moral whole, nor as part of a lar­ger social whole, but as an owner of him­ self. The rela­tion of owner­ship, having become for more and more men the cri­ti­cal­ly impor­tant rela­tion deter­mi­ning their actual free­dom and actual pros­pect of rea­li­zing their full poten­tia­li­ties, was read back into the nature of the indi­vi­dual. The indi­vi­dual, it was thought, is free inas­much as he is pro­prie­tor of his per­son and capa­ci­ties. The human essence is free­dom from depen­dence on the wills of-others, and free­dom is a func­tion of pos­ses­sion. Society becomes a lot of free equal indi­vi­duals rela­ted to each other as pro­prietors of their own capa­ci­ties and of what they have acqui­red by their exer­cise. Society consists of rela­tions of exchange bet­ween pro­prie­tors. Political socie­ty becomes a cal­cu­la­ted device for the pro­tec­tion of this pro­per­ty and for the main­te­nance of an order­ly rela­tion of exchange.
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trad.  Michel Fuchs
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p. 18–19